Télécoms

Les télécoms en pleine mutation

Publié le 28 novembre 2016 à 14h47    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 11h43

Barbara Leblanc et Lucy Letellier

Depuis l’arrivée de Free dans le mobile en 2012, les marges et les parts de marchés des opérateurs français s’érodent et la croissance ne revient pas. Pourtant, face à l’évolution des usages de consommation de données et l’entrée de nouveaux acteurs sur Internet, les industriels doivent déployer les réseaux de demain et investir massivement. Une équation difficile à résoudre dans un secteur qui peine à trouver une stabilité. Etat des lieux.

Malgré un ralentissement de sa décroissance en 2015 (– 2,6 % contre 4 % en 2014), le marché français reste fragile, toujours marqué par le tsunami provoqué par Free (Iliad) en 2012 sur le mobile. L’ensemble des entreprises a souffert, avec un recul global des revenus (– 15 %) et de l’Ebitda (– 24 %) cumulés d’Orange, Bouygues Télécom et SFR en trois ans à fin 2014.

Ces deux derniers ont particulièrement été impactés et affectés par la guerre des prix sur les offres à bas coût et par l’érosion des marges et des parts de marché. SFR a d’ailleurs été repris par Numericable en 2014 pour plus de 13 milliards d’euros et pourrait être détenu à 100 % par Altice avant la fin de l’année. Quant à Bouygues Télécom, à plusieurs reprises entre 2014 et 2016, ses concurrents ont émis des propositions de rachat, restées lettre morte. Aucun de deux groupes n’a accepté de répondre à nos questions.

Globalement, le marché est tombé à 32,5 milliards d’euros en 2015, après la destruction de 7 milliards d’euros de valeur, pendant que l’ARPU (revenu par abonné), indicateur de référence, a chuté de 30 % dans le mobile. Les opérateurs français apparaissent donc moins profitables que leurs homologues européens et américains, proposant des forfaits plus onéreux, permettant de dégager plus de marges.

Dans ce contexte, les Français tentent de maintenir leur rentabilité opérationnelle et d’éviter la baisse de leurs marges, via des réductions de coûts et d’effectifs. Sur les trois dernières années, le secteur a perdu près de 10 % de ses salariés, selon l’Arcep. SFR a annoncé à l’été la suppression d’un tiers de ses postes d’ici à la fin 2017 ainsi qu’une réorganisation du groupe, pendant qu’Orange continue à ne pas remplacer les départs à la retraite.

Des investissements lourds et indispensables

Parallèlement à cette érosion des marges, qui raréfie les possibilités de financement, les opérateurs sont confrontés à une intensité capitalistique et à un lourd besoin d’investissement.

Le secteur fait face à une mutation de l’écosystème numérique avec l’apparition d’acteurs OTT (over-the-top) dans l’Internet ou de géants du type Netflix. Les quatre groupes doivent améliorer leurs infrastructures afin d’absorber l’explosion du trafic et de répondre aux attentes des clients.

Ils investissent donc massivement dans leur réseau, valeur la plus stable de leur activité. En 2015, plus de 10,6 milliards d’euros (achats de fréquences inclus) ont été investis dans la 4G et la fibre optique. «Les investissements télécoms en France vont atteindre un record en 2016», promet Thomas Reynaud, directeur financier d’Iliad. Car, selon les experts, si les opérateurs ont réalisé des efforts significatifs au niveau macroéconomique, ils sont encore trop insignifiants par rapport à l’accélération de la technologie.

Ce développement entre dans le Plan France TDH lancé par l’Etat et destiné à améliorer la couverture du territoire d’ici à 2022. Il prévoit un investissement public-privé de 20 milliards d’euros sur dix ans. L’Etat entend rattraper le retard pris par la France. Selon l’Arcep, elle est à la 24e place dans la 4G et à la 29e place dans le très haut débit en Europe.

Les hébergeurs d’infrastructures, comme TDF ou FPS Towers, profitent de ce contexte, en louant leurs pylônes aux opérateurs. «Nos clients concentrent leurs capacités sur l’achat de technologies, pas sur les pylônes, assure Frédéric Zimer, dirigeant de FPS Towers. Ils ont besoin de nous pour alléger leurs besoins de financement».

Priorité à la convergence

Afin de rester compétitifs et de diversifier leurs sources de revenus, les quatre industriels optent pour des offres convergentes (fixe, Internet et mobile), enrichies de contenus et des services de qualité. La frontière entre télécoms et médias devient de plus en plus poreuse. Le groupe Altice en a fait son cheval de bataille, misant sur le sport, la presse et les fictions pour retrouver des abonnés SFR. Orange et Free passent des accords avec Canal+ pour proposer les chaînes Canalsat à leurs clients.

L’opérateur historique n’hésite pas à quitter son cœur de métier pour se lancer dans des domaines comme la banque. Dans cette optique, il a acquis en avril 65 % de Groupama Banque.

Parallèlement, tous sauf Bouygues Télécom multiplient les opérations de croissance externe afin de trouver de nouveaux relais : Orange en Afrique, Iliad en Italie, Altice aux Etats-Unis. Une diversification géographique destinée à compenser les chiffres d’affaires entre pays.

Une consolidation bienvenue

Malgré tout, les analystes sont unanimes : une consolidation du secteur est incontournable. Les équipementiers télécoms ont eux déjà commencé à recomposer leur marché, face à l’intensification de la concurrence, notamment asiatique avec Huawei, et à l’accélération des révolutions technologiques. Ainsi, le Finlandais Nokia et le Franco-Américain Alcatel ont fusionné en 2015 afin de faire poids aux côtés du numéro 1 mondial Ericsson.

Du côté des opérateurs, la situation semble plus complexe. Après les tentatives avortées de rachat de Bouygues et la fusion SFR-Numericable coûteuse en abonnés et en économies, les quatre principaux acteurs pourraient revenir aux discussions. Rien d’officiel, et selon les analystes, aucune opération ne devrait intervenir avant l’élection présidentielle de 2017.

«Si la croissance ne revient pas et que les marges restent sous la pression des prix, alors que les besoins d’extension des réseaux fixe et mobile sont toujours aussi prégnants, alors les sous-jacents d’une consolidation perdureront», assure Xavier Pichon, directeur exécutif adjoint délégué en charge des finances, de la stratégie et du développement d’Orange France.

Une consolidation permettrait aux acteurs de regagner en visibilité et de la compétitivité en mutualisant et en rentabilisant leurs investissements. Ils pourraient atteindre une taille critique et ainsi peser dans le rapport de force au niveau européen et mondial.

A l’inverse, en l’absence d’un retour à trois, les opérateurs pourraient rencontrer des difficultés pour financer l’achat de futures licences. Une situation qui serait insatisfaisante pour l’Etat, comme pour le marché, car Orange, qui investit plus largement que ses concurrents, pourrait se retrouver à nouveau en situation de monopole.

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