De la causalité entre récession et sinistralité

Publié le 13 octobre 2023 à 15h34

Jean-Christophe Caffet    Temps de lecture 4 minutes

Le « paradoxe des défaillances » né de la pandémie de Covid-19 a fait l’objet de nombreux commentaires et analyses depuis trois ans. Alors que les économies avancées ont connu une récession sans équivalent dans l’histoire contemporaine et l’Europe une crise énergétique d’une intensité comparable aux chocs pétroliers des années 1970, les défaillances d’entreprises sont restées singulièrement faibles ou contenues. Bien en deçà des niveaux atteints lors des précédents pics de sinistralité ou même des niveaux moyens traditionnellement observés sur l’ensemble d’un cycle. Après une baisse de près de 50 % en 2020/21, les défaillances en France étaient encore en retrait de 20 % l’an dernier par rapport à 2019. L’accélération observée depuis fin 2022 les a toutefois ramenées à leur niveau prépandémique.

Rien de très étonnant si l’on songe au mantra du « quoi qu’il en coûte » qui prévalait dans les pays développés pendant la pandémie, puis à l’ampleur des moyens déployés dès le printemps 2022 afin de protéger ménages et entreprises de l’envolée des prix de l’énergie. C’est d’ailleurs grâce à tout cet arsenal que la macroéconomie a mieux résisté qu’escompté ces deux dernières années – la plupart des pays développés, à quelques exceptions près, n’enregistrant que de simples ralentissements, ou coups d’arrêt, plutôt que des contractions marquées de l’activité. En bref, le soutien public aux agents privés (et la « bonne » transmission par les entreprises de la hausse du prix de leurs intrants aux prix de consommation) a jusqu’à présent permis d’éviter une hausse brutale des défaillances et du chômage, autorisant une croissance quasi continue en valeur de la consommation des ménages via la préservation de leur revenu disponible et la baisse de leur taux d’épargne. Autrement dit, c’est la faible sinistralité qui a permis, dans une certaine mesure, la résilience de l’activité – et non l’inverse.

Cette situation peut-elle durer ? Oui, serait-on tenté de répondre spontanément, et quelque peu naïvement, si l’on en juge par les prévisions du consensus – et les nôtres – pour 2024. Si une vive accélération de l’activité n’est clairement pas à l’ordre du jour, la croissance ne devrait que modérément ralentir (+ 2,2 % à l’échelle mondiale en 2024 selon nos prévisions, après + 2,4 % en 2023) et les risques, pour l’économie européenne en particulier, paraissent bien plus limités. En clair, le narratif du soft landing gagne du terrain, l’inflation recule et avec elle le risque d’une erreur de politique monétaire ou d’un accident financier.

Encore balbutiante en zone euro, la baisse de l’inflation sous-jacente devrait toutefois s’accompagner d’une contraction assez nette des marges opérationnelles des entreprises dans la mesure où les salaires restent dynamiques et les prix de l’énergie relativement élevés (voire en hausse pour les produits pétroliers). La hausse des taux d’intérêt va également mécaniquement augmenter les charges d’intérêt – c’est déjà le cas dans les pays où les taux variables dominent – dégradant d’autant la profitabilité et les capacités de financement des entreprises aux trésoreries déjà bien étiolées. Sans évoquer le retrait des dispositifs de soutien/sauvetage adoptés ces dernières années et le tour de vis budgétaire à venir.

Bien sûr, la situation est très différente d’un secteur d’activité et d’une entreprise à l’autre en fonction de l’intensité concurrentielle, du pouvoir de marché (pricing power), des niveaux et de la structure d’endettement, etc. Toute généralisation, par nature abusive, semble pour le moins hasardeuse.

Il n’en demeure pas moins que les prochains trimestres, sinon les prochaines années, devraient consacrer le retour d’une certaine forme de darwinisme côté entreprises. C’est en effet là que réside le principal aléa baissier à court/moyen terme sur la macroéconomie. Du fait de l’inversion du lien causal généralement admis entre récession et sinistralité, ce n’est pas la plus faible probabilité de la première qui éloigne la perspective d’une hausse de la seconde, mais bien l’inévitable hausse des défaillances qui accroît le risque de récession.

Jean-Christophe Caffet Chef économiste ,  Coface

Chargement en cours...

Chargement…