La lettre gestion des groupes internationaux

EDITION MARS 2023

Financement intragroupe : tapis rouge pour les outils de notation ?

Publié le 17 mars 2023 à 16h20

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 4 minutes

Par Deniz Arikan, associé, PwC Société d’Avocats, Julia Limone, avocat, PwC Société d’Avocats et Mathilde Pion, PwC Société d’Avocats

Le Conseil d’Etat vient récemment de juger une affaire (CE 22 décembre 2022, n°446669, Sté Willink) dans laquelle une société avait émis en 2011 deux emprunts obligataires convertibles en actions d’une durée de 10 ans à un taux d’intérêt de 8 %. Sur le fondement des articles 39,1,3° et 212 I du Code général des impôts, l’administration fiscale française a remis en cause ce taux en considérant que la société n’apportait pas la preuve qu’il correspondait à celui que l’entreprise aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.

Pour justifier du caractère normal de ce taux, la société a procédé à l’analyse du risque de crédit au moyen du logiciel RiskCalc développé par Moody’s Analytics, filiale de l’agence de notation Moody’s. Cette analyse, réalisée en 2020, repose sur l’évaluation de la probabilité de défaut de la société en y associant ensuite un scoring implicite déterminé sur la base des comptes de la société au titre des exercices 2011, 2012, et 2013.

La société a également produit une recherche de transactions comparables sur la base de données S&P Capital IQ. Ont été retenues comme comparables les transactions pour lesquelles les sociétés émettrices, des entreprises publiques ou privées de différents secteurs d’activité, possédaient une notation de crédit comparable à celle de la société Willink.

Le Tribunal administratif et la Cour administrative d’appel de Paris ont donné raison à l’administration fiscale en rejetant l’analyse présentée par la société. Le Conseil d’Etat, à l’instar des affaires « BSA » et « Apex Tool », a encore une fois fait preuve de pragmatisme et de souplesse en annulant l’arrêt de la Cour administrative d’appel, considérant que cette dernière avait commis une erreur de droit sur deux terrains détaillés ci-après.

Le recours aux outils de notation

Les juridictions du fond ont rejeté le recours à l’utilisation de l’outil RiskCalc, en considérant que cet outil se fondait uniquement sur quelques données financières renseignées par la société elle-même et sur un modèle statistique basé sur des données quantitatives historiques de sociétés qui ne seraient pas représentatives du marché. De plus, ces juridictions ont considéré que rien ne permettait d’établir que la notation de crédit prenait en compte de manière adéquate tous les facteurs reconnus comme prévisionnels, et notamment les caractéristiques propres au secteur d’activité concerné.

A ce titre, il convient de relever que le Chapitre X des principes de l’OCDE relatif aux transactions financières considère, malgré certaines réserves (telle que l’absence éventuelle des critères qualitatifs), que les entreprises peuvent s’appuyer sur des outils financiers ou des méthodologies rendus publics par les agences de notation indépendantes pour déterminer leur notation de crédit1. Si le Conseil d’Etat précise que les notations obtenues à l’aide d’outils de ce type sont plus approximatives qu’une notation de crédit établie par une agence de notation, il considère que cela ne suffit pas à les écarter dans un contexte intragroupe.

Comme le rappelle la rapporteure publique Marie-Gabrielle Merloz dans ses conclusions, l’évaluation du risque par une agence de notation indépendante est un processus long, complexe et extrêmement couteux qui n’a pas vocation à être mobilisé pour chaque financement intragroupe, tandis que les outils simplifiés de scoring sont largement utilisés, y compris par les établissements bancaires et financiers, pour évaluer le risque emprunteur.

En termes de fonctionnement de l’outil, le Conseil d’Etat précise que l’utilisateur se limite à renseigner des éléments objectifs sur la société (secteur d’activité, données financières, etc.) sans pouvoir intervenir sur les paramètres utilisés par l’outil pour déterminer la notation de crédit. Ainsi, l’ensemble de ces paramètres permettent de déterminer le profil de risque d’une société de façon suffisamment fiable et objective dans un contexte de financement intragroupe.

Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de l’affaire « Société BSA », dans laquelle le Conseil d’Etat avait déjà validé le recours à un tel outil de scoring2. Il ne représente donc pas une percée jurisprudentielle mais une confirmation bienvenue pour les contribuables.

En revanche, un point qui ne semble pas avoir été relevé par les différentes juridictions mais qui mérite une attention particulière est l’utilisation par la société des comptes des exercices 2011, 2012 et 2013 pour des emprunts souscrits en 2011. S’il convient, afin de respecter le principe de contemporanéité, de se fonder sur des données disponibles à la date de la souscription de l’emprunt, le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur cette approche rétrospective qui n’est pas non plus évoquée dans les conclusions de Marie-Gabrielle Merloz. 

L’hétérogénéité des secteurs d’activités des comparables retenus

Par ailleurs, la haute juridiction reproche à la Cour administrative d’appel d’avoir contesté la pertinence des sociétés comparables retenues au motif que ces sociétés appartenaient à des secteurs d’activités hétérogènes. Dans sa décision, au même titre que dans le cadre de l’affaire « Apex Tool »3,  le Conseil d’Etat met l’accent sur la similitude du niveau de risque, indépendamment du secteur d’activité auquel appartiennent les sociétés du panel.

Sur ce point, il convient de noter que l’administration fiscale, dans le cadre de sa fiche pratique n° 8 publiée en janvier 2021, considère qu’il est possible d’élargir le panel à des entreprises ne poursuivant pas la même activité que la société emprunteuse (en éliminant toutefois les entreprises du secteur financier lorsque l’emprunteuse appartient à un secteur non financier et inversement), en particulier dans les situations où un critère de recherche plus restrictif conduirait à un panel très restreint, dès lors que le critère de la notation est respecté avec précision par le panel retenu. En effet, deux sociétés qui ont la même note de crédit ont un profil de risque similaire quand bien même elles n’exerceraient pas la même activité. 

Cette position avait d’ailleurs déjà été affirmée dans l’affaire « Apex Tool » dans laquelle le Conseil d’Etat considérait que l’hétérogénéité des secteurs d’activités des sociétés ne pouvait à elle seule permettre d’exclure l’étude de comparables, le secteur d’activité ayant déjà été pris en considération dans la méthodologie de notation.

Une souplesse dans les modalités de preuve devant malgré tout être nuancée

Cette décision vient confirmer la tendance vers plus de souplesse et de pragmatisme au profit du contribuable en matière de preuve de justification des taux d’intérêts intragroupe. Au cas d’espèce, il s’agit précisément de l’outil Riskcalc dont l’utilisation a été remise en cause, mais, la position prise par le Conseil d’Etat devrait être transposable à d’autres outils de notation disponibles sur le marché.

En revanche, comme évoqué par la rapporteure publique dans le cadre de ses conclusions, il ne s’agit pas d’un « chèque en blanc » aux contribuables. L’utilisation de ces outils pourra toujours être contestée sur le fond, notamment au regard de la pertinence et de la fiabilité des données renseignées pour les alimenter et de l’absence de prise en compte des données qualitatives.

Ainsi, doit être soulignée l’importance pour les groupes multinationaux de préparer des analyses solides en matière de détermination et de documentation de leurs taux intragroupe dans la mesure où la charge de la preuve demeure sur le contribuable.

La jurisprudence récente étant à la défaveur de l’administration fiscale et compte tenu des enjeux fiscaux liés aux prêts intragroupe, nous pouvons anticiper une montée en compétence de cette dernière dans ce domaine. 

 

1. Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales 2022, Chapitre X, § C.1.1.2.3. et C.1.1.2.4.

2. CE 8e et 3e ch. réunies 11 décembre 2020 n°433723 Société BSA

3. CE 9e et 10e ch. réunies 29 décembre 2021 n°441357 Société Apex Tool.


La lettre gestion des groupes internationaux

Financement intragroupe par obligations convertibles, rien ne va plus de soi

PwC Société d'Avocats    Temps de lecture 4 minutes

Lire l'article

Consulter les archives

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…