Table ronde

La gestion flexible peut-elle retrouver ses lettres de noblesse ?

Publié le 1 mars 2019 à 10h02    Mis à jour le 1 mars 2019 à 14h31

Propos recueillis par Catherine Rekik

L’année 2018 a été particulièrement compliquée pour les gérants de fonds flexibles. Les performances sont dans l’ensemble négatives, y compris pour des fonds qui avaient un profil prudent, entraînant des sorties importantes de la classe d’actifs. Funds s’interroge sur les raisons de cette contre-performance. • Pourquoi les performances des fonds flexibles ne sont-elles pas constantes dans la durée ? • La disparité des fonds composant la classe d’actifs ne nuit-elle pas à une bonne compréhension de ce type de gestion ? • Quelles leçons tirer en matière de contrôle de risque ? • Faut-il revoir les processus de gestion de ces fonds majoritairement conçus dans des conditions de marché inédites (post-2008, quantitative easing, rendements négatifs des obligations, etc.) ? • Comment séduire de nouveau les investisseurs ? • Quelles sont les convictions des gérants en ce début d’année ?

L’année 2018 a été très compliquée pour les gérants, et les performances de nombreux fonds flexibles ont été décevantes. Quels sont les événements qui ont le plus perturbé vos gestions ? Quelles en ont été les conséquences ?

Cédric Baron responsable de l’équipe multi-asset stratégies, Generali Investments : L’année 2018 a été marquée par une montée des risques politiques et par un changement radical d’appétit pour le risque et de sentiment de la part des investisseurs. Comme beaucoup, nous étions plutôt optimistes en début d’année, dans un contexte de croissance mondiale synchronisée et en l’absence de risques majeurs identifiés à court terme. Nous avons par la suite connu une succession de chocs, dont le premier est lié à la volatilité qui a été multipliée par cinq entre janvier et début février. Puis, D. Trump s’est engagé dans une politique de repli des Etats-Unis, marquée par des velléités de guerre commerciale tous azimuts. La zone euro n’a pas été épargnée, les élections italiennes au mois de mai faisant monter d’un cran les craintes de dislocation de la zone. En parallèle, la Fed s’en est tenue à sa décision de procéder à quatre hausses de taux dans l’année, malgré ces tensions politiques et l’affaiblissement de la croissance mondiale. Un certain nombre d’investisseurs ont alors craint une erreur de politique monétaire qui entraînerait la fin du cycle de croissance et le basculement prochain en récession. Les marchés actions qui s’étaient en partie relevés du choc baissier d’octobre ont replongé encore plus violemment en décembre, faisant du quatrième trimestre 2018 le pire depuis 2008. Il n’y a pas eu de déclencheur fort, mais une capitulation d’un certain nombre d’acteurs, surtout de la part des investisseurs particuliers, après une année particulièrement difficile. En décembre, la perspective d’une récession était au cœur des préoccupations, et donc bien loin de l’enthousiasme de début d’année.

Tous ces éléments ont entraîné un changement fort d’appétit pour le risque au sein des portefeuilles. A partir de l’été, nous avons conservé notre exposition aux marchés actions tout en mettant en place des protections, notamment – optionnelles –, et une plus grande part d’obligations d’Etat.

Eric Bertrand directeur des gestions taux, diversifiées et quantitatives, OFI AM : En 2018, la géopolitique s’est invitée assez brutalement dans les marchés financiers et, en fin d’année, ce sont ces derniers qui ont eu un impact sur l’économie réelle. Nous avons commencé par une année assez positive, avec un point technique en février lié à la volatilité, ce qui s’est traduit, dans nos enveloppes de risques, par un sentiment positif à l’égard des actions, et plutôt défensif vis-à-vis des marchés de taux. L’enchaînement des événements tels que les positions de Trump, les élections italiennes, le Brexit, etc., va animer la volatilité et se traduire, progressivement, par une inquiétude sur les marchés. Jusqu’en octobre, cette inquiétude reste mesurée, car elle ne semble pas affecter la croissance. Les questions sur les banques centrales ont commencé à se poser : sont-elles conscientes de ce qui se passe ?

Chez OFI AM, nous avons choisi d’avoir une exposition neutre aux actions dès le mois de mai et, en fin d’année, le débat autour d’un ralentissement cyclique ou de la récession a conduit, de façon globale sur la place, à des ajustements assez brutaux sur les portefeuilles. A peine 17 % des fonds actions françaises ont réussi à battre leur indice sur l’année 2018. Cela donne une idée de la complexité de lecture de ce marché. A partir du mois d’octobre, nous avons été plutôt défensifs et nous avons mis de la convexité dans les portefeuilles, tout en laissant toujours de côté les taux, en raison de l’attitude des banques centrales. Début 2019, les banques centrales changent de discours, et la situation se stabilise. Ce qui a entraîné un rebond sans doute un peu trop rapide des marchés. Ce mouvement rapide nous a conduits à repasser sur une position neutre sur les actions mi-février, alors que nous étions redevenus positifs en décembre.

L’environnement de marché vous oblige à être plus tactiques…

Eric Bertrand : Au-delà des mouvements tactiques à court terme afin de capter des opportunités de marché et de limiter notre risque, nous n’avons bougé significativement le curseur de notre exposition actions que deux fois en 2018, en mai et en décembre. Nous gérons, avec pragmatisme, en tenant compte d’un budget de risques. Si notre objectif de performance sur les actions ou les obligations est atteint plus rapidement que prévu, nous faisons évoluer nos portefeuilles.

Louis d’Arvieu associé gérant, Amiral Gestion : Ce qui s’est passé en 2018 montre les limites d’une allocation d’actifs basée sur des scénarios macroéconomiