Télécoms

Comment travaillent… les directeurs financiers et directeurs juridiques

Publié le 28 novembre 2016 à 14h47    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 11h43

Au cours des dernières années, et face à un marché incertain, les directeurs financiers et juridiques des télécoms ont vu leurs fonctions évoluer vers la stratégie. Avec pour objectif de ramener de la croissance chez les industriels.

On ne compte plus les anciens directeurs financiers aujourd’hui directeurs généraux dans les télécoms : Michel Combes, directeur général d’Altice, maison-mère de SFR-Numericable ; Gervais Pélissier, à la tête de la zone Europe d’Orange... Une tendance classique aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, jusque-là plus discrète en France. Preuve que les fonctions financières deviennent incontournables dans le secteur. Et pour cause : «L’activité se financiarise, assure Xavier Pichon, directeur exécutif adjoint en charge des finances, de la stratégie et du développement d’Orange France. L’intensité des investissements actuels et futurs accentue la nécessité de manager la conduite de l’ensemble de nos activités. Elle nous oblige à nous poser en permanence la question de l’optimum entre rentabilité court terme et valeur terminale, et ceci pour toutes les parties prenantes de l’entreprise.»

Le cash-flow et l’endettement prioritaires

Dans cette optique, la maîtrise du cash-flow et du niveau d’endettement reste plus que jamais une priorité pour les directeurs financiers, ces deux indicateurs étant scrutés par les marchés pour la valorisation des entreprises. Selon les analystes, ils doivent mener un pilotage au plus fin de la performance financière, afin d’arbitrer entre investissements à long terme et investissements commerciaux.

Avec des taux d’intérêt bas et un fort besoin de financement, les opérateurs français ont plus facilement recours à la dette que leurs homologues américains ou européens, qui misent sur le cash. Avec plus ou moins d’impact, selon la situation des groupes français. La maison-mère de SFR-Numericable, Altice, affiche par exemple un endettement de près de 50 milliards d’euros. A l’inverse, Thomas Reynaud, directeur financier et directeur du développement chez Iliad, assure que l’entreprise «s’appuie sur une capacité d’autofinancement importante d’environ 1,5 milliard d’euros en 2015 et de disponibilités d’environ 2 milliards d’euros. Dans la mesure où nous sommes faiblement endettés, nos projets seront exclusivement financés sous forme de dette. Comme toute société familiale, nous détestons la dilution».

Mais les directeurs financiers veillent parallèlement aux dépenses via des plans d’économies lancés depuis 2012. Ils jouent un rôle essentiel, en fixant les grands objectifs et en effectuant une refonte de leur base de coûts. Ce sont eux qui doivent aussi communiquer et porter la vision de long terme du groupe, en l’expliquant et la partageant tant en interne que sur les marchés. D’autant plus face au déploiement de la 4G et de la fibre optique, des investissements lourds et onéreux, et dont la monétisation ne se fait que sur des dizaines d’années.

Au cœur de la stratégie

«La fonction a donc tendance à dépasser la technicité financière (contrôle interne, mesures de performance, allocation des ressources) pour aborder des situations plus stratégiques», explique Benoît Mérel, directeur financier et directeur général délégué de TDF. Restaurer une croissance pérenne, stabiliser les marges qui se sont érodées, financer les pics d’investissement : autant de missions qui se sont ajoutées aux fonctions du gestionnaire.

De techniciens purs, ils se trouvent de plus en plus impliqués dans la définition même et la mise en œuvre de la stratégie des groupes. Il n’est pas rare de voir des directeurs financiers cumuler les casquettes «finance et stratégie», comme c’est le cas pour Ramon Fernandez chez Orange ou Benoît Mérel chez TDF. Selon les analystes, ce rapprochement du directeur financier et du directeur général induit une plus grande efficacité et une complémentarité dans la prise de décisions.

