La lettre gestion des groupes internationaux

Mars 2019

Conséquences d’un «hard Brexit» en matière d’impôt sur les sociétés : les sujets traités et les autres…

Publié le 15 mars 2019 à 10h27    Mis à jour le 15 mars 2019 à 16h38

Emmanuel Picq, PwC Société d’Avocats

Le Code Général des Impôts réserve un bon nombre de mesures, généralement favorables aux contribuables, aux opérations réalisées par ou entre sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés en France ou avec des sociétés soumises à un «impôt équivalent» dans un Etat membre de l’Union Européenne (UE) ou de l’Espace Economique Européen (EEE) ou encore avec des sociétés «établies» dans un Etat membre de l’UE ou dans l’EEE.

Par Emmanuel Picq, avocat associé, PwC Société d’Avocats

La sortie du Royaume-Uni de l’UE (Brexit), prévue par défaut au 30 mars 2019 sauf décision de report de dernière minute, priverait d’effet de telles mesures sous réserve d’un accord de sortie prévoyant l’application du droit de l’UE à de telles situations pendant une période transitoire. Par ailleurs, l’adhésion du Royaume-Uni à l’EEE n’étant pas à l’ordre du jour, cette option n’est pas considérée comme réaliste à court terme. Un Brexit sans accord («hard Brexit») entraînerait donc la fin de ces mesures de faveur.

Dans la perspective d’un «hard Brexit» et d’une non-adhésion du Royaume-Uni à l’EEE, le législateur a jugé utile de prévoir quelques mesures d’atténuations, dont certaines ont d’ailleurs une portée plus large que le cadre strict du Brexit. Toutefois, il est loin d’avoir résolu toutes les difficultés posées par un «hard Brexit» en matière d’impôt sur les sociétés. Nous en évoquerons quelques-unes.

Des mesures d’atténuation bienvenues

La première mesure impactée par un «hard Brexit» est l’intégration fiscale, du moins dans deux de ses figures connues sous le nom d’intégration fiscale «horizontale» et «Papillon» et introduites dans le Code Général des Impôts à la suite de décisions de la Cour de Justice de l’UE.

La première figure permet de constituer une intégration fiscale entre des sociétés sœurs françaises filiales d’une même société mère (ci-après Entité Mère Non Résidente ou EMNR) soumise à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés dans un Etat membre de l’UE ou dans un Etat partie à l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale (ci-après, une Convention), le cas échéant par l’intermédiaire de sociétés soumises à un impôt équivalent dans ces mêmes Etats (ci-après, Sociétés Etrangères ou SE).

La seconde figure permet à des sociétés établies et soumises à l’impôt sur les sociétés en France de rejoindre une intégration fiscale alors même que ces sociétés sont détenues par l’intermédiaire d’une ou plusieurs sociétés (ci-après Sociétés Intermédiaires ou SI) soumises à un impôt équivalent dans un Etat de l’UE ou de l’EEE.

Dans les intégrations fiscales où l’EMNR, la (ou les) SE ou encore la (ou les) SI ne sont soumises à l’impôt qu’au Royaume-Uni, un hard Brexit aurait eu pour effet d’entraîner la cessation de l’intégration fiscale ou la sortie des sociétés françaises détenues par les SI britanniques avec les conséquences financières éventuelles d’une telle cessation ou sortie à effet au premier jour de l’exercice de survenance du Brexit.

La loi de finances pour 2019 a prévu des aménagements qui vont bien au-delà du cas du Brexit puisqu’elle vise le «retrait d’un Etat de l’UE». Elle dispose tout d’abord qu’un tel évènement ne peut entraîner en soi de changement de périmètre d’intégration fiscale sur l’exercice de retrait.

Par ailleurs, la loi dispose que lorsque l’EMNR est soumise à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés (par exemple, l’impôt britannique, ce qui peut être le cas dans les groupes britanniques mais aussi dans les groupes étrangers à l’Union Européenne ayant établi une tête de pont au Royaume-Uni), l’EMNR peut - sans cessation du groupe -, se faire substituer par une autre société étrangère (par définition soumise à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés dans un Etat de l’UE ou de l’EEE) que l’EMNR détiendrait dans la chaîne de participation directement ou indirectement, à condition que la substitution soit notifiée dans les 3 mois de la clôture de l’exercice de retrait (i.e. avant le 31 mars 2020 pour un exercice clôturant au 31 décembre et un Brexit au 30 mars 2019).

Enfin, la loi dispose que c’est dans le résultat d’ensemble de l’exercice de retrait que la société mère de l’intégration fiscale doit ajouter «les sommes dont la réintégration est prévue» (c’est-à-dire les dé-neutralisations liées à la perte de la qualité d’EMNR ou de SE ou à la sortie de l’intégration fiscale des sociétés qui ne remplissent plus les conditions pour être membres de cette intégration).

