La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2019

Charges financières : des règles durcies pour les sociétés ou groupes sous-capitalisés

Publié le 15 mars 2019 à 10h27    Mis à jour le 15 mars 2019 à 16h38

Marie-Hélène Pinard-Fabro, PwC Société d’Avocats

Sans surprise, la réforme des modalités de déduction des charges financières comporte un volet relatif à la sous-capitalisation. Les dispositions antérieures en la matière ne sont supprimées que pour laisser place à de nouvelles règles, directement intégrées au nouveau dispositif, et ce conformément à la possibilité offerte aux Etats membres par la directive ATAD (directive 2016/1164 du 12 juillet 2016), autorisant l’utilisation de «règles ciblées pour lutter contre le financement de la dette intragroupe, en particulier des règles en matière de sous-capitalisation», en complément de la règle générale plafonnant la déduction des charges financières nettes à 30 % de l’Ebitda fiscal (ou 3 millions d’euros).

Par Marie-Hélène Pinard-Fabro, avocat, PwC Société d’Avocats

Si elles apparaissent rigoureuses aux yeux de certains, les nouvelles règles anti-sous-capitalisation sont très sensiblement adoucies par rapport à celles du projet de loi déposé par le gouvernement en septembre 2018. Ce dernier divisait purement et simplement par trois le plafond de déduction applicable aux sociétés sous-capitalisées, le ramenant à 10 % de l’Ebitda fiscal ou 1 million d’euros, sans aucun mécanisme de lissage et sans possibilité d’apporter la preuve de l’absence de sous-capitalisation.

Notion de sous-capitalisation

Une société est désormais présumée sous-capitalisée lorsque son endettement auprès d’entreprises liées au sens de l’article 39, 12 du CGI excède 1,5 fois ses fonds propres appréciés, au choix de l’entreprise, à l’ouverture ou à la clôture de l’exercice.

Dans le cadre du régime antérieur (CGI article 212, II), la notion de sous-capitalisation était fondée sur trois ratios qui devaient être cumulativement dépassés :

– un ratio d’endettement, fondé sur le principe selon lequel les avances faites par des entreprises liées ne doivent pas dépasser 1,5 fois les capitaux propres ; ces derniers pouvaient être appréciés, au choix de la société concernée, soit à l’ouverture soit à la clôture de l’exercice et il était admis que la société puisse substituer à la valeur de ses capitaux propres celle de son capital social versé apprécié à la clôture de l’exercice ;

– un ratio de couverture d’intérêts selon lequel les intérêts versés par une société à des entreprises liées ne devaient pas excéder 25 % de son résultat courant avant impôt majoré de ses charges d’intérêts, d’amortissements et des quotes-parts de loyers de crédit-bail correspondant au remboursement du capital du bien loué ;

– un ratio d’intérêts servis par des entreprises liées, fondé sur le principe selon lequel une entreprise ne doit pas verser aux entreprises qui lui sont liées plus d’intérêts qu’elle n’en reçoit de ces mêmes entreprises.

Dans sa nouvelle acception, la sous-capitalisation ne repose plus que sur le premier de ces ratios, ce qui devrait avoir la conséquence défavorable de faire basculer plus facilement les entreprises dans le dispositif. Cependant, la référence à la notion de capitaux propres est remplacée par celle de fonds propres, solution un peu plus avantageuse que par le passé, les fonds propres étant, aux termes du PCG, composés des capitaux propres augmentés des autres fonds propres, lesquels recouvrent en principe le montant des émissions de titres participatifs, les avances conditionnées et dans les entreprises concessionnaires les droits du concédant.

Pour l’application des nouvelles règles de sous-capitalisation, les exceptions prévues dans le cadre des anciennes règles, qui visaient à apporter un peu de souplesse à certaines activités financières intragroupes, sont maintenues. Ne sont donc pas considérées comme mises à disposition par des entreprises liées :

– les sommes mises à la disposition de la société centralisatrice dans le cadre de conventions de cash-pooling ;

– les sommes afférentes à l’acquisition de biens donnés en location dans le cadre de contrats de location financière intragroupe visés aux 1. et 2. de l’article L. 313-7 du Code monétaire et financier ;

– les sommes laissées ou mises à disposition des établissements de crédit ou des sociétés de financement mentionnés à l’article L. 511-1 du Code monétaire et financier.

