La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Octobre 2021

La prescription de la responsabilité pénale

Publié le 8 octobre 2021 à 16h16

Par Julien Delvallée, of counsel au sein de la doctrine juridique et maître de conférences à l’Université Paris-Saclay. Il intervient en droit des sociétés, droit commercial et droit des obligations. julien.delvallee@cms-fl.com

Le revirement de jurisprudence opéré en matière de transfert de la responsabilité pénale de l’absorbée vers l’absorbante1 souligne l’importance qu’il y a, dans les opérations d’audit pré-fusion, à ne pas perdre de vue les règles applicables à la prescription de la responsabilité pénale. Ce d’autant plus que si l’absorbante ne peut être, selon l’arrêt du 25 novembre 2020, condamnée qu’à des peines d’amendes et de confiscations pour des infractions commises par l’absorbée (transmission universelle de patrimoine oblige selon la Cour), ce sont potentiellement toutes les infractions, sans distinction, qui sont visées par l’arrêt. En laissant de côté la question de la computation du délai qui n’appelle pas d’observations ici (calculé de quantième à quantième pour expirer le dernier jour à minuit2), deux rappels peuvent être effectués.

Doublement des délais de prescription

Le premier concerne les délais de droit commun applicables à la prescription de l’action publique qui ont été doublés par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale (les contraventions restent assujetties à la prescription d’un an). Est ainsi portée à 20 ans la prescription de l’action publique en matière de crimes et à six ans celle des délits (CPP, art. 7, al. 1 et 8, al. 1), contre 10 et trois ans auparavant, étant rappelé que ces nouveaux délais sont d’application immédiate aux prescriptions non encore acquises (C. pén., art. 112-2, 4°), soit, concrètement, aux infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi (1-3-2017) mais non prescrites.

Vigilance sur le point de départ de la prescription

Le second rappel est relatif au point de départ de la prescription. La loi n° 2017-242 a sur ce point consacré l’essentiel de la jurisprudence antérieure. En principe, c’est au jour de la commission de l’infraction que court le délai de prescription, de sorte qu’il est en théorie possible de mesurer le risque de condamnation de l’absorbante lié à d’éventuelles infractions commises par l’absorbée. 

Mais, pour trois raisons au moins, les choses peuvent être plus complexes. 

D’abord, la nature de l’infraction influe sur le point de départ du délai. Par exemple, pour une infraction instantanée la prescription court à compter du jour où les faits sont commis, tandis que pour une infraction continue elle ne court qu’à compter du jour où elle a cessé : en matière de recel, au jour où le receleur se dessaisit de la chose3. 

Ensuite, le cours de la prescription est suspendu, en cas, notamment, d’« obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure » (CPP, art. 9-3, consacrant Ass. Plén., 7-11-2014, n°14-83739).

Enfin et surtout, s’agissant des infractions occultes ou dissimulées, c’est-à-dire qui ne peuvent être connues ni de la victime ni de l’autorité judiciaire, la prescription ne court qu’« à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique » (CPP, art. 9-1, al. 2, sans excéder un délai butoir, par ex. 12 ans pour les délits). Tel le cas en matière d’ABS, où la prescription court en principe au jour de la présentation des comptes annuels dans lesquels figurent les dépenses mises indûment à la charge de la société, mais est retardée en cas de dissimulation, au jour de sa révélation, par exemple lorsqu’un système opaque de facturation de prestations fictives n’est révélé que par la transmission du dossier d’instruction au parquet4. De même, pour les pratiques commerciales trompeuses, il est jugé que la prescription court du jour où les victimes sont mises en mesure de constater la fausseté du contenu d’une publicité en vue de la souscription à un produit financier5.

1. Crim. 25-11-2020, n° 18-86.955.

2. Crim., 9-1-2018, n° 16-86735.

3. Crim., 6-5-2009, n°08-84107.

4. Crim, 6-11-2019, n°17-87150.

5. Crim., 3-12-2019, n°18-86317.

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Au sommaire de la lettre


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