La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Mars 2017

Distributions financées par emprunt : le juge fiscal veille au grain

Publié le 24 mars 2017 à 11h44    Mis à jour le 24 mars 2017 à 15h30

Laurent Hepp, avocat associé en fiscalité et Alexia Cayrel, avocat en fiscalité

Si la liberté de gestion fiscalement reconnue aux entreprises leur confère en principe toute latitude dans le choix du financement de leurs activités entre emprunts et fonds propres, la mise en œuvre de ce principe s’est vue encadrée au cours de la dernière décennie par des dispositions légales toujours plus nombreuses limitant la déduction des intérêts d’emprunt (lutte contre la sous-capitalisation, rabot, prêts hybrides, etc.).

Par Laurent Hepp, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity. laurent.hepp@cms-bfl.com

et Alexia Cayrel, avocat en fiscalité. Elle intervient essentiellement en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés, des actionnaires et des dirigeants. alexia.cayrel@cms-bfl.com

Au-delà de l’application de ces dispositifs ciblés, l’administration fiscale s’intéresse de près au financement des distributions de dividendes comme des rachats-annulations et la jurisprudence récente a eu à se prononcer sur la déductibilité de charges financières contestée par le fisc sur le fondement de l’acte anormal de gestion ou de l’abus de droit fiscal. Un éclairage bien utile dans l’environnement actuel de taux bas où se multiplient les opérations de refinancement, de dividend recap et autres debt push down.

Ainsi, dans une affaire SNC Saint-Gaudinoise qui a défrayé la chronique fiscale en 2016, le contentieux s’est noué – à ce stade dans un sens défavorable au contribuable – autour de la question de l’intérêt social de la société qui avait souscrit un emprunt pour financer le rachat de ses propres titres en vue de leur annulation.

Sur le terrain de l’abus de droit, l’administration fiscale a, dans une affaire portée récemment devant le Conseil d’Etat, remis en cause la déduction des intérêts versés à raison d’obligations remboursables en actions (ORA) par une société qui, de façon concomitante et pour des montants relativement proches, avait procédé à une distribution de dividendes au profit de son unique actionnaire et émis des ORA souscrites par ce même actionnaire.

La Haute juridiction, dans un arrêt rendu le 13 janvier 20171, a conclu au caractère abusif de ces deux opérations synchrones qui s’étaient traduites par un simple jeu d’écritures comptables dépourvu de flux financier, et sans retenir les justifications «non fiscales» que le contribuable tentait d’invoquer.

Si la solution peut de prime abord paraître sévère, on relèvera qu’au cas d’espèce les opérations successives de restructuration impliquaient des sociétés souscriptrices implantées au Delaware non imposées sur les intérêts perçus au titre des ORA et aboutissaient in fine à un actionnariat inchangé au niveau de la société émettrice des ORA, en dépit pourtant de plusieurs cessions intragroupes des titres de cette société.

En prenant soin de souligner que «la cour, qui n’a pas entendu juger que le choix de financer une distribution de dividendes en recourant à l’emprunt était en lui-même constitutif d’un abus de droit, n’a pas commis d’erreur de droit», le Conseil d’Etat laisse toutefois espérer que les cas dans lesquels un abus de droit pourrait être caractérisé devraient rester cantonnés aux opérations les plus caricaturales n’engendrant aucune sortie de cash et financées via un endettement intragroupe2. A tout le moins devrait-on pouvoir déduire de cette incise qu’à lui seul, le fait qu’une distribution soit financée par emprunt ne saurait suffire à matérialiser fiscalement l’existence d’un abus.

Cette approche n’est pas sans rappeler celle apparue en 2011 dans les conclusions du rapporteur public sous un fameux arrêt Bourdon3 relatives à la validité fiscale des opérations de LBO, selon lesquelles, dès lors que l’opération ne s’est pas déroulée «en circuit fermé» (en faisant notamment intervenir une banque prêteuse), sa rationalité économique devrait pouvoir être valablement opposée à l’administration en cas de contestation.

Il reste cependant que ces décisions jurisprudentielles récentes appellent les opérateurs à une vigilance accrue quant au financement par emprunt de leurs opérations de distributions de dividendes ou de rachat de titres, eu égard à la frontière ténue séparant liberté de gestion, acte anormal de gestion et abus de droit.

1. CE, 13 janvier 2017, n° 391196, Ingram Micro.

2. Cf. dans un sens analogue, l’analyse publiée en avril 2015 par la DGFiP dans ses fiches descriptives des «montages abusifs».

3. CE 27 janvier 2011, n° 320313, Epoux Bourdon.


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