Table Ronde

Comment investir dans les marchés actions ?

Publié le 28 mai 2021 à 16h31    Mis à jour le 10 juin 2021 à 11h31

Propos recueillis par Catherine Rekik

La classe d’actifs reste privilégiée dans un contexte de reprise économique mondiale et de faibles rendements obligataires. Comment en profiter alors que la plupart des indices mondiaux inscrivent régulièrement des records historiques ? Faut-il s’inquiéter des valorisations élevées ? Comment gérer les risques à court terme ? Faut-il opter pour des approches géographiques, sectorielles ou thématiques ? Arbitrer la croissance au profit de la value ?

Quel bilan peut-on faire de ce début d’année ? Quels sont les événements qui ont retenu votre attention ?

Jacques-Aurélien Marcireau : Au cœur de la crise du Covid-19, les investisseurs se sont massivement focalisés sur la technologie et la santé, deux secteurs porteurs sur le long terme qui ont capté l’essentiel des flux durant l’année 2020. Parallèlement à la réouverture de l’économie, ils ont pu constater en 2021 que certains secteurs plus traditionnels ne se portaient pas si mal et reprenaient des couleurs plus vite que prévu. Cela s’est traduit par un rééquilibrage avec des flux d’investisseurs qui s’intéressent à ces pans du marché négligés tout en conservant les valeurs de croissance pour le long terme. Ce rééquilibrage boursier est plutôt sain et justifié. En revanche, sur le plan économique, nous allons de surprise en surprise. Post-covid, la publication de certains indicateurs entraîne des variations importantes. Cela a été le cas début mai avec la publication des chiffres de l’emploi aux Etats-Unis, très en deçà des attentes. C’est très dur de comparer les indicateurs avec ceux de 2019 ou 2020 après toutes les variables exogènes qui ont été introduites dans l’équation.

Eric Lauri : La reprise économique forte qui s’amorce est sans doute est un des éléments les plus marquants de ce début d’année. Cette reprise a été bien aidée par des plans massifs de soutien et par l’accélération de la campagne de vaccination. Il y a à la fois de l’argent dans le système et de l’espoir dans la tête des gens. Ce qui a fait monter les marchés actions rapidement en début d’année. Dans ce contexte, logiquement, une rotation sectorielle s’est produite, les investisseurs s’intéressant à des valeurs value et cycliques aux dépens des valeurs de qualité et de croissance qui avaient bénéficié du confinement. La rotation sectorielle a été violente, mais elle est facile à comprendre d’un point de vue économique.

Stephan Eugster : Les actions mondiales ont poursuivi leur ascension ces derniers mois, soutenues par l’accélération de la croissance économique et la poursuite des plans de relance post-covid. Les prix des produits de base, du cuivre et du pétrole, par exemple, ont remonté, suivis par les matières premières agricoles. On constate une certaine nervosité chez les investisseurs, la peur de l’inflation. Les inquiétudes concernant la hausse des taux d’intérêt varient d’un jour à l’autre, au rythme des discours des banquiers centraux et des indicateurs économiques sur le marché du travail. Cependant, dans un monde qui change, les problématiques environnementales et sociales persistent. Sur le moyen et long terme, il faut identifier ceux qui profitent de ces changements. Tous les plans de relance économique se focalisent sur des enjeux stratégiques pour les Etats : la transition énergétique, l’amélioration des infrastructures, la décarbonation des économies avec le « Green Deal » en Europe ou la réduction des inégalités sociales aux Etats-Unis avec l’« American Jobs Plan ». Le plan de Joe Biden recouvre également en grande partie les infrastructures.

Faut-il s’inquiéter de l’inflation et de l’évolution des taux aux Etats-Unis ?

Stephan Eugster : Tous les programmes de stimulus économiques concernent des montants colossaux et, pour financer tout ça, les banques centrales ont recours à la planche à billets. Même si la tendance de long terme reste déflationniste, le risque de rebond de l’inflation à court terme est réel. Je ne suis pas convaincu que nous soyons au début d’un grand cycle des matières premières, mais la hausse des prix sur les deux prochaines années va générer de l’inflation. Cela pèsera sur les résultats de certaines entreprises qui n’ont pas la capacité de répercuter ces hausses de coûts sur leurs clients.

Eric Lauri : Nous ne prenons pas de pari sur la direction que vont prendre les taux à moyen ou long terme. Il y a trop de variables aléatoires sur lesquelles nous n’avons pas de prise. Nous pouvons élaborer plusieurs scénarios, tous réalisables, sans pour autant savoir par anticipation lequel sera le bon. Nous faisons donc attention, dans les portefeuilles, à ne pas nous exposer à des scénarios macroéconomiques qui ont des implications sur d’autres classes d’actifs que celle dans laquelle nous investissons.  

