La lettre des fusions-acquisition et du private equity

La Loi PACTE : bilan et perspectives

Réformes du droit des sûretés et des procédures collectives : nouvelle donne, nouvelles promesses aux créanciers ?

Publié le 8 décembre 2021 à 16h39

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 8 minutes

Par Alexandre Chazot, avocat en droit bancaire et financier. Il intervient notamment dans le cadre d’opérations de financement structurés, tant en France qu’à l’étranger. alexandre.chazot@cms-fl.com  Et Léo Gironde, avocat membre de l’équipe Restructuring. Il intervient en matière de prévention et de traitement amiable et judiciaire des difficultés des entreprises. leo.gironde@cms-fl.com

La réforme du droit des sûretés : une entreprise d’attractivité

Quinze ans après la réforme de 2006 (1), une nouvelle réforme très attendue du droit des sûretés a été adoptée par ordonnance (2) le 15 septembre 2021. A quelques exceptions près, notamment concernant le cautionnement, cette ordonnance entrera en vigueur au 1er janvier 2022.

Selon le Rapport fait au Président de la République, l’objectif est triple : renforcer la sécurité juridique du droit des sûretés en rendant ses textes plus lisibles et plus accessibles, accentuer l’efficacité du droit des sûretés et, conséquence notamment de ces deux premiers objectifs, renforcer l’attractivité du droit français auprès de différents acteurs, français comme étrangers. Ces objectifs ont, effort indispensable, été poursuivis avec l’ambition de protéger efficacement les garants et constituants, sans dégradation de la position des créanciers.

Même si le droit des sûretés n’est pas en lui-même intrinsèquement lié à des sujets sociétaux, il n’en reste pas moins crucial, affectant tant le crédit des entreprises que leurs rapports avec leurs créanciers. 

La place manque pour prétendre à l’exhaustivité sur une réforme riche et complexe (qui permet notamment la dématérialisation des sûretés par les modifications apportées aux règles du Code civil (3), nous présenterons donc de manière synthétique les évolutions portant sur les sûretés les plus courantes dans les opérations de fusion-acquisition et de private equity.

La modification du droit du cautionnement ne constitue pas, en elle-même, une révolution. Il est désormais défini comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci (4) ». Les dispositions relatives à la mention manuscrite ont été unifiées et raisonnées au sein du Code civil (5). De plus, contrairement à une position adoptée par la Cour de cassation, la caution pourra désormais opposer toute exception au créancier garanti, y compris personnelles au débiteur, sauf cas particuliers, notamment en cas de défaillance du débiteur (6). Enfin, la solution selon laquelle la société caution, lorsqu’elle disparait (fusions, absorptions, etc.), transmet son obligation à l’entité nouvelle est consacrée (7).

En matière immobilière, les privilèges spéciaux immobiliers, qui prenaient rang avant leur inscription, deviennent des hypothèques légales qui prennent rang à la date de leur inscription au registre de la publicité foncière concerné.

Le nouveau régime relatif aux sûretés par transfert de propriété constitue un élément important de la réforme.

La cession de créance à titre de garantie est désormais consacrée en droit commun (8) conduisant à une sorte de « Dailly pour tous ». Le rapport au Président de la République avait déjà souligné l’importance d’instaurer ce régime, aux côtés de la fiducie-sûreté, notamment « dans un souci d’attractivité internationale de la loi française ». Comme cela était attendu, ce régime de cession à titre de garantie est calqué sur la cession de créance de droit commun (9), empruntant elle-même à la cession Dailly.

Le gage espèce, sûreté très utilisée en pratique sans assise juridique propre, est désormais régi par la cession de somme d’argent à titre de garantie. Il s’agit désormais d’une sûreté avec dépossession dont l’articulation avec le gage de choses fongibles (10) devra être suivie avec attention.

Le régime de la fiducie-sûreté est également allégé : il n’est plus nécessaire d’évaluer le bien mis en fiducie lors de sa constitution (11).

Comme anticipé, le régime du nantissement de comptes titres (12)  est, lui, peu touché par cette ordonnance. Les parties pourront toutefois choisir ou non d’inclure les fruits et produits issus des titres nantis (et donc l’ouverture du compte bancaire dédié) dans l’assiette du nantissement.

Le régime général du gage évolue également. Par exemple, l’ensemble des inscriptions mobilières (à l’exception du gage sur un bien automobile ne faisant pas partie d’une flotte de véhicules) seront désormais centralisées (à l’exception notable du SIV (13) mettant fin à la multitude des registres actuels, fonction de la nature du bien gagé. Enfin, un certain nombre de gages « spécifiques » désuets sont supprimés.

La réforme du Livre VI du Code de commerce : une entreprise de conciliation

La réforme concomitante du droit des entreprises en difficulté (14) (applicable aux procédures ouvertes à compter du 1er octobre 2021) est l’occasion d’œuvrer pour un rééquilibrage entre deux objectifs : la sauvegarde des droits du créancier garanti et la protection du débiteur en difficulté, pour lequel le droit français maintient sa coutumière bienveillance.