Le directeur juridique consulté en amont

Dans une moindre mesure, les directions juridiques s’affirment elles aussi. La guerre entre opérateurs, la multiplication des règles anticoncurrentielles et la forte régulation du marché, qui les contraint à respecter des obligations en matière de couverture réseau par exemple, entraînent une hausse des litiges. Parallèlement, les directeurs juridiques doivent gérer les contentieux sociaux liés aux plans d’économies réalisés sur l’emploi. Bien loin de la simple propriété intellectuelle, le juriste des télécoms soutient pleinement le business de l’entreprise le plus en amont possible et travaille davantage qu’ailleurs sur des axes de défense et de sécurisation des opérations.

Initialement consulté en aval, le directeur juridique se trouve désormais impliqué en amont dans tous les business. Le droit devient un outil pour développer l’entreprise, qui nécessite une plus grande proximité entre juristes et opérationnels. La plupart des directeurs juridiques sont désormais de vrais managers, qui suivent l’évolution de leur entreprise et de leur marché.

Chez Orange, par exemple, le cap a été fixé sur l’international. «Nous avons créé une direction juridique internationale business, chargée d’être en interface permanente avec les directions juridiques des différents pays où le groupe investit pour savoir quels sont leurs besoins et sur quel projet nous pouvons travailler en commun», précise Nicolas Guérin.

Anticiper les télécoms de demain

Dans ce contexte, la préoccupation majeure des opérateurs est d’anticiper les évolutions et les aléas du marché. Les directeurs financiers et juridiques sont alors en première ligne pour préparer les télécoms de demain et savoir répondre aux nouvelles exigences des clients, en leur proposant des services de qualité adaptés à leurs usages actuels.

«Notre principal défi est de remettre en cohérence la qualité de service, l’augmentation des usages et les niveaux de prix. Dans cette optique, il faut réinventer une proposition marketing», précise Xavier Pichon.

Le groupe a ainsi vu dans l’évolution des pratiques de consommation bancaire une opportunité pour se lancer sur ce marché, en prenant 65 % de Groupama. «Face aux évolutions du marché, le service juridique d’Orange a anticipé et nous avons recruté des juristes spécialisés deux ans avant la reprise de Groupama», affirme Nicolas Guérin, directeur juridique de l’opérateur historique.

L’équipementier Ericsson a lui aussi accéléré sa propre transformation pour s’adresser à de nouveaux clients et aborder d’autres secteurs que les télécoms, comme l’énergie, les transports ou encore les médias.

Certaines directions financières montrent quant à elles un fort intérêt pour les fintechs ou pour le big data. Chez Iliad, Thomas Reynaud assure que «la maîtrise des flux de données sera déterminante à l’avenir tant pour la mise à disposition de plateformes techniques à même de traiter l’information que pour la gestion de la pertinence ou l’identification de rupture de tendances et pour une meilleure appréhension des attentes des clients».

Aux manettes des acquisitions

Les deux directions sont par ailleurs fortement impliquées dans le cadre des opérations de croissance externe, très nombreuses dans le secteur, faisant partie des plus actifs dans les fusions-acquisitions. Faute de consolidation, les groupes cherchent des relais de croissance à l’étranger.

Les directeurs financiers sont naturellement aux manettes, tant dans l’étude des cibles que dans l’estimation des synergies ou encore dans le montage des financements. Les directeurs juridiques doivent, eux, gérer les règles en matière de droit de la concurrence, les législations des différents pays ainsi que l’intégration de nouveaux opérateurs. «Nous devons accélérer l’internationalisation du groupe, pour nous mettre au service des business étrangers, faciliter l’intégration des pays acquis via la croissance externe et stabiliser la régulation afin de pouvoir multiplier les investissements», assure Nicolas Guérin.

En termes de valeur, en 2015, le secteur a ainsi décroché la première place au sein des télécommunications, médias et technologies, grâce à des méga-deals comme la vente d’EE par Orange pour 16,8 milliards d’euros. En 2016, Free a mis un pied en Italie en tant que quatrième acteur. Quant à Altice, il a fait en 2015 une entrée remarquée sur le marché nord-américain avec la prise de contrôle de Suddenlink et de Cablevision pour 17 milliards de dollars. En avril 2016, le groupe avait d’ailleurs choisi Jean Raby, ancien banquier d’affaires, spécialiste des opérations de fusions-acquisitions, comme directeur financier de SFR-Numericable. Il a quitté l’entité en septembre.

