Une pierre de plus dans la construction délicate de la validité des engagements de non-concurrence liant les cédants d’entreprises et dont les missions se poursuivent postérieurement à la cession de leurs parts.
Tant que le cédant reste simple associé, la clause de non-concurrence ne pose généralement pas de difficulté, à condition d’être limitée dans le temps et l’espace, et proportionnée à la protection des intérêts légitimes de l’acquéreur.
La situation se complique lorsque le cédant devient salarié de la société cédée, souvent pour accompagner la transition. La chambre commerciale de la Cour de cassation l’a rappelé dans un arrêt du 17 septembre 2025 : un associé ayant cédé ses parts avait signé un premier acte de cession avec une clause de non-concurrence, puis un acte réitératif quelques jours plus tard, rendant caducs les engagements précédents. A cette occasion, il devenait salarié, sans clause de non-concurrence dans son contrat de travail. Poursuivi par la société pour avoir créé une activité concurrente après sa démission quelques mois plus tard, il soutenait que, devenu salarié au moment de la signature de l’acte réitératif, la clause de non-concurrence était nulle, faute de contrepartie financière. Cette position est retenue par la Cour de cassation, qui confirme la nullité de la clause de non-concurrence prévue par l’acte réitératif, en considérant que le cédant avait la qualité de salarié au jour de la signature de celui-ci.
En effet, une clause de non-concurrence applicable à un salarié doit impérativement être limitée dans le temps et l’espace, proportionnée aux intérêts à protéger, et assortie d’une contrepartie financière. Ce principe s’applique même si la clause figure dans un pacte d’actionnaires ou un acte de cession. A défaut, la clause est nulle.
Comment sécuriser l’engagement de non-concurrence du cédant ?
Prévoir une clause rémunérée aurait assuré sa validité. Néanmoins, l’acquéreur estime fréquemment que le prix de cession des titres inclut déjà l’engagement de non-concurrence du cédant. Il reste toutefois possible de le sécuriser sans coût supplémentaire.
La nullité aurait pu en effet être évitée si le contrat de travail avait été signé et avait pris effet postérieurement à l’acte prévoyant l’engagement de non-concurrence. C’est ainsi qu’en 2021, la Cour de cassation a validé la clause de non-concurrence d’un cédant dont le contrat de travail, annoncé dans l’acte de cession, n’avait été signé que deux jours après. Prudence toutefois, car, en droit du travail, la promesse d’embauche vaut contrat de travail : il convient donc de ne pas détailler tous les éléments essentiels du futur contrat dans l’acte de cession.
Une autre option peut être envisagée dans certaines hypothèses : nommer le cédant en tant que dirigeant mandataire social. Le mandataire social, sous réserve qu’il n’ait pas par ailleurs également la qualité de salarié (y compris sous la forme d’un ancien contrat de travail suspendu), peut être soumis à un engagement de non-concurrence sans contrepartie financière.
Une protection reste possible
D’autres voies d’action restent ouvertes. L’acquéreur aurait pu, même en dehors d’engagement spécifique de non-concurrence, invoquer la garantie légale d’éviction prévue à l’article 1626 du Code civil, selon laquelle le cédant doit s’abstenir de tout acte susceptible de nuire à la jouissance paisible des droits cédés, notamment en s’abstenant de concurrencer l’activité de la société. Cette obligation, qui découle de la loi, doit elle-même rester proportionnée et, en pratique, limitée dans son champ d’application et sa durée.
Par ailleurs, la nullité d’une clause de non-concurrence n’empêche pas d’agir contre l’ancien salarié associé sur le fondement de la concurrence déloyale, si ce dernier commet des actes portant préjudice à la société.
En anticipant la portée, les modalités et le calendrier de mise en œuvre d’une clause de non‑concurrence, les parties se placent dans des conditions plus favorables à une cession de droits sociaux apaisée et lisible, en limitant les zones d’incertitude et, partant, les risques de futurs contentieux.