Les droits de douane : le couteau suisse de Donald Trump

Publié le 3 juin 2025 à 15h47

Isabelle Job Bazille    Temps de lecture 5 minutes

En annonçant un droit de douane universel de 10 % et une salve de surtaxes spécifiques pour une liste de pays, Donald Trump a plongé le monde dans la sidération. Ce faiseur de deals, après avoir lancé une bombe et semé la panique sur les marchés, a fini par faire machine arrière, pour, selon lui, laisser une chance aux négociations.

Le problème, avec Donald Trump, est que les termes de la négociation restent flous, car les droits de douane sont vus comme un outil polyvalent capable de répondre à plusieurs objectifs.

D’abord, les droits de douane doivent servir à éliminer le déficit commercial américain qui reste l’obsession de Donald Trump. Ce dernier voit le commerce international comme un jeu à somme nulle : un pays ne peut gagner que si un autre perd. Le déficit commercial américain serait ainsi la preuve que les Etats-Unis sont les grands perdants de cette mondialisation déloyale qu’il juge également responsable du déclin de l’industrie manufacturière américaine.

Vu sous cet angle, imposer des barrières tarifaires doit à la fois permettre de réduire les importations et d’augmenter la production domestique. Ni les leçons tirées des années 1930 et de sa guerre commerciale destructrice, ni l’échec visible de la première salve de droits de douane imposés en 2018, avec un déficit commercial qui n’a cessé de se creuser depuis lors, n’ont ébranlé la vision mercantiliste de Donald Trump. Par ailleurs, le coût immédiat des droits de douane avec des intrants plus chers et des marges réduites contraste avec le temps long des investissements industriels qui exigent stabilité et visibilité. D’autre part, les Etats-Unis dominent les industries du XXIe siècle et exploitent pleinement leur avantage comparatif dans le domaine des services numériques ou de l’intelligence artificielle. Il n’y a pas de rationalité économique à vouloir rapatrier les industries du XXe siècle, là où les Etats-Unis ont perdu savoir-faire et compétences, sans compter que produire en local nécessite de nos jours de relocaliser l’ensemble de la chaîne de valeur, ce qui est infaisable.

Les droits de douane doivent également permettre de générer des recettes fiscales pour financer des baisses d’impôts. L’une des promesses de campagne de Donald Trump était en effet de prolonger et d’élargir sa réforme fiscale de 2017. C’est chose faite avec le nouveau paquet fiscal intitulé « One big beautiful Bill Act » qui est sur le point d’être adopté au Congrès. D’après le Congressional Budget Office (CBO), une agence parlementaire non partisane, chargée des questions budgétaires, les nouvelles dispositions fiscales pourraient creuser le déficit public à hauteur de 3 800 milliards de dollars entre 2026 et 2034. Les recettes douanières, estimées à environ 250 milliards de dollars par an, selon les derniers calculs du Budget Lab, un centre de recherche de l’Université de Yale, seraient donc largement insuffisantes pour financer ces baisses d’impôts. Sans autres mesures compensatoires, le déficit budgétaire serait donc amené à se creuser, à l’heure où ce dernier atteint déjà des niveaux inquiétants (6,4 % du PIB en 2024). Cette détérioration de la situation budgétaire a d’ailleurs conduit l’agence Moody’s à abaisser la note souveraine des Etats-Unis. A la suite de cette décision, de nouveaux signes de fébrilité sont apparus sur le marché des bons du Trésor, preuve des inquiétudes croissantes quant à la soutenabilité de la dette américaine.

Enfin, les droits de douane sont considérés comme un outil de négociation pour orchestrer un repli ordonné du dollar. Stephen Miran, conseiller économique de Trump, estime que la demande illimitée d’actifs de réserve pousse le dollar à la hausse, ce qui nuit à la compétitivité de l’industrie américaine. L’objectif serait d’organiser de nouveaux accords du Plaza à Mar-a-Lago, théâtre du pouvoir trumpien, visant à dévaluer le dollar tout en obligeant les créanciers officiels à acquérir des obligations centenaires à coupon zéro pour contenir toute hausse des taux. Les droits de douane serviraient, dans ce cadre, de levier de pression, et seraient ajustés de manière sélective selon des mécanismes de récompense ou de punition.

Comme Trump plaide pour un régime douanier permanent, son conseiller a revu récemment sa copie et considère désormais les droits de douane comme une compensation légitime pour la fourniture gratuite par les Etats-Unis des biens publics mondiaux que sont la sécurité globale, la monnaie de réserve, le dollar, et l’actif sans risque, les Treasuries. Les Etats-Unis sont érigés en victimes, passant sous silence le « privilège exorbitant » du dollar qui permet aux Américains de vivre au-dessus de leurs moyens grâce à un financement indolore de leur double déficit, commercial et budgétaire. L’hégémonie du dollar est perçue comme un fardeau alors qu’elle permet aux Etats-Unis de conserver un contrôle sur les transactions financières et commerciales internationales, en faisant de son usage une arme géopolitique.

Il est difficile de prévoir les résultats des négociations commerciales mais une chose est certaine : nous ne reviendrons pas à la situation initiale, et le nouveau régime douanier sera perdant pour tous.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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