En revanche, d’un point de vue bottom-up, on peut s’interroger sur la façon dont la hausse des prix des matières premières va affecter les coûts dans certains secteurs comme la chimie ou l’industrie. Il est probable que cela pèse sur les marges. Une connaissance approfondie des valeurs permet de déterminer quelles sont celles qui vont en souffrir dans un environnement concurrentiel et celles qui auront la capacité de relever leurs prix de vente.

Jacques-Aurélien Marcireau : Un des grands atouts des actions, quand la sélection est bien faite, est de pouvoir s’affranchir du débat sur l’échéance de la remontée des taux et l’ampleur du rebond de l’inflation. Les actions restent la classe d’actifs qui s’adapte le plus facilement. Les entreprises peuvent revoir leur stratégie en fonction des environnements macroéconomiques, repenser leurs structures de coûts ou ajuster leurs prix. C’est dans ces périodes que les actions se distinguent alors que les produits obligataires sont plus vulnérables. C’est ce qui peut justifier leur attractivité croissante et leur rebond depuis le point bas de la crise du Covid-19.  

Il est par ailleurs important de ne pas adopter de posture dogmatique sur l’inflation et les pénuries potentielles. Le secteur des semi-conducteurs est, par exemple, capable de ramener l’offre à un niveau équivalent à la demande dans un laps de temps assez court. On est toujours très surpris de la capacité de l’offre à rebondir. Il convient cependant de s’interroger sur la persistance de certains facteurs déflationnistes. Prenons l’exemple de la main-d’œuvre chinoise qui, pendant plus de vingt ans, a exercé une pression à la baisse sur les salaires partout dans le monde. Or, les salaires ne sont plus aussi faibles dans certaines régions de la Chine, et la force de travail chinoise est aujourd’hui en décroissance.

Les marchés actions ont beaucoup monté depuis le début de l’année, certains indices ont inscrit de nouveaux records historiques. Comment inciter les investisseurs à privilégier la classe d’actifs alors que les valorisations sont très élevées et qu’on évoq

Jacques-Aurélien Marcireau : Nous encourageons nos clients à se tourner vers des thématiques de long terme, à accepter les corrections à court terme et la volatilité dans des marchés de plus en plus imprévisibles. Il ne faut pas s’attarder sur le risque de correction des marchés d’ici à la fin de l’année, mais plutôt sur les perspectives à cinq ans. Nous avons une meilleure vision à long terme des prévisions de croissance bénéficiaire. 

Quant à la hausse des marchés ces derniers mois, elle est assez différenciée : une partie du marché est en pause après avoir réalisé de belles performances, tandis que l’autre partie est en phase de rattrapage. Cela donne l’impression d’une hausse ininterrompue depuis mars 2020, mais elle est la résultante de différents réacteurs qui ne se sont pas allumés au même moment. Nous ne sommes donc pas forcément inquiets sur les niveaux de valorisation des marchés, hormis pour une fraction composée de valeurs technologiques non rentables, soit environ 40 % du secteur technologique américain. En s’extrayant du niveau général des indices, il est possible de trouver des opportunités dans le marché.

Stephan Eugster : En effet, on peut s’inquiéter des valorisations élevées des marchés actions, mais toutes les classes d’actifs sont chères. Il y a peu de possibilités alors que, dans l’univers des actions, il y a encore des opportunités. Certaines entreprises ont la capacité de s’adapter rapidement aux changements d’environnement et offrent des perspectives de croissance durable. D’autres ont encore un potentiel de rattrapage important. De nombreux secteurs offrent une bonne visibilité : l’environnement, l’eau, les énergies renouvelables, mais aussi les technologies de l’efficacité énergétique ou des semi-conducteurs, y compris les logiciels pertinents qui permettent d’optimiser des processus industriels ou logistiques, etc. Il y a donc des opportunités de long terme dans le marché, mais aussi des risques quand les valorisations actuelles sont le reflet de prévisions de profits à dix ans ou plus ! Mieux vaut privilégier des sociétés qui sont économiquement viables dès aujourd’hui, des sociétés bien positionnées pour profiter de certains moteurs économiques de long terme.

