Stratégie industrielle : l’Europe face à l’Inflation Reduction Act

Publié le 17 février 2023 à 17h56

Isabelle Job Bazille    Temps de lecture 4 minutes

L’Europe, en tant que leader de la transition écologique, a longtemps déploré l’absence d’une politique américaine ambitieuse pour lutter contre le réchauffement climatique. En ce sens, la loi sur la réduction de l’inflation (IRA), dont le principal volet concerne le climat avec une enveloppe fiscale de 370 milliards de dollars pour soutenir les industries vertes américaines, est une avancée à saluer. La loi introduit des crédits d’impôt pour les investissements dans les énergies propres et les technologies vertes, ainsi que des subventions à l’achat de véhicules électriques « made in USA ». Ces subventions, liées à la teneur en éléments d’origine nationale, enfreignent notamment les règles de l’OMC qui encadrent les aides d’Etat. Dans sa conception actuelle, l’IRA pourrait constituer un nouveau choc de compétitivité pour l’Europe après celui lié à l’énergie avec le risque d’encourager la délocalisation d’entreprises européennes et la réorientation des investissements durables vers les Etats-Unis.

Dès la fin 2019, avec son pacte vert, l’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux afin d’être le premier continent neutre en carbone à horizon 2050. Fondée sur une logique de marchés, cette stratégie verte utilise comme principaux leviers la réglementation et la tarification du carbone pour encourager la transition vers une économie bas carbone, le signal prix étant l’instrument privilégié pour encourager les changements de comportements et réduire l’empreinte carbone des producteurs et des consommateurs. Toutefois, l’Europe a compris à ses dépens qu’elle n’opérait pas dans des conditions de concurrence équitables, avec des partenaires commerciaux qui, eux, n’hésitent pas à subventionner les investissements, la production ou la demande pour soutenir leurs industries. Dans un souci de rééquilibrage des règles du jeu mondial, elle a consenti à assouplir les règles européennes en matière d’aides d’Etat, notamment suite aux chocs du Covid et de la guerre en Ukraine. 

Face aux mesures discriminatoires incluses dans l’IRA, il est encore question d’assouplir ces règles afin de permettre aux Etats membres de venir en aide à leur industrie et de promouvoir les investissements dans les énergies propres et les technologies vertes à coups de crédits d’impôt, comme aux Etats-Unis. Déclencher une course aux subventions entre les Etats membres risque néanmoins de fausser le marché unique et de déséquilibrer les conditions de concurrence au sein de l’Union, entraînant une polarisation des investissements industriels. Concrètement, les pays ayant des marges de manœuvre budgétaires suffisantes et une position industrielle forte, comme l’Allemagne, vont pouvoir conforter leur avantage compétitif, de quoi alimenter la désindustrialisation relative des pays plus fragiles financièrement. 

Pour surmonter cet écueil, certains Etats membres plaident en faveur de la création d’un fonds de souveraineté à vocation solidaire pour aider les pays ayant des capacités financières limitées à rester dans la course industrielle. C’est un impératif, car si l’Europe a évidemment besoin de protéger ses bastions industriels, elle doit aussi se prémunir contre des forces centrifuges qui, tôt ou tard, risquent de mettre en péril l’intégrité de l’Union.

La surenchère aux aides d’Etat ne peut cependant se substituer à une vraie politique industrielle à l’échelle de l’Europe, laquelle doit avant tout penser à l’avenir. Si l’Europe a défini des ambitions industrielles au service de sa politique climatique et de sa souveraineté économique, sa déclinaison se fait essentiellement à l’échelle nationale 1 sans véritable coordination, ni cohérence. La recomposition de l’espace économique européen appelle pourtant une réflexion sur le maillage productif, pour profiter des synergies et des effets d’échelle au niveau communautaire, et bâtir des chaînes de valeur européennes résilientes. Le renforcement de la coopération technologique dans la R&D et la mise en adéquation, voire la mutualisation, des ressources à l’échelle européenne sont aussi indispensables pour réorienter les progrès techniques vers des innovations vertes. Acquérir des positions fortes ou dominantes dans les secteurs ou les technologies clefs de demain est à la fois un levier de souveraineté industrielle et une arme pour organiser les dépendances mutuelles et la réciprocité dans les échanges. 

La manière de penser, de concevoir et de décliner cette stratégie industrielle selon une vision commune et partagée est sans nul doute le meilleur gage d’attractivité, là où les outils de politique publique, bien qu’utiles face à l’exacerbation de la concurrence internationale, ne peuvent à eux seuls convaincre de la pertinence d’un projet structurant pour l’avenir de l’Europe.

1- A l’exception notable des projets importants d’intérêt européen commun.

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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