Besoin de se réorganiser

Afin de faire face à l’évolution de leurs responsabilités et de réduire les frais, les directeurs financiers et juridiques se réorganisent et instaurent des indicateurs clés leur permettant d’évaluer le retour sur investissement de leur pilotage et de gagner en agilité et en flexibilité. La digitalisation et la dématérialisation ont par exemple favorisé le décloisonnement des équipes et allégé les coûts.

Du côté d’Ericsson France, les moyens financiers et les expertises sont mis en commun, soit au travers d’instruments, comme le cash pooling pour la trésorerie, soit via des centres de services financiers internes regroupant les spécialistes de chaque fonction. Selon Michel Roquejoffre, «l’utilisation d’un ERP commun à toutes les filiales du groupe permet des synergies et le partage d’expertises au profit d’unités locales qui peuvent se dédier au développement commercial et à la bonne tenue d’indicateurs locaux».

Chez Orange, Nicolas Guérin assure avoir valorisé l’activité juridique en prouvant qu’elle était un centre de profit à travers des indicateurs de performance : «Sur les trois dernières années, nous avons affiché plus de 300 millions d’euros pour un service qui représente 0,5 % du groupe.» Ce besoin de réorganisation et de simplification de la structure juridique se trouve aussi au cœur du dernier plan d’Altice, destiné à racheter SFR et ainsi à faciliter les opérations au sein du groupe.

Autant d’organisations et d’anticipations qui devraient être utiles en cas de reprise des discussions en vue d’une consolidation du marché et de la définition de nouvelles frontières du marché.

Les directeurs financiers et directeurs juridiques du secteur télécoms

Diplômé de l’Ecole de la CCI de Paris, Xavier Pichon (49 ans) a toujours évolué dans le secteur des télécoms. D’abord conseiller financier pour le groupe France Télécom mobile, il l’intègre en 1998 comme directeur comptable avant d’en devenir le directeur du contrôle de gestion puis en 2006 le directeur financier. C’est en 2011 qu’il prend les rênes de la direction financière d’Orange France, fonction à laquelle s’ajoute en 2013 celle de directeur délégué en charge des finances, plan stratégique et développement.

  • CA en 2015 France : 19,1 milliards d’euros
  • CA au 1er semestre 2016 France : 9,4 milliards d’euros

Diplômé en droit des affaires et fiscalité à Paris II, Nicolas Guérin (48 ans) commence sa carrière de juriste chez Cegetel (Vivendi) de 1993 à 1998, avant de rejoindre France Télécom le jour de l’ouverture à la concurrence. Un défi de taille pour celui qui crée dès 2003 la direction juridique concurrence et réglementation du groupe. Depuis octobre 2009, il est à la tête de la direction juridique. Ses faits d’armes : les négociations avortées entre Orange et Bouygues et la modification structurelle de la fonction de juriste d’entreprise. Depuis avril 2016, il préside le Cercle Montesquieu.

  • CA en 2015 France : 19,1 milliards d’euros
  • CA au 1er semestre 2016 France : 9,4 milliards d’euros

Titulaire d’un DEA de droit des affaires à Paris Ouest et d’un mastère à HEC Paris, Emmanuelle Levine commence en 2002 chez Orange France comme responsable droit des sociétés. En 2004, elle rejoint la direction juridique fusions-acquisitions du groupe Orange, puis part pour la direction juridique du groupe Areva en 2009. Elle y exerce notamment la fonction de directrice juridique fusions-acquisitions et participe à la mise en œuvre du plan de restructuration en 2014. Elle rejoint le groupe SFR en septembre 2016.

