La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2021

Travaux de l’OCDE : restaurer la confiance en responsabilisant les Etats et les entreprises

Publié le 1 octobre 2021 à 10h58

PwC Société d’Avocats

Si le souci d’élimination de la double imposition des revenus est au cœur des préoccupations du Comité des affaires fiscales de l’OCDE, ses travaux ne seraient se résumer à ce volet.

Par Emmanuel Raingeard de la Blétière, Avocat, associé, PwC Société d’Avocats et Valentin Leroy, PwC Société d’Avocats

Depuis sa création en 1961, cette organisation internationale (et son prédécesseur l’OECE) est consciente des opportunités d’évitements fiscaux qu’offrent en parallèle la libéralisation des échanges à l’international et la fragmentation du globe en une pléiade de systèmes fiscaux hétéroclites. Il a ainsi toujours incité ses membres à se doter d’un arsenal législatif et réglementaire apte à appréhender et neutraliser les dispositifs de fraude et d’évasion fiscales susceptibles d’être mis en œuvre par les particuliers et entreprises. Ses recommandations ont naturellement évolué au gré de la sophistication de leurs montages et de la complexification de leurs activités tant dans leur forme que dans leur essence.

A l’instar des autres branches du droit, la réaction originale de l’OCDE à l’encontre de ces comportements a reposé sur des contre-mesures destinées à en neutraliser les effets fiscaux avec, par exemple, l’ajout en 1977 de la clause de bénéficiaire effectif dans son Modèle de Convention fiscale. Ce mouvement s’est poursuivi avec, à son paroxysme, son projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (dit « BEPS ») aboutissant en 2015 à la publication des rapports sur les 15 actions et l’adoption l’année suivante de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir le BEPS. Grâce à cet instrument, les Etats ont été en mesure d’insérer directement dans leurs conventions fiscales bilatérales – et à la carte – une série de dispositifs anti-abus.

Nonobstant, les stratégies d’optimisation fiscale voire d’évitement fiscal existent, d’autant plus, que de tout temps, et encore aujourd’hui, elles sont encouragées – indirectement – par certaines juridictions soit par un abaissement de leur taux nominal d’imposition, soit par de subtiles régimes fiscaux (dont ils font parfois même la promotion). 

Dans ces conditions, l’OCDE semble se tourner vers une nouvelle approche assise sur la responsabilisation de l’ensemble des acteurs : Etats, contribuables et conseils. Cette responsabilisation repose sur une logique pédagogique, dissuasive mais aussi répressive. Par ailleurs, elle participe à la tendance de moralisation du droit fiscal : les travaux sur le civisme fiscal, et plus précisément, sur les facteurs qui motivent les agents économiques à s’acquitter de leur juste part d’impôts1, en sont un exemple. Notons qu’elle y met en exergue non seulement la responsabilité des contribuables mais aussi des Etats en soulignant le rôle de l’absence de sécurité juridique et d’égalité comme facteurs aboutissant à ne plus consentir à l’impôt. 

Ainsi, par exemple, les nouvelles obligations déclaratives s’inscrivent parfaitement dans cette nouvelle démarche de sensibilisation et de prévention (même si leur objet premier vise naturellement à approfondir et améliorer les contrôles fiscaux et la coopération administrative internationale). En imposant aux groupes multinationaux avec un chiffre d’affaires de plus de 750 millions d’euros de déclarer auprès de leurs autorités fiscales respectives l’allocation de leur chiffre d’affaires, effectif, bénéfice et impôt par juridiction (le « CbCR » issu de l’Action 13 du projet BEPS), ceux-ci doivent être en mesure d’expliquer leurs implantations fiscales, leurs allocations de profits etc. Si les entreprises sont habituées à le faire dans le cadre des contrôles fiscaux ou devant les tribunaux, la problématique est tout autre lorsque les informations sont publiques.

De la même façon, le Modèle de règles afférentes à la déclaration obligatoire d’informations relatives aux dispositifs de contournement de la NCD et aux structures extraterritoriales opaques publié en mars 2018 – aboutissement de l’Action 12 du projet BEPS qui a été décliné dans l’Union européenne par DAC 62 – vise ostensiblement à décourager les contribuables et les conseils fiscaux à employer (voire même à imaginer) des dispositifs d’optimisation fiscale agressifs. 

