Quelle liquidité pour les stratégies d’investissement alternatives ?

Publié le 29 novembre 2019 à 18h24    Mis à jour le 26 novembre 2020 à 11h48

Serge Darolles

Le monde de l’investissement se structure de plus en plus dans l’opposition entre stratégies d’alpha et stratégies de bêta. Les stratégies de bêta seraient liquides et à même de capter les différentes primes de risque présentes sur les marchés. Les stratégies d’alpha seraient peu liquides, avec une capacité limitée, mais au pouvoir de diversification élevé. Dans ce contexte, une question simple s’impose aux investisseurs. Ne pourrait-on pas imaginer des stratégies avec à la fois la liquidité du bêta et la décorrélation apportée par l’alpha ? Nous abordons dans cet article les difficultés à la fois conceptuelles et pratiques liées à cette aspiration.

Au niveau de la conception même de la stratégie d’investissement, il est utile de fixer un certain nombre de critères assurant un niveau de liquidité suffisant. Le premier concerne la liquidité des actifs financiers utilisés. Il est naturellement dangereux d’offrir aux clients une liquidité élevée alors que les sous-jacents de la stratégie sont illiquides. Il est dans ce cas impossible d’ajuster sans heurt la taille du portefeuille géré pour répondre à une sortie – ou une entrée –, d’un investisseur. Chaque flux entrant ou sortant doit être absorbé par la stratégie sans qu’il n’impacte la structure du portefeuille associé, et donc la performance de la stratégie. Il est évidemment difficile de s’assurer ex ante que cette condition est bien satisfaite. Seule l’observation historique des comportements d’investissement sur des stratégies similaires permet de calibrer des scénarios de stress de liquidité et de mesurer le coût associé à l’ajustement du portefeuille dans les situations extrêmes.

Par aileurs, il est essentiel d’isoler les facteurs déterminants de la performance. Les modèles récents d’attribution de performance incluent tous un facteur de liquidité qui permet d’extraire de la performance globale d’une stratégie la part spécifique au risque de liquidité. Si cette part est significative, toute dégradation des conditions de liquidité aura une conséquence négative sur la performance de la stratégie. La stratégie «taille» jouant l’écart de rendement entre les petites et les grosses capitalisations au sein d’un indice de marché est un bon exemple. Une partie significative de la performance provient de l’écart de liquidité entre les titres composant le portefeuille. Les petites capitalisations étant moins liquides, une baisse de la liquidité va agir négativement sur leur valorisation, ce qui implique des pertes pour la stratégie. Il est donc essentiel de bien tester avant de lancer la stratégie que le risque de liquidité n’est pas parmi les facteurs explicatifs de la performance.

D’un point de vue plus pratique, une stratégie d’investissement n’a d’intérêt que si, quel que soit l’environnement de marché, il est possible de la gérer au jour le jour sans modifier sa performance théorique. Il existe aujourd’hui différentes manières d’aller chercher la liquidité nécessaire à cette gestion au quotidien : place de marché alternative, appariement de blocs, darkpools, swap de performance, etc. mais il est difficile d’optimiser cette recherche.

La première étape consiste à établir la sensibilité d’une stratégie aux coûts d’exécution. Si certaines stratégies y sont peu sensibles, d’autres y sont au contraire très sensibles. C’est le cas par exemple lorsque la performance de la stratégie est faible au regard des coûts d’exécution et du market impact, mais également le cas lorsque les ordres à exécuter sont importants au regard des volumes traités. L’industrie dispose aujourd’hui d’outils quantitatifs modélisant le market impact et permettant de mesurer cette sensibilité.

La deuxième étape consiste à identifier où se trouvent les grandes masses de liquidité. Les marchés électroniques concentrent cette liquidité, mais la liquidité peut également se trouver sur les marchés de gré à gré, par exemple pour les options. Une liquidité concentrée est facilement accessible alors qu’une liquidité dispersée est plus coûteuse. Il est également important de diversifier ses fournisseurs de liquidité, en choisissant de préférence des acteurs majeurs et globaux qui auront la ressource pour couvrir de nombreuses poches de liquidité. Ce n’est qu’à ce prix que les stratégies alternatives pourront devenir des solutions de diversification effectives pour les investisseurs.

Serge Darolles Professeur ,  Université Paris-Dauphine

Serge Darolles est professeur à l’Université Paris-Dauphine.

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