Les clients des fonds, un outil de gestion de la liquidité

Publié le 17 février 2017 à 15h55    Mis à jour le 2 juin 2017 à 17h18

Serge Darolles

Les sociétés de gestion d’actifs font continûment face à de nouveaux challenges, et l’une des questions qui revient le plus actuellement concerne la mesure et la gestion du risque de liquidité. Un gérant de fonds peut choisir d’investir les actifs du fonds dans des titres plus ou moins liquides sur le marché. Il fixe son exposition au risque de liquidité de marché, et espère capturer ainsi un rendement supplémentaire, ou prime de liquidité. Mais le risque de liquidité ne se réalise réellement que lorsque le gérant fait face à des rachats, et qu’il doit donc vendre des actifs risqués pour y répondre. Ces rachats matérialisent le risque de liquidité de financement. Modéliser le comportement des clients permet de mieux anticiper les périodes de rachats importants. C’est donc un élément essentiel de la gestion du risque de liquidité.

Or, si le développement de l’architecture ouverte dans les années 2000 a favorisé la distribution des parts de fonds, elle a également diminué la connaissance qu’a la société de gestion des souscripteurs. Les plateformes de distribution permettent de toucher des masses de clients potentiels beaucoup plus importantes, mais à un certain prix pour la société de gestion. Elle ne reçoit en effet qu’une information agrégée sur les flux d’investissement, ces flux pouvant venir de clients aux comportements très différents. Il devient ainsi beaucoup plus difficile d’anticiper le comportement des différents types de clients, et notamment pendant les périodes de crises. De plus, la société de gestion ne peut suivre avec précision une évolution de la structure de son passif, et donc du risque lié au décalage entre la liquidité à l’actif et au passif du fonds.

Deux éléments laissent à penser que demain les sociétés de gestion auront une bien meilleure connaissance de leurs clients. D’une part, grâce aux innovations digitales, les sociétés de gestion ont une formidable occasion de reprendre la main sur la connaissance de leurs clients et resserrer leurs relations. Le phénomène fintechs illustre bien cela. De nouveaux intermédiaires financiers proposent la vente directe de produits ou solutions d’investissement, sans intermédiaire afin de réduire les coûts. Mais ces solutions permettent surtout de garder intacte la relation avec l’investisseur final, ce qui assure une meilleure remontée d’information sur le client et donc potentiellement une meilleure évaluation du risque de liquidité de financement. Ce phénomène ne se limite pas aux nouveaux entrants. Il touche également les sociétés de gestion traditionnelles qui, comme les banques, veulent maîtriser la chaîne de distribution en s’appuyant sur les gains de productivité liés aux innovations digitales. D’autre part, la réglementation évolue et les sociétés de gestion doivent mettre en place une gestion du risque de liquidité des fonds intégrant le passif. Toutes les réponses envisageables à ces demandes du régulateur passent par une meilleure connaissance de leur stock de client et une meilleure prédiction des flux futurs.

Des travaux menés par une équipe de chercheurs de l’Université Paris-Dauphine montrent comment la meilleure connaissance de la composition du passif et la modélisation du comportement des souscripteurs permettent de gérer plus efficacement le risque de liquidité. Les résultats obtenus permettent par exemple d’optimiser la durée des placements à l’actif et d’anticiper les actions commerciales. Les trois principales étapes des recherches menées sont les suivantes : la première étape s’est concentrée sur la collecte des données relatives au comportement passé des clients d’un fonds. Si des historiques de souscriptions/rachats sont facilement disponibles, le challenge a été de travailler au niveau de chaque client individuel, en essayant d’avoir le plus d’informations possibles sur son type. En effet, un client institutionnel ne réagit pas comme un client particulier à des chocs sur la valorisation de leurs placements. Il a fallu pour cela travailler étroitement avec trois sociétés de gestion de la place parisienne, ainsi que plusieurs sociétés de conseil spécialisées. La seconde étape a consisté à modéliser statistiquement le comportement des clients d’un fonds. Le modèle déployé permet de prévoir par grandes catégories de clients quel sera le nombre de souscriptions ou de rachats en fonction des observations passées de ces informations. Enfin, la troisième étape a consisté à définir un ensemble de scénarios de stress tests de liquidité. Un compte rendu complet de ces travaux aura lieu le 7 mars 2017 lors des House of Finance Days organisés par l’Université Paris Dauphine[1].

[1] Pour plus d’information sur le programme des House of Finance Days : http://housefinance.dauphine.fr/fr/house-of-finance-days/house-of-finance-days-2017.html

Serge Darolles Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Serge Darolles est professeur à l’Université Paris-Dauphine.

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