  • CA 2015 : 11 milliards d’euros
  • CA 1er semestre 2016 : 5,3 milliards d’euros

Diplômé de l’Institut supérieur de Paris et à l’IEP de Paris, Benoît Mérel (52 ans) commence sa carrière en 1988 à l’AFP comme directeur financier pour l’Asie-Pacifique. En 1990, il intègre Mazars comme directeur des engagements audit, avant de rejoindre la division réseaux internationaux de France Télécom en 1994. En 2000, il entre au contrôle de gestion avant d’être promu directeur groupe de ce pôle, puis nommé directeur financier d’Equant en 2003. Directeur financier de TP Group, opérateur polonais et filiale de France Télécom en 2005, il rejoint TDF en 2008 et est nommé en 2010 directeur général délégué et directeur financier.

  • CA 2015 : 713 millions d’euros

Diplômé en droit social et en fiscalité, Arnauld Van Eeckhout (59 ans) commence sa carrière chez Sogea Vinci, Thomson puis TransManche Link, chez qui il apporte un support juridique sur de grands projets internationaux. Il intègre Bouygues en 1993 et participe au démarrage de l’activité télécom. En 1995, il est directeur juridique de Bouygues Télécom. Egalement responsable Ethique et membre du Comité de direction générale de la filiale télécoms, il préside la commission consommation à la Fédération française des télécoms.

  • CA 2015 : 4,5 milliards d’euros 
  • CA 1er semestre 2016 : 2,3 milliards d’euros

Diplômé de Supélec et du MBA HEC, Christian Lecoq (49 ans) débute sa carrière en 1993 comme ingénieur travaux chez Quille, filiale de Bouygues Construction, avant de rejoindre en 1994 la direction financière de Bouygues SA. Arrivé en 1998 chez Bouygues Télécom, il devient directeur financier de la structure Caraïbes du groupe en 2003. Il prend en charge la direction finances et plan d’affaires de Bouygues Télécom en 2009, puis en devient le directeur financier en 2013. Il y a développé l’expertise financière, notamment sur les opérations de fusion-acquisition.

  • CA 2015 : 4,5 milliards d’euros 
  • CA 1er semestre 2016 : 2,3 milliards d’euros

Diplômé d’un DESS à la faculté de droit et des sciences sociales à Poitiers, Serge Ferreira collabore entre 1996 et 2000 à la Caisse des Dépôts et consignations comme responsable juridique, avant de rejoindre Neuf Telecom en 2001. Entre 2005 et 2007, il devient chef adjoint du département juridique de Cegetel avant d’en prendre la tête jusqu’en 2009. Il rejoint Free Mobile en février 2010 et en prend la direction juridique en décembre de la même année.

  • CA 2015 : 4,4 milliards d’euros
  • CA 1er semestre 2016 : 2,3 milliards d’euros

Diplômé de HEC et de la New York University, Thomas Reynaud (41 ans) débute sa carrière à la Société Générale où il participe à de nombreuses opérations d’introduction en bourse, de privatisations et de levées de fonds. Puis il y assure les fonctions de directeur associé en charge du secteur télécom, média et technologies. Un poste qui le conduit à conseiller Iliad dès 2003, avant de rejoindre le groupe de télécoms en 2007 en tant que directeur du développement et membre du comité de direction avant de devenir directeur financier et directeur du développement en janvier 2008.

  • CA 2015 : 4,4 milliards d’euros
  • CA 1er semestre 2016 : 2,3 milliards d’euros

Diplômé de Télécoms-Paris et de l’Ecole des mines, Michel Roquejoffre (48 ans) possède 23 ans d’expérience dans l’industrie des télécoms à des postes financiers, liés aux ventes ou aux opérations et gestions de programme. En 2003, il prend en charge chez Ericsson les activités commerciales, notamment au niveau du compte Orange. Il est nommé directeur financier en 2013.

  • CA 2015 : 297 millions d’euros

Diplôme en finance et comptabilité à l’ISEG Business School, Cédric Lepolard débute sa carrière en 2000 chez Giat Industries dans le contrôle, avant de rejoindre l’année suivante BNP Paribas où il a exercé différentes fonctions aux services financiers, dont la direction du département Europe «fees and services» du groupe bancaire dès 2009. Il rejoint FPS Towers en novembre 2012.

  • CA 2015 : 53 millions d’euros

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