Eric Lauri : La décision d’investir dans les marchés actions appartient à nos clients. Une fois qu’ils ont fait ce choix, nous leur proposons d’investir dans un fonds capable de faire mieux que le marché actions, en l’occurrence le MSCI Europe. Un constat s’impose : la valorisation est rarement un indicateur avancé de la performance des marchés. 

Les marchés peuvent être chers à un instant T et l’être un peu plus trois mois plus tard parce que les anticipations des analystes étaient en retard. Il ne faut pas trop se préoccuper du niveau de valorisation des marchés. Il y a une profondeur et une richesse dans l’univers des actions qui permet, régulièrement, de trouver des valeurs en hausse, y compris dans les phases de baisse du marché.

Les flux sur les actions sont toujours captés par les ETF. Le contexte actuel est-il favorable à la gestion active et au stock picking ?

Jacques-Aurélien Marcireau : L’environnement actuel des marchés actions, avec des niveaux de valorisations qui semblent peu attractifs mais une réalité sous-jacente très différente, est en effet propice au stock picking. C’est un moment favorable pour investir avec discernement et discipline, ce qui nous rend confiant sur la gestion active en 2021 et après.  Au-delà du débat gestion active/gestion passive, je pense qu’il faut également arrêter de parler de « growth versus value », car c’est une fausse opposition. Au cours de ces cinquante dernières années, il y a eu plusieurs périodes durant lesquelles les valeurs de croissance et les valeurs value surperformaient simultanément. A la fin, c’est la qualité du stock picking qui compte. 

Dans le monde post-covid, des sociétés de secteurs traditionnels ont très bien pris le tournant de la data et de la digitalisation. Ce ne sont pas des valeurs technologiques, mais elles survivent très bien à l’environnement actuel. Les cours de ces sociétés value vont pouvoir s’apprécier en Bourse et, inversement, les sociétés de croissance qui apportent des solutions aux enjeux de demain ont un potentiel de hausse important. Une bonne discipline permet d’éviter les « value traps », de surpayer la croissance et de trouver des opportunités dans les deux styles.

Stephan Eugster : Nous assistons en effet à des arbitrages entre croissance et value, mais nous ne nous soucions pas trop des styles dans notre gestion. Nous nous concentrons surtout sur les fondamentaux des entreprises. Quel que soit le style, il faut s’intéresser à la valeur. Si une société est décotée parce qu’elle est confrontée à des changements structurels ou à une technologie disruptive, il faut l’éviter. S’il s’agit d’une entreprise dans un secteur apprécié mais capable de s’adapter à un environnement changeant, il vaut mieux la garder. En ce qui concerne la croissance, si les entreprises bénéficient de moteurs de long terme et sont capables d’apporter un réel bénéfice à leurs clients, il faut les conserver. 

Notre portefeuille s’affranchit des considérations growth/value pour investir dans des sociétés qui proposent des solutions évolutives. Dans la période actuelle, il est préférable d’investir dans des modèles de croissance durable.  Par ailleurs, à la question de savoir si la gestion passive va conserver les faveurs des investisseurs, il me semble que la période va être plus difficile. Les changements actuels favorisent davantage la gestion active, même si certains ETF sont aussi thématiques.

Eric Lauri : Nous faisons en sorte que notre portefeuille investi dans les actions européennes soit, en matière de style, équivalent à son indice de référence. Nous ne voulons pas prendre de pari sur la surperformance d’un style par rapport à un autre. Il y a de la nuance aussi bien dans la value que dans la croissance, et il est possible de générer de l’alpha avec chacun de ces deux styles. Cette simplification quantitative qui s’est imposée comme une grille de lecture dans le marché cache une réalité plus nuancée.  

Par ailleurs, en ce qui concerne la concurrence des ETF, on ne peut ignorer la tendance à l’industrialisation du monde de la gestion d’actifs et à la concentration des grands acteurs. Mais un fonds géré activement et capable de surperformer son indice dans plusieurs configurations de marché plaira toujours à certains clients. Cependant, la pression sur les frais est réelle et régulièrement alimentée par diverses études qui expliquent que la gestion active, en moyenne, ne bat pas les marchés. Or, dans le détail, ce n’est pas vrai, notamment pour les fonds du premier décile.

Jacques-Aurélien Marcireau : Nous sommes confiants sur le potentiel des marchés pour les douze ou dix-huit prochains mois et sur l’horizon de cinq ans recommandé aux investisseurs. Il est vrai cependant que la période est complexe. Cette complexité incite à recourir à la gestion active et à la sélectivité pour obtenir des rendements intéressants.

