La lettre gestion des groupes internationaux

Juin 2018

Les principales dispositions de la nouvelle convention fiscale entre la France et le Luxembourg intéressant les entreprises

Publié le 18 juin 2018 à 16h45    Mis à jour le 22 juin 2018 à 15h31

Guillaume Glon, PwC Société d’Avocats

Le 20 mars 2018, la France et le Luxembourg ont signé une nouvelle convention fiscale ainsi qu’un protocole additionnel. Cette convention revêt un caractère historique puisqu’elle est la première convention bilatérale signée par la France postérieurement aux travaux et aux recommandations de l’OCDE visant à lutter contre l’érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices (projet BEPS) réalisés sous l’égide de l’OCDE et du G20. Cette convention est ainsi conforme au dernier modèle de convention fiscale de l’OCDE, adoptée le 21 novembre 2017, qui comporte un nombre important de changements résultant, en particulier, des rapports finaux sur les actions 2, 6, 7 et 14 produits dans le cadre du projet BEPS.

Par Guillaume Glon, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Cette convention remplacera la convention de 1958 actuellement en vigueur et qui avait, au fil des années, fait l’objet de divers amendements, notamment en matière de fiscalité immobilière. Elle s’appliquera pour la première fois aux impôts dus au cours de l’année civile suivant celle durant laquelle elle aura été ratifiée. En tout état de cause, en application de l’article 30 de la nouvelle convention, l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions interviendra au plus tôt au 1er janvier 2019.

Le titre et le préambule de la convention font désormais apparaître expressément l’objectif de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Faisant partie du contexte de la convention et constituant une déclaration générale de l’objet et du but de celle-ci, le titre et le préambule devraient désormais jouer un rôle important dans l’interprétation des dispositions du texte. En effet, conformément à la règle générale d’interprétation des traités contenue dans l’article 31(1) de la convention de Vienne sur le droit des traités, «[u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but».

Cet objectif se traduit notamment par l’introduction d’une clause anti-abus générale (article 28) excluant le bénéfice des avantages de la convention lorsqu’il est raisonnable de conclure que l’octroi d’un tel avantage était l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction. La rédaction de ce dispositif anti-abus sera, à n’en pas douter, à l’origine de nombreuses incertitudes, que les commentaires de l’OCDE sur la convention modèle ne contribuent guère à lever et que l’administration fiscale française semble vouloir laisser à l’appréciation du juge. En outre, l’article 4 relatif à la résidence comprend une clause anti-abus faisant référence au bénéfice effectif des revenus qui prévoit qu’une personne qui n’est que le bénéficiaire apparent des revenus (lesdits revenus bénéficiant en réalité, soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’autres personnes physiques ou morales, à une personne qui ne peut être regardée elle-même comme un résident dudit Etat) n’est pas considérée comme résident d’un Etat contractant. Sont notamment visés, à titre illustratif, les trustees ou fiduciaires. Enfin, le protocole prévoit que les dispositions de la nouvelle convention n’empêchent pas la France d’appliquer ses propres dispositifs anti-abus codifiés aux articles 115 quinquies, 123 bis, 155 A, 209 B, 212, 238 A et 238-0 A du code général des impôts ou d’autres dispositions analogues qui amenderaient ou remplaceraient celles de ces articles.

Le concept de «résidence fiscale» fait son apparition dans les relations franco-luxembourgeoises. En effet, malgré les différents amendements qu’elle a connus, la convention de 1958, actuellement en vigueur, ne vise que le domicile qui est défini, s’agissant des personnes morales, en fonction du siège de direction effective ou, à défaut, du siège social. Conformément au modèle de l’OCDE, la nouvelle convention prévoit que seules les personnes assujetties à l’impôt dans l’Etat considéré seront désormais résidentes fiscales de cet Etat et donc éligibles au bénéfice de la convention. A l’inverse, les entités exonérées d’impôt sur les sociétés, telles que les OPCI français, les sociétés d’investissement professionnelles spécialisées (SICAV FPS) ou les fonds d’investissement spécialisés au Luxembourg (SICAV SIF), ne pourront plus se prévaloir des dispositions conventionnelles.

Par ailleurs, la convention vise désormais expressément les sociétés de personnes en prévoyant que les revenus perçus via ou par une entité fiscalement transparente sont considérés comme des revenus d’un résident d’un Etat contractant dans la mesure où ils y sont imposés comme les revenus d’un résident de cet Etat. Il convient de souligner que, fidèle à sa position traditionnelle, la France considère comme résidents, pour l’application de la convention, les sociétés de personnes, les groupements de personnes ou autres entités analogues dont le siège de direction effective est en France, qui y sont assujettis à l’impôt et dont tous les porteurs de parts, associés ou membres sont personnellement soumis à l’impôt à raison de leur quote-part dans les bénéfices de ces entités en application de la législation fiscale française.

Des modifications substantielles ont également été apportées à la définition de l’établissement stable. Aux termes d’un dispositif anti-fragmentation, un établissement stable pourra notamment exister si une société ou plusieurs sociétés liées cumulent, dans un même Etat, différentes activités ne créant normalement pas d’établissement stable dès lors que l’ensemble ne présente pas un caractère préparatoire ou auxiliaire. En outre, la définition de l’agent dépendant est élargie puisqu’il peut s’agir non seulement d’une personne «qui agit pour le compte d’une entreprise et, ce faisant, conclut habituellement des contrats», mais également d’une personne qui «joue habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l’entreprise».

En matière de dividendes, la nouvelle convention abaisse à 5 % le niveau de participation requis pour bénéficier de l’exonération de retenue à la source. Néanmoins, ce niveau de participation devra être caractérisé pendant un an. En l’absence d’une telle détention, la retenue à la source sera de 15 %. Pour mémoire, la règle actuelle prévoit l’application d’une retenue à la source de 5 % sur les dividendes versés à des entités détenant au moins 25 % du capital de la société distributrice et de 15 % dans les autres cas. Autre nouveauté significative à laquelle il conviendra de prêter attention, notamment en cas de redressements en matière de prix de transfert, la notion de dividendes comprendra désormais l’ensemble des revenus réputés distribués.

Un régime d’imposition particulier est désormais prévu pour les distributions effectuées par un véhicule d’investissement de type SIIC/OPCI. Ces dispositions font l’objet d’une étude spécifique dans le présent cahier.

S’agissant des intérêts, la nouvelle convention prévoit un taux de retenue à la source de 0 %, en lieu et place du taux de 10 % actuellement en vigueur. Compte tenu des législations nationales qui, sauf exception, exonèrent les intérêts de retenues à la source, cette modification ne devrait avoir qu’une portée pratique limitée. Il est toutefois intéressant de constater que, conformément au modèle OCDE, les dispositions de l’article 11 ne s’appliquent qu’à hauteur de la fraction des intérêts considérée comme un intérêt de pleine concurrence. A contrario, la fraction des intérêts qui, compte tenu des relations spéciales existant entre le créancier et le débiteur, excéderait un intérêt de pleine concurrence resterait imposable, conformément à la législation nationale de l’Etat concerné et des autres dispositions de la convention.

Par ailleurs, les plus-values immobilières réalisées par un résident fiscal luxembourgeois du fait de la cession de biens immobiliers ou de titres de sociétés à prépondérance immobilière localisés en France sont imposables en France. Sont considérées comme étant à prépondérance immobilières les entités dont l’actif est composé, à tout moment au cours des 365 jours précédant la cession des titres, de biens immobiliers pour plus de 50 % de sa valeur, hors biens immobiliers affectés à l’activité de l’entreprise.

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