Et si l’endettement des entreprises américaines était sous-estimé ?

Publié le 1 mars 2019 à 18h10

Ludovic Subran

Depuis neuf ans, l’économie américaine se désendette : entre 2009 et 2018, la dette totale américaine est passée de 350 % à 311,5 % du PIB. Cette dynamique, les Etats-Unis la doivent principalement à deux moteurs. D’abord, le secteur financier, dont la dette est passée de 124,5 % à 78 % du PIB entre 2009 et 2018. Ensuite, les ménages, dont l’endettement ne représentait que 75 % du PIB fin 2018 contre 97,7 % en 2009. Ces chiffres rassurent, surtout si on garde en mémoire la crise des subprimes. Pourtant, dans le même temps, la dette des entreprises non financières a progressé à un rythme rapide. Elle s’affiche aujourd’hui à 15 000 milliards de dollars, soit 73 % du PIB et surtout 2 points de pourcentage (pp) au-dessus de sa tendance. Cet indicateur avancé, la variation de l’endettement des entreprises par rapport à sa tendance de long terme, a été par le passé un excellent prédicteur de retournement. La prochaine crise pourrait-elle venir de la dette des entreprises américaines ?

Quelque 4 000 milliards de dette cachée

Depuis quelque temps, des acteurs non traditionnels, tels que des fonds de pension ou autres investisseurs institutionnels, ont pris une place plus importante sur le marché américain du crédit. Les financements accordés aux entreprises par ces établissements non bancaires n’apparaissent pas dans leur intégralité dans les statistiques officielles de dette fournies par la Réserve fédérale américaine. Si on les prend en compte, on peut se faire une idée de la dette réelle des entreprises américaines : elles seraient 30 % plus élevées soit presque 3,9 milliards de dollars, et le taux d’endettement des entreprises américaines, mesuré par la dette sur Ebitda, passerait de 3,9 à 4,6. Un calcul que ne font pas la plupart des investisseurs, malheureusement. D’ailleurs, les coûts des obligations pour les entreprises restent très bas, quelque 230 points de spread (écart de taux) avec le bon au Trésor américain (pour les entreprises notées BAA). Selon nos calculs, si on prend en compte le véritable montant de la dette en circulation, et les risques de cette dette-là, les spreads devraient être 120 pp plus élevés : une tout autre histoire pour les entreprises américaines !

Attention au taux de défaut qui dort

Une autre raison de s’inquiéter tient à la résilience de l’activité américaine : et si l’Ebitda du ratio dette/Ebitda venait à flancher ? En d’autres termes, et si la croissance américaine était plus fragile ?

Cela semble plausible, tant l’expansionnisme budgétaire de l’administration Trump a engendré un surplus de demande passager. Avec la normalisation de la croissance américaine, autour de 2,3 % cette année, et un tassement de l’activité, le taux de défaut de paiement des entreprises américaines non financières pourrait doubler, passant de 1 % (un niveau au plus bas depuis plusieurs années) aujourd’hui à 2 % (son niveau de 2011). Dans ce cas, l’insensibilité des primes de risque réagirait enfin et là encore nos fameux écarts de taux pourraient augmenter de quelque 70 pp. En effet, les entreprises non financières les plus risquées ont continué de profiter de conditions de financement privilégiées… ce qui les a incitées à s’endetter encore plus ! Une secousse sur la croissance révélerait ces fameuses entreprises zombies au grand jour.

Quand le risque devient réalité

Le vrai sujet est de savoir quand et pourquoi cette dette déclencherait une nouvelle crise. En 2008, les ménages et les institutions financières avaient fait exploser le niveau de dette aux Etats-Unis, et déclenché la crise des subprimes. Aujourd’hui, leur dette est sous contrôle, mais le risque systémique semble avoir changé de visage. Il est incarné par les entreprises, dont l’endettement est clairement sous-estimé. Là est le vrai danger : le marché ne semble pas conscient de la situation.

Dans ce contexte d’opacité de la dette des entreprises non financières, il pourrait suffire d’un épisode de stress sur une entreprise isolée pour que la bulle américaine du crédit se dégonfle. Les nouveaux investisseurs sur ce segment, devenu plus rentable que les bons au Trésor américain, notamment les fonds communs de placement, pourraient prendre peur : régulés, leur besoin en capital exploserait ou les pousserait à changer leur position très rapidement, et à mettre ainsi de l’huile sur le feu de la dette des entreprises américaines.

Mots clés ETF
Ludovic Subran

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