Depuis mars 2020, les investisseurs tendent à privilégier les fonds intégrant les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Les sociétés les mieux notées seraient notamment plus résilientes. Partagez-vous ce constat ? La crise a-t-elle c

Stephan Eugster : Nous intégrons depuis longtemps les critères ESG, mais notre approche consiste à rechercher des solutions aux problèmes d’aujourd’hui plutôt que de se contenter de les exclure. Il est clair que les entreprises en difficulté sur ces sujets ont des parcours boursiers décevants. Il faut donc prendre en compte ces enjeux de long terme, d’autant que la plupart des plans de relance visent en particulier à améliorer l’environnement. Ces soutiens s’étalent sur plusieurs années.

Jacques-Aurélien Marcireau : Nous avons une expertise ISR interne, notamment sur la partie zone euro depuis une dizaine d’années, avec de nombreux fonds labellisés. Nous n’avons donc pas découvert l’ESG en 2020, mais nous avons clairement accéléré la transformation de notre gamme de fonds, en particulier dans la gestion actions avec la grande majorité des produits qui relève de l’article 8 et 9 du règlement SFDR [règlement européen 2019/2088 dit « Sustainable Finance Disclosure », entré en application le 10 mars 2021 – ndlr]. C’est un de nos axes de développement depuis trois ans, car ces approches répondent aux attentes des investisseurs et apportent une réelle plus-value dans la gestion des risques, avec la prise en compte systématique de certains risques qui n’étaient pas évalués avec une analyse financière classique.

Eric Lauri : Nos fonds actions intègrent également les critères ESG et relèvent de l’article 8. Aujourd’hui, on ne peut plus dissocier les critères ESG de l’analyse financière. Il y a une réconciliation très claire entre le mandat de génération d’alpha et l’intégration ESG. Il existe des opportunités concrètes d’investissement et des risques importants liés à ces enjeux. Dans la partie environnementale et sociétale, les risques sont dans le viseur de la réglementation et des gouvernements. Désormais, lorsqu’on valorise une société, la prime de risque doit tenir compte de ces sujets. Cependant, nous ne sommes pas favorables aux exclusions dogmatiques et sectorielles.

Stephan Eugster : Grâce à notre focus sur les sociétés apportant des solutions concrètes aux problèmes environnementaux et générant un impact positif, notre fonds CleanTech relève de l’article 9 du règlement SFDR.

Quelles sont vos convictions pour les prochains mois ? Faut-il privilégier certains secteurs ou thématiques ?

Jacques-Aurélien Marcireau : Plusieurs thématiques sont prometteuses en matière de retour sur investissement sur le moyen terme et d’impact positif : la transition énergétique ou la digitalisation de l’économie et l’exploitation des données. Sur le plan géographique, les actions indiennes nous paraissent intéressantes. On en parle peu, mais toutes les conditions sont réunies pour rendre l’investissement dans les valeurs indiennes très attractif à un horizon de cinq ou dix ans et profiter du miracle économique indien.

Stephan Eugster : Dans le thème de l’environnement, nous investissons dans des entreprises dont l’activité est liée à la transition ou à l’efficacité énergétique, des entreprises qui offrent des solutions dans le bâtiment pour des économies d’énergie, etc. Ce thème profite des plans de relance en Europe, aux Etats-Unis, mais aussi en Chine et au Japon, partout, car le développement durable et notamment la décarbonation des industries sont des enjeux mondiaux. Ce sont des investissements de long terme qui recouvrent plusieurs secteurs, ce qui permet de traverser différents cycles de marché. 

L’univers d’investissement se compose aussi bien d’acteurs récemment introduits en Bourse que d’entreprises cotées depuis longtemps, qui sont en train de changer. On peut citer l’exemple de sociétés industrielles reconverties dans les batteries électriques.

Eric Lauri : Pour profiter de toute la richesse qu’offrent les marchés actions et pour éviter de prendre des paris qui pourraient s’avérer perdants, nous investissons dans l’ensemble des secteurs de la cote. Un mauvais pari peut détruire plusieurs années de génération d’alpha ! En termes de secteurs, notre fonds est construit comme le MSCI Europe et notre sélectivité s’établit sur le plan intra-sectoriel. Prenons l’exemple de la technologie : au sein de ce secteur, nous sommes très positifs sur les semi-conducteurs mais, à l’intérieur de ce segment, les sociétés se distinguent en fonction de leur positionnement dans la chaîne de valeur. Notre performance relative par rapport au benchmark va dépendre de notre capacité, secteur par secteur, à sélectionner les meilleures opportunités, notre équipe de gestion se composant de gérants spécialisés par univers sectoriel. 

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