Ainsi, la réforme du Livre VI du Code de commerce et la transposition d’une directive européenne (15) ont permis de conférer aux créanciers garantis un pouvoir de décider, en partie et dans certains cas, de l’issue de la procédure collective. En effet, lorsque certains seuils sont dépassés (16), le plan de « continuation » (17) d’un débiteur en difficulté devra être soumis au vote des créanciers réunis au sein des nouvelles « classes de parties affectées », celles-ci répartissant les créanciers selon leur communauté d’intérêt économique, donc selon l’efficacité de leurs droits respectifs. L’adoption du plan est conditionnée par le respect de la règle selon laquelle aucun créancier dissident ne peut percevoir moins dans le plan que ce qu’il aurait perçu dans un cadre liquidatif.

La hiérarchisation des pouvoirs entre les classes se révèle particulièrement utile lorsque le plan ne fait pas l’unanimité : il peut être adopté malgré la dissidence de certaines classes, pourvu que des classes de créanciers « dans la monnaie » l’aient accepté. Les créanciers les mieux garantis disposent donc de pouvoirs plus étendus (à l’inverse d’autres comme les obligataires, ou encore les détenteurs de capital). Même dans ce cas, le créancier dissident doit être désintéressé selon le rang que lui accorde sa créance.

Ainsi, par le jeu du mécanisme des classes, l’adoption du plan dépendra de la volonté des créanciers les plus sécurisés. Le paiement sera le prix de la course  à la meilleure sûreté.

Toutefois, la procédure affectant le débiteur continue de constituer une épreuve pour le créancier.

La réforme, soucieuse de renforcer l’attractivité du traitement amiable des difficultés, étend, dans un second mouvement, aux garants du débiteur les « faveurs » qui lui seraient octroyées à ce stade. Ainsi, ces derniers peuvent se prévaloir des délais de grâce que le débiteur pourra solliciter au cours de sa procédure de conciliation (18), ou à son issue (19).

En cas de procédure collective, le créancier doit plus que jamais veiller à déclarer également sa sûreté et son assiette, sous peine d’inopposabilité au débiteur et à ses garants personnes physiques des sûretés non déclarées régulièrement (20). Cette obligation incombe également au créancier titulaire d’une « caution réelle », lorsque celle-ci fait l’objet d’une procédure collective.

Par ailleurs, nouvel écueil, l’assiette des sûretés sera, sauf disposition contraire, gelée à l’ouverture de la procédure (21).

Autre faveur pour le débiteur, le « garant » personne physique du débiteur peut désormais bénéficier des stipulations du plan de redressement, alignant ainsi les dispositions du redressement judiciaire et de la sauvegarde.

Enfin, un nouveau privilège profitant aux créanciers apporteurs de fonds au cours de la période d’observation (22), ou dans le cadre du plan (23) est pérennisé avec l’objectif de favoriser l’accès au crédit pour les débiteurs en difficulté. En toute logique, il ne bénéficie pas aux apports en capital.

Alors, ces ordonnances ? Une révolution pour le créancier ? Non, mais une évolution bienvenue permettant de poursuivre la construction de l’édifice juridique de traitement, au sens large, des défaillances d’entreprises en assurant une efficacité certaine aux sûretés tout en ménageant les chances de rebond de l’entreprise. 

1. Ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006.

2. Ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

3. Art. 1175 nouveau du Code civil.

4. Art. 2288 nouveau du Code civil.

5. Art. 2297 nouveau du Code civil.

6. Art. 2298 nouveau du Code civil.

7. Art. 2318 nouveau du Code civil.

8. Art. 2373 nouveau et suivants du Code civil.

9. Art. 1321 à 1326 du Code civil.

10. Art. 2341 actuel du Code civil.

11. Art. 2372-2 nouveau du Code civil.

12. Art. L.211-20 du Code monétaire et financier.

13. Système d’immatriculation des véhicules.

14. Ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021 portant réforme du Livre VI du Code de commerce.

15. Directive n°2019/1023 du Parlement Européen et du Conseil du 20 juin 2019.

16. La constitution des classes de parties affectées est obligatoire lorsque l’entreprise dépasse l’un des seuils suivants : 250 salariés et 20 Me de chiffres d’affaires net, ou 40 Me de chiffres d’affaires net. Elle est obligatoire en cas d’ouverture d’une sauvegarde accélérée.

17. Plan de sauvegarde ou de redressement.

18. Art. L.611-10-2 du Code de commerce.

19. Même article.

20. Art. L.622-26 du Code de commerce.

21. Art. L.622-21 du code de commerce.

22. Art. L.622-17 du Code de commerce.

23. Art. L.626-10 du Code de commerce.

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