Conséquences de la sous-capitalisation

Lorsque la sous-capitalisation est caractérisée, les charges financières nettes déductibles de l’entreprise sont réduites par rapport à la règle de droit commun, selon des modalités de calcul qui peuvent apparaître complexes, et reposent sur le postulat selon lequel l’endettement auprès d’entreprises liées reste acceptable d’un point de vue fiscal – et doit donc recevoir le même traitement que l’endettement auprès de tiers – à hauteur de 1,5 fois les fonds propres.

L’évaluation des charges financières déductibles d’une entreprise sous-capitalisée consiste donc à calculer dans un premier temps la proportion de sa dette acceptable sur le plan fiscal, ainsi que la proportion de sa dette relevant de règles de déduction plus restreintes, à l’aide des pourcentages suivants :

– x % : [dettes auprès d’entreprises non liées, majorées de 1,5 fois les fonds propres de l’entreprise/dettes totales de l’entreprise] ;

– y % : [dettes auprès d’entreprises liées excédant 1,5 fois les fonds propres de l’entreprise/dettes totales de l’entreprise].

Ces pourcentages sont ensuite appliqués aux charges financières nettes de l’entreprise et aux plafonds de déduction de la manière suivante :

– x % des charges financières nettes peuvent être déduites dans la limite de x % de 30 % de l’Ebitda fiscal (ou de 3 millions d’euros) ;

– y % des charges financières nettes peuvent être déduites dans la limite de y % de 10 % de l’Ebitda fiscal (ou 1 million d’euros).

Aucune déduction complémentaire n’est autorisée. Une entreprise sous-capitalisée est donc privée de la clause de sauvegarde qui permet aux entreprises membres d’un groupe consolidé de bénéficier d’une déduction supplémentaire de 75 % des charges financières non déduites en application du plafond de 30 % de l’Ebitda fiscal (ou 3 millions d’euros), à condition de pouvoir démontrer que le ratio entre ses fonds propres et l’ensemble de ses actifs n’est pas inférieur de plus de deux points au même ratio, déterminé au niveau du groupe consolidé auquel elles appartiennent.

Clause de sauvegarde

Introduite par amendement, une clause de sauvegarde permet aux entreprises dont le ratio d’endettement est supérieur à 1,5 et qui sont de ce fait présumées sous-capitalisées, d’apporter la preuve contraire en démontrant que le ratio d’endettement du groupe consolidé auquel elles appartiennent n’est pas inférieur de plus de deux points à leur propre ratio d’endettement. Cette comparaison doit être effectuée sur la base du ratio d’endettement global de l’entreprise, déterminé à partir de l’ensemble de ses dettes (et non pas seulement de ses dettes envers des entités liées) comparé à ses fonds propres.

Le groupe consolidé est défini pour les besoins de ce dispositif comme l’ensemble des entreprises dont les comptes sont consolidés par intégration globale pour l’établissement des comptes consolidés, soit selon le référentiel français (Code de commerce, article L. 233-18), soit selon le référentiel IFRS (Code de commerce, article L. 233-24). La référence à la notion d’intégration globale implique la seule prise en considération des entités sous contrôle exclusif. Pour les besoins de cette comparaison, le texte précise que les dettes et les fonds propres de l’entreprise sont évalués selon la même méthode que celle utilisée dans les comptes consolidés.

L’application de cette disposition soulève plusieurs difficultés dont il faut souhaiter qu’elles seront aplanies par l’administration dans ses commentaires au Bofip. En effet, faute d’appartenir à un groupe consolidé, une société ne peut, à la lettre du texte, démontrer qu’elle n’est pas sous-capitalisée, ce qui place de fait les petits groupes dans une situation très défavorable. Il serait opportun que l’administration précise si les comptes consolidés, établis volontairement, en l’absence d’obligation légale, peuvent néanmoins être utilisés par une entité qui souhaite se prévaloir de la clause de sauvegarde, et sous quelles conditions, notamment, de certification. La question se pose aussi de déterminer quels référentiels peuvent être retenus pour l’exercice, car si le texte ne vise que le référentiel français et le référentiel IFRS, il semble néanmoins indispensable que puissent également être pris en considération les comptes consolidés établis selon des normes étrangères non expressément mentionnées (US GAAP et GAAP européens notamment).

Sort des charges financières non déductibles

La sévérité du régime réservé aux entités sous-capitalisées transparaît nettement au travers des règles qui leur sont applicables en matière de report de charges financières nettes ou de capacité de déduction inemployée. Alors que pour la généralité des entreprises, les charges financières nettes non déductibles au titre d’un exercice sont reportables dans leur intégralité et sans limitation de durée, il n’en est pas de même pour les entreprises sous-capitalisées qui ne peuvent reporter qu’à hauteur du tiers de son montant la fraction des charges financières nettes non déduites au titre du plafond calculé à partir de 10 % de l’Ebitda fiscal (ou 1 million d’euros). Les deux tiers des charges financières non déduites au titre du plafond de 10 % de l’Ebitda fiscal (ou 1 million d’euros) sont donc définitivement perdues. Il serait d’ailleurs souhaitable que l’administration précise dans ses commentaires que ces sommes ne présentent pas le caractère de revenus réputés distribués. Dans le régime antérieur, cette précision était apportée par l’article 112, 8° du CGI.

Une fois ces calculs effectués, les charges financières qui demeurent reportables peuvent être déduites au titre des exercices suivants, si les charges financières nettes d’un exercice sont inférieures au plafond de cet exercice. Toutefois, une entreprise sous-capitalisée au titre d’un exercice est privée de la possibilité d’imputer ses charges financières nettes en report sur la capacité de déduction relevant du plafond de 10 % de l’Ebitda fiscal (ou 1 million d’euros) de cet exercice.

De plus, les entreprises sous-capitalisées au titre d’un exercice qui disposeraient au titre de ce même exercice d’une capacité de déduction inemployée, que ce soit au titre du plafond de 30 % de l’Ebitda fiscal (ou 3 millions d’euros) ou au titre du plafond de 10 % de l’Ebitda fiscal (ou 1 million d’euros) sont privées du droit de la reporter sur les cinq exercices suivants, contrairement aux entreprises qui ne sont pas sous-capitalisées.

Sous-capitalisation et intégration fiscale

Les entités membres d’un groupe fiscal intégré sont regardées comme une entité unique pour l’application des nouvelles règles. Les mêmes plafonds s’appliquent donc au niveau du groupe pris dans son ensemble.

Un calcul de sous-capitalisation est prévu au niveau du groupe fiscal intégré, prenant en compte ses fonds propres comparés à son endettement auprès d’entreprises liées non membres du périmètre.

Une clause de sauvegarde permet également de démontrer que le groupe fiscal intégré n’est pas sous-capitalisé, ce qui suppose d’établir que le ratio entre ses fonds propres et l’ensemble de ses actifs n’est pas inférieur de plus de 2 % à ce même ratio déterminé au niveau du groupe consolidé. Ces agrégats doivent être déterminés, aussi bien au niveau du groupe fiscal qu’au niveau du groupe consolidé, selon la même méthode que celle utilisée dans les comptes consolidés par intégration globale, règle dont l’application sera une nouvelle fois source de complexité puisqu’elle requiert l’utilisation de données consolidées sur un périmètre limité à celui de l’intégration fiscale et nécessitera vraisemblablement la mise en place d’un sous-palier de consolidation. Les précisions de l’administration et les éventuelles mesures de simplification qu’elle pourra accepter seront, à ce sujet encore, bienvenues.


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Le nouveau dispositif de déduction des charges financières : quelques considérations sur la notion d’Ebitda fiscal

Valérie Aelion, PwC Société d’Avocats

L’ancien dispositif du rabot prévoyait de manière assez simple la réintégration dans le résultat fiscal des entreprises d’une fraction égale à 25 % des charges financières nettes de l’exercice. Le nouveau dispositif de plafonnement de la déduction des charges financières mis en œuvre par l’article 34 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, et applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019, introduit un mécanisme fondamentalement différent puisque les charges financières nettes seront désormais déductibles dans la limite de 30 % de l’Ebitda fiscal de la société1 (ou de 3 millions d’euros si ce montant est supérieur).

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