La lettre gestion du patrimoine

Mars 2017

L’ISF, nouvelle forme de la taxation sur les signes extérieurs de richesse ?

Publié le 27 février 2017 à 16h39    Mis à jour le 3 mars 2017 à 17h56

Philippe Durand et Philippine Parini, PwC Société d’Avocats

Le débat sur le caractère confiscatoire de l’impôt en général et de l’ISF en particulier anime le débat politico-juridique depuis environ une dizaine d’années, même si l’ISF date de près de trente ans, sans parler de l’IGF qui l’avait précédé.

Par Philippe Durand, avocat associé, PwC Société d’Avocats et Philippine Parini, PwC Société d’Avocats

Mais malgré la diminution du nombre de redevables de l’impôt consécutive aux réformes de 2012, la baisse sensible des rendements du patrimoine depuis deux lustres et la diminution de l’effet anesthésiant de l’inflation ont amplifié l’allergie à cet impôt, d’autant que la fiscalité sur les revenus du patrimoine s’est aussi alourdie. Ainsi le débat n’est plus cantonné aujourd’hui à la définition des biens professionnels ou au fait que l’ISF frappe des biens non productifs de revenus comme la résidence principale.

Dans l’imagination d’un grand nombre, la justification de l’impôt tient au fait que le capital demeure une sorte de signe extérieur d’une capacité contributive, selon une logique d’impôt indiciaire dont les taxes foncières sont une autre séquelle. Mais sa coexistence avec des impositions assises sur des revenus effectivement perçus ne va pas de soi. Elle est résumée dans le considérant de principe qui figure dans plusieurs décisions du Conseil constitutionnel selon lequel, si l’assiette de l’ISF ne méconnaît pas le principe d’égalité devant les charges publiques, c’est parce que «le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et droits» ; et que «la prise en compte de cette capacité contributive n’implique pas que seuls les biens productifs de revenus entrent dans l’assiette de l’ISF». Toute l’ambiguïté est dans cette formule dès lors qu’il en ressort que, même si l’impôt peut inclure des biens non productifs de revenus, celui-ci ne doit pas ignorer la réalité de la capacité contributive des contribuables au risque de devenir confiscatoire.

C’est ce risque que tend à éviter le mécanisme de plafonnement. On rappelle qu’il consiste à plafonner le montant de l’ISF à 75 % des revenus nets de frais professionnels, peu important que ces revenus soient imposables ou non. Mais encore faut-il qu’ils soient effectivement acquis. Créé dès l’origine, ce dispositif a finalement survécu au bouclier fiscal abrogé en 2012. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs indiqué, en 2012 (décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012), que son existence était une condition de l’acceptabilité du taux supérieur du barème de l’ISF (1,8 % en l’occurrence).

Ce mécanisme offre néanmoins des possibilités d’optimisation à ceux qui sont en situation de piloter le montant des revenus qu’ils perçoivent. Cela étant, le Conseil constitutionnel avait jadis écarté cette difficulté en acceptant que le législateur instaure, pour «les détenteurs des patrimoines les plus importants», un dispositif faisant «obstacle à ce que les contribuables n’aménagent leur situation en privilégiant la détention de biens qui ne procurent aucun revenu imposable» (décision n° 2010-QPC du 11 février 2011). C’est encore ce qui a incité le gouvernement à tenter, à deux reprises, de prendre en compte la variation de la valeur annuelle du rachat des contrats d’assurance vie dans la détermination du revenu pour l’appréciation du plafonnement ainsi que la fraction du bénéfice distribuable d’une société contrôlée par le redevable correspondant à ses droits dans le capital de celle-ci. Ces tentatives ont été censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi de finances pour 2013 (décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012).

