L'analyse de Ludovic Subran

Une intimidation américaine qui secoue la Chine et les émergents

Publié le 30 novembre 2018 à 16h49

Ludovic Subran

Par Ludovic Subran, chef économiste, Euler Hermes

L’année 2018 devrait s’achever avec une économie mondiale stable, mais qui a perdu de son allant : après + 3,2 % en 2017, la croissance mondiale devrait suivre le même rythme en 2018, et même légèrement décélérer en 2019 (+ 3,1 %). Les décisions et comportements de l’administration américaine en place ne sont pas étrangers à cette atonie. Car si la politique économique du président Trump a permis l’accélération de la croissance américaine (+ 2,2 % en 2017, + 2,9 % en 2018), elle a engendré des ajustements importants chez les pays étrangers, affectant directement leurs trajectoires de croissance. Alors oui, d’un côté, le stimulus fiscal et la déréglementation financière initiés par les instances américaines ont créé un nouvel élan positif au niveau des salaires, de l’investissement et des marchés financiers aux Etats-Unis. D’ailleurs, le scénario d’une récession américaine en 2019, qui était envisageable, apparaît aujourd’hui bien moins plausible. Mais de l’autre côté du spectre, les pays émergents, l’Europe et la Chine voient leur économie stagner, après une période de redressement trop courte de 2017 à mi-2018. Les croissances économiques européenne et chinoise n’atteindront respectivement que + 2,1 % et + 6,6 % cette année, après + 2,5 % et + 6,9 % en 2017.

Cette dichotomie qui s’installe entre les Etats-Unis et le reste du monde provient de plusieurs facteurs. On pense notamment au resserrement des conditions financières et monétaires (hausse des taux par la Fed en dollars), motivé par la crainte d’une surchauffe de l’économie américaine. Mais une des causes majeures de cette situation est l’incertitude qui règne autour de la guerre commerciale Etats-Unis/Chine. Depuis septembre 2018, les barrières tarifaires américaines sont entrées dans une zone grise en atteignant en moyenne 5,2 % (contre 3,5 % l’année dernière). Côté américain, l’inflation importée ainsi que la diversion commerciale sont visibles, mais toujours sous contrôle, notamment grâce à la négociation du nouveau traité Etats-Unis – Mexique – Canada. En face, la Chine voit la pression monter, particulièrement en termes de croissance des exports et de stress financier. Le problème, c’est que la querelle commerciale qui oppose les deux puissances perdure sans montrer de signes d’essoufflement. Cette situation, certains l’appellent «le piège de Thucydide» quand d’autres, préférant les références plus récentes, la qualifient de «nouvelle guerre froide».

Pour les économistes, le plus grand risque à ce jour reste l’intimidation politique, lorsqu’une puissance accule ses adversaires et les incite à commettre des erreurs en matière de gouvernance, ces derniers étant plus ou moins menacés par des mesures protectionnistes et un assèchement des liquidités. Certes, la Chine a réagi immédiatement aux chutes d’indice de confiance des consommateurs. En augmentant les subventions, en diminuant le coût de l’accès au crédit, et grâce à plus de diplomatie économique. Mais le risque d’un moment Minsky en Chine est bien réel, et l’hostilité envers l’Empire du Milieu freine aujourd’hui l’ouverture progressive du pays. Une situation d’autant plus complexe que les entreprises chinoises traversent une phase difficile : les défaillances d’entreprises en Chine devraient croître de + 50 % en 2018.

Heureusement pour elle, la Chine possède nombre d’atouts pour combattre une guerre froide. La politique de Trump est source d’inquiétude, mais comme l’Europe et le Japon, de l’agilité et des politiques économiques adaptées lui permettront de faire face, voire de bénéficier de cette Amérique plus forte. Ce n’est pas le cas des pays émergents plus fragiles. L’Argentine et la Turquie ont été les premières victimes de cette nouvelle gouvernance américaine : ces deux pays sont dernièrement devenus plus vulnérables (déficits jumeaux) et plus instables politiquement. La détermination des Américains dans la conduite de leurs politiques a précipité le sort de ces pays, en poussant les autorités à commettre des fautes. Et d’autres économies sont menacées : la Russie à cause de nouvelles sanctions, mais aussi le Brésil et l’Afrique du Sud à cause de politiques peu orthodoxes. A un moindre degré, l’Indonésie, la Hongrie, et la Roumanie doivent continuer à contrer la surchauffe économique. Beaucoup de pays émergents gèrent cette surchauffe avec les bonnes mesures anti-cycles. Pourtant, et cela n’étonnera pas le lecteur, ce ne sont pas eux qui font la une des journaux.

Ludovic Subran

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