L’effet préventif de la transparence est même employé par l’OCDE sur les Etats eux-mêmes à travers l’Action 5 du projet BEPS qui les oblige à échanger spontanément des renseignements sur certains rescrits fiscaux qu’ils octroient aux contribuables (ceux présentant des risques BEPS à défaut d’échanges de renseignements). L’OCDE entend aussi dissuader les pays de concevoir et de mettre à disposition des contribuables des régimes fiscaux attractifs qui ne respecteraient pas certains standards. Ainsi les régimes fiscaux potentiellement dommageables sont analysés dans le cadre d’une revue par les pairs et s’ils sont mis en œuvre doivent être amendés ou abrogés. S’ils ne le font pas, les autres Etats sont incités à prendre des contre-mesures contre ces Etats mais aussi contre les contribuables qui les utiliseraient. 

Le Pilier 2 de la réforme fiscale internationale envisagée par l’OCDE, actuellement en négociation au sein du Cadre inclusif, devrait également contribuer à la responsabilisation des acteurs de la sphère fiscale. En effet, en assujettissant les groupes multinationaux réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros à une imposition à au moins 15 % de leurs bénéfices, il limiterait drastiquement l’intérêt pour les entreprises de recourir aux stratégies d’évitement fiscal trop performantes puisqu’en deçà de ce plancher leur avantage serait neutralisé. Ce plancher devrait également réfréner les tentations « moins disantes » des Etats qui s’étaient engagés dans une « race to the bottom » qui ne connaissait jusqu’à présent pas de limite. 

A côté de cette désincitation par la transparence, l’OCDE promeut également la collaboration internationale entre les groupes multinationaux et les autorités fiscales. Il s’agit de son programme ICAP (International Compliance Assurance Programme) pleinement ouvert depuis cette année à l’ensemble des membres du Forum sur l’administration fiscale et auquel participe la France. Ce dispositif (qui s’apparente à une forme de « relation de confiance » multilatérale) pourrait participer à l’apaisement de leurs relations et devrait également réduire l’emploi de stratégies d’évitements fiscaux agressives.

Enfin l’OCDE travaille, depuis de nombreuses années, sur la pénalisation du droit fiscal. En 2017, elle a publié l’étude intitulée « Lutte contre la délinquance fiscale – Les dix principes mondiaux »3, « guide de référence mondial énonçant les dix éléments clés permettant aux juridictions de lutter efficacement contre la criminalité fiscale » et qui a eu, selon l’organisation, une influence importante en fournissant un cadre reconnu internationalement permettant aux Etats de se comparer et de s’en inspirer. S’en est suivie, en 2020, la publication d’un « Modèle de maturité en matière d’enquêtes sur les délits fiscaux »4 permettant aux Etats de s’évaluer sur la base des « 10 principes mondiaux ». Dans une nouvelle édition de son étude5, l’OCDE publie une comparaison, sur la base desdits principes, des législations existantes dans 33 pays. Elle insiste sur la nécessité de la coopération internationale en la matière et sur la nécessité de prendre des mesures nationales pour lutter contre les professionnels qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc, sujet auquel elle a dédié un rapport début 20216.

L’approche de l’OCDE contribue à changer le « monde fiscal » en ne retenant pas la solution de facilité consistant à rejeter la faute sur les contribuables mais en adoptant une approche plus globale qui passe par la reconnaissance du rôle des Etats. Ce faisant, ses solutions doivent se concilier non seulement avec la protection des droits des contribuables – surtout en matière pénale – (comme elle le met elle-même en avant dans ses propositions) mais aussi avec la souveraineté des Etats.  

1. OCDE (2019), Tax Morale : What Drives People and Businesses to Pay Tax?, Éditions OCDE, Paris.

2. Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration.

3. OECD (2017), Fighting Tax Crime: The Ten Global Principles, OECD Publishing, Paris.

4. OCDE (2020), Le Modèle de maturité en matière d’enquêtes sur les délits fiscaux, OCDE, Paris.

5. OCDE (2021), Fighting Tax Crime – The Ten Global Principles, Second Edition, Éditions OCDE, Paris.

6. OCDE (2021), En finir avec les montages financiers abusifs : Réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc, OCDE, Paris. 


La lettre gestion des groupes internationaux

L’évolution de l’environnement fiscal de l’entreprise entre transparence, confiance et lutte contre la délinquance - Editorial

PwC Société d’Avocats

La mondialisation, des scandales retentissants, des budgets étatiques mis à mal par une crise financière et une crise sanitaire… ces évènements ont tous contribué à un bouleversement de l’approche de la fiscalité des entreprises par les différents acteurs et partie prenantes.

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…