La lettre gestion des groupes internationaux

Novembre 2018

Restructurations internationales – L’administration a publié ses premiers commentaires

Publié le 30 novembre 2018 à 12h12

Valérie Aelion

La loi de finances rectificative pour 20171 a modifié sur de nombreux points le régime fiscal des fusions et opérations assimilées, avec l’objectif principal de mettre ce régime en conformité avec le droit de l’Union européenne. L’administration fiscale a récemment publié ses commentaires sur les aménagements apportés par le législateur2 afin de préciser certains points et de lever des interrogations, même si des incertitudes demeurent. Le présent article a pour objet de passer en revue les commentaires intéressant le traitement des opérations de restructurations transfrontalières dont certains aspects ont été jugés non conformes par la CJUE.

Par Valérie Aelion, avocat, PwC Société d’Avocats

Les apports par une entité française à une société étrangère

Avant la loi de finances rectificative pour 2017, le régime de faveur des fusions en cas d’apport par une entité française à une société étrangère ne pouvait s’appliquer que sur agrément préalable dans les conditions prévues par le CGI. Cette nécessité d’un agrément préalable a été jugée non conforme au principe de liberté d’établissement par une décision de la CJUE du 8 mars 20173. Pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2018, le législateur a donc supprimé l’agrément préalable et prévu que désormais, le régime spécial des fusions s’applique aux opérations de fusions, de scissions et d’apports partiels d’actifs d’une branche complète d’activité réalisées au profit de personnes morales étrangères, à condition toutefois que les éléments apportés soient effectivement rattachés à un établissement stable de la personne morale étrangère situé en France (art. 210 C, 2. du CGI)4.

Dans son récent BOFiP, l’administration apporte des précisions intéressantes sur cette question du rattachement des actifs à un établissement stable. Ainsi précise-t-elle tout d’abord que l’obligation de rattachement ne trouve à s’appliquer qu’aux éléments apportés inscrits, préalablement à l’opération, à l’actif ou au passif du bilan fiscal français d’une personne morale. Ainsi, dans le cas où une société française apporterait des éléments provenant d’un établissement stable étranger, ces éléments ne seraient pas soumis à l’obligation d’être rattachés à un établissement stable situé en France.

L’administration met en outre fin à des interrogations concernant l’effet rétroactif de telles opérations en précisant qu’un tel effet ne peut être antérieur à la date d’ouverture du premier exercice de l’établissement stable, ce dernier devant être constitué avant la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l’opération.

Une autre précision très attendue concerne le sort des apports de titres assimilés à une branche complète d’activité, qui ne sont pas visés par la nouvelle rédaction du 2 de l’article 210 C qui n’évoque que les apports partiels d’actifs. Il est vrai que les apports de participations assimilés à une branche complète d’activité n’emportent pas forcément le rattachement à un établissement stable. Lors des débats parlementaires sur le texte, l’administration fiscale avait indiqué que cette rédaction ne ferait pas obstacle à l’application du régime de faveur à des apports de participations assimilés à une branche complète d’activité. Les commentaires administratifs ont le mérite de clarifier définitivement ce point en précisant que l’obligation de rattachement à un établissement stable n’est pas exigée pour les opérations d’apports de participations assimilées à une branche complète d’activité, de même que pour les opérations de fusion dont les éléments apportés sont exclusivement constitués de titres de participations (fusion-absorption d’une pure holding). En revanche, les apports qui ne sont pas exclusivement constitués de titres de participations restent soumis à l’obligation de rattachement à un établissement stable situé en France pour pouvoir bénéficier du régime de faveur (cas d’une fusion de holdings rendant des services à leurs filiales et disposant d’actifs autres que les titres de participations).

Par ailleurs, dans le cadre d’un apport soumis au régime de faveur par une société française à une société étrangère, la société apporteuse est désormais tenue de souscrire, dans le même délai que sa déclaration de résultats, une déclaration spéciale permettant d’apprécier les motifs et conséquences de l’opération (article 210-0 A du CGI). L’administration rappelle dans son BOF-P les mentions à porter dans cette déclaration dont le contenu a été fixé dans un décret codifié à l’article 46 quater-0-ZS ter de l’annexe III au CGI. Le non-respect de cette obligation déclarative est sanctionné par une amende de 10 000 euros par opération mais ne remet pas en cause l’application du régime de faveur.

L’apport d’une succursale française par une société étrangère à une société française

Avant 2018, l’apport par une société étrangère de sa succursale française à une société française était soumis à agrément, dès lors que la société étrangère n’était pas imposable en France à raison des plus-values qui pouvaient être réalisées lors de la cession ultérieure des titres de la société française reçus en contrepartie de son apport. Pour assurer l’imposition future en France de cette plus-value potentielle et respecter ainsi la condition prévue par l’article 210 B 1, b5 du CGI, l’agrément n’était, en pratique, accordé qu’à condition que les titres reçus en contrepartie de l’apport soient réapportés à une société holding établie en France.

Cet engagement, qui ne figure pas dans la directive sur les fusions, ayant été supprimé par la même loi de finances rectificative (et transformé en règle d’assiette), l’administration s’est vue contrainte de modifier sa doctrine sur ce sujet. Ainsi, non seulement cet agrément n’est plus exigé mais les nouveaux commentaires précisent en outre que lorsque l’opération peut être considérée comme portant sur une branche complète d’activité, il n’est pas exigé que les titres remis en contrepartie de l’apport soient rattachés à un établissement stable situé en France. L’administration française abandonne donc, sous la réserve de l’abus de droit, la possibilité d’imposer la plus-value en cas de cession ultérieure par la société apporteuse étrangère des titres reçus en contrepartie de son apport (sauf disposition d’une convention internationale prévoyant l’imposition en France de la plus-value résultant d’une telle cession de titres).

En revanche, si la succursale française procède elle-même à un apport partiel d’actifs au profit d’une société française, les titres remis en rémunération de l’apport devront dans cette hypothèse être rattachés à la succursale.

L’apport d’une succursale française par une société étrangère à une société étrangère

Ce dernier cas de figure n’est pas évoqué par les commentaires administratifs. Jusqu’à présent, l’application du régime spécial était soumise à un agrément de l’administration, délivré dès lors que l’ensemble des éléments nécessaires à l’exercice de l’activité de l’établissement stable français était maintenu à l’actif de celui-ci et que la société apporteuse prenait l’engagement de conserver les titres reçus en rémunération de son apport pendant au moins trois ans. En toute logique, l’obtention d’un agrément ne devrait désormais plus être nécessaire et l’opération devrait pouvoir bénéficier du régime de faveur dès lors que l’ensemble des éléments nécessaires à l’exercice de l’activité de l’établissement stable français est maintenu à son actif.

1. Article 23 de la loi 2017-1775 de finances rectificative du 28 décembre 2017.

2. Les commentaires sur la procédure d’obtention d’un agrément, lorsque celui-ci demeure nécessaire, seront publiés ultérieurement.

3. CJUE aff.14/16.

4. Pour les opérations antérieures à cette date qui auraient été réalisées en dépit d’un refus d’agrément, les nouvelles dispositions devraient pouvoir s’appliquer compte tenu de la décision de la CJUE et sous réserve que les conditions prévues par le texte soient respectées.

5. Engagement de calculer les plus-values ultérieures de cession des titres remis en contrepartie de l’apport par référence à la valeur que les biens apportés avaient du point de vue fiscal dans ses propres écritures.


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