Ces dispositions n’éliminent donc pas tous les frottements possibles sur l’exercice de survenance du Brexit.

Par ailleurs, ces dispositions n’offrent pas de solution aux intégrations fiscales constituées de sociétés françaises sœurs directement sous une EMNR britannique (intégration horizontale), qui ne peuvent donc se faire substituer par une SE.

La loi a donc prévu une mesure supplémentaire disposant que la dénonciation par une société mère de l’option pour une forme d’intégration fiscale (par exemple, intégration horizontale) n’entraîne pas la cessation de cette intégration fiscale si la même société mère formule une option pour une autre forme d’intégration fiscale (par exemple, intégration verticale).

Ainsi, la mère, F1, d’une intégration fiscale «horizontale» incluant sa sœur F2 et sa filiale, F3, pourrait dénoncer l’intégration fiscale «horizontale» et opter pour une intégration fiscale «verticale» avec sa filiale F3, ce qui permettrait d’éviter la cessation de toute l’intégration fiscale du seul fait du Brexit. Nous observerons toutefois que cette décision n’éviterait pas la sortie de F2. De la même façon, si F2 détenait une filiale F4, cette décision n’éviterait pas la sortie de F2 et F4. F2 devrait attendre l’exercice suivant celui de la sortie pour constituer un nouveau groupe d’intégration fiscale avec F4.

Le texte ne dit pas si cette dénonciation est possible au cours de la période quinquennale de l’option initialement formulée par la mère. On sait que la dénonciation d’une option pour le régime de l’intégration fiscale est considérée comme une décision de gestion valable pour cinq exercices dans la mesure où l’ensemble des conditions requises par la loi demeurent remplies. A contrario, la dénonciation d’une option suivie de la formulation d’une autre option pour une intégration fiscale de forme différente devrait donc être possible en cours de période quinquennale si l’intégration fiscale dans sa forme initiale ne remplit plus les conditions requises par la loi, ce qui serait le cas pour une intégration fiscale «horizontale» détenue par une société britannique en cas de «hard Brexit» … Reste à voir comment l’administration fiscale interprétera le texte.

Des difficultés non encore résolues (ou partiellement résolues)

Nous nous limiterons ici à évoquer deux autres difficultés.

La première concerne le régime dit «mères-filles» qui permet de réduire l’imposition des produits de participation reçus par une société française membre ou non d’une intégration fiscale de 5% à 1% de ces produits lorsque ceux-ci sont reçus d’une société «soumise à un impôt équivalent à l’impôt sur les sociétés dans un Etat membre de l’UE ou dans un autre Etat partie à l’EEE…» (ci-après, une société européenne) qui, si cette société était établie en France, remplirait les conditions pour être intégrées fiscalement (ci-après conditions d’intégrabilité).

Dès lors que les conditions d’intégrabilité s’apprécient sur toute la durée de l’exercice de la société mère, les produits reçus d’une filiale britannique sur l’exercice sur lequel surviendrait un hard Brexit ne pourraient bénéficier de l’imposition sur une base réduite à 1%, même s’ils sont reçus avant le 30 mars 2019. L’administration fiscale a cependant admis que les produits perçus par la société française jusqu’à la clôture de l’exercice en cours lors du retrait du Royaume-Uni soient réputés provenir d’une société européenne.

Mais qu’en est-il des produits qui seront reçus après la clôture de cet exercice ? Refuser le bénéfice d’une base réduite à 1% ne serait-il pas une discrimination contraire au droit de l’UE à l’encontre des sociétés françaises à raison de leurs résultats de source britannique générés sur des exercices antérieurs au retrait?

La seconde difficulté concerne le régime des dépenses de recherche confiée à des organismes de recherche privés agréés. La loi prévoit que ces dépenses peuvent être prises en compte dans l’assiette du CIR. Elle ajoute que lorsque l’organisme est «établi dans un Etat membre de l’UE ou de l’EEE» (ci-après condition d’établissement), l’agrément peut être délivré par le ministre français chargé de la recherche lorsqu’il existe un dispositif similaire dans le pays d’implantation de l’organisme».

Dès lors que la condition d’établissement ne serait pas remplie sur toute la durée de l’exercice sur lequel surviendrait un Brexit sans accord, une lecture rigoureuse de la loi conduirait à exclure ces dépenses de l’assiette du CIR. On peut se demander si le refus de prendre en compte des dépenses engagées dans le cadre d’un agrément accordé avant la date du Brexit pour la partie de ces dépenses engagées antérieurement à cette date ne serait pas une entorse au principe d’espérance légitime ou, là encore, une discrimination à l’encontre des sociétés françaises ayant sous-traité à des sociétés britanniques.

On lira avec intérêt la position que prendra l’administration fiscale française sur ces deux situations.


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