Par ailleurs, s’agissant non du plafonnement mais de son assiette, et plus précisément de l’exonération des biens professionnels, l’article 885 O ter du CGI dispose que «seule la fraction de la valeur des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l’activité» est considérée comme un bien professionnel. Cette disposition permet ainsi de refuser l’exonération à des actifs financiers ou à une trésorerie non nécessaire à l’activité de l’entreprise qualifiée de bien professionnel. Mais dans un arrêt du 20 octobre 2015, la Cour de cassation a estimé que cette proratisation de l’exonération n’était applicable qu’au niveau de la société ayant le caractère de bien professionnel et pas à celui des filiales de celles-ci, ce qui rend la disposition contournable.

Notamment pour limiter ce risque, le gouvernement a introduit dans la loi de finances pour 2017 un dispositif permettant de réintégrer, pour le calcul du plafonnement, les «revenus distribués à une société passible de l’impôt sur les sociétés contrôlée par le contribuable si l’existence de cette société et le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’ISF». Il est précisé que «seule est réintégrée la part des revenus correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte pour le calcul» du plafonnement.

Le gouvernement tentait ainsi d’éviter les mécomptes rencontrés par ses tentatives antérieures en cantonnant la disposition à des cas d’abus caractérisés. Qui plus est, le texte prévoit la possibilité, en cas de désaccord fondé sur cette disposition, de saisir le comité de l’abus de droit fiscal alors même que ce texte n’est pas assorti de la pénalité propre à cette procédure.

Dans sa décision du 29 décembre 2016, le Conseil constitutionnel (n° 2016-744 DC) a validé cette disposition tout en l’assortissant d’une réserve d’interprétation qui en restreint la portée. Il indique effectivement que «ces dispositions ne sauraient, sans que soit méconnu le respect des capacités contributives des contribuables, avoir pour effet d’intégrer dans le revenu du contribuable pour le calcul du plafonnement de l’ISF des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année d’imposition. En conséquence, la réintégration dans le calcul du plafonnement des revenus distribués à la société contrôlée par le contribuable implique que l’administration démontre que les dépenses ou les revenus de ce dernier sont, au cours de l’année de référence du plafonnement et à hauteur de cette réintégration, assurés directement ou indirectement, par cette société de manière artificielle».

Cette interprétation place très haut la barre de la démonstration à apporter par l’administration. La première phrase est dans la continuité des décisions antérieures : les revenus réintégrés doivent être des revenus effectifs, même s’ils ne sont pas encaissés et soumis de ce fait à l’impôt sur le revenu ; mais il ne saurait s’agir de revenus non acquis comme des plus-values latentes par exemple.

Par ailleurs, il doit s’agir de revenus de l’année de référence : c’est cohérent avec la logique du mécanisme du plafonnement mais cela exclut toute forme d’appréciation pluriannuelle de la capacité contributive liée à ces revenus, au risque de rendre l’impôt confiscatoire sur un revenu donné. Si des revenus non distribués sont pris en compte pour l’appréciation du plafonnement, ils seront imposés au taux du plafonnement, soit 75 %. S’ils sont distribués ultérieurement, ils supporteront de plus l’impôt sur le revenu au taux marginal, même si, s’agissant de dividendes, ils bénéficient d’un abattement de 40 %. Alors que si ces revenus avaient été distribués l’année de leur réalisation, ils auraient supporté l’impôt sur le revenu et l’ISF au taux prévu par le barème.

La seconde phrase va plus loin car elle oblige l’administration à établir l’existence d’une sorte de substitution délibérée entre ces revenus capitalisés et le financement du train de vie du contribuable.

On peut y voir une précision intéressante sur la notion de capacité contributive. Celle-ci s’apprécie par rapport au financement du train de vie du contribuable sur l’année considérée. Cela éloigne un peu l’ISF de cette notion d’impôt indiciaire évoquée plus haut.

Il n’en demeure pas moins qu’en se focalisant sur l’appréhension de la capacité contributive, le débat sur ce texte a laissé dans l’ombre d’autres points pourtant importants pour la sécurité juridique des redevables, notamment la définition du contrôle des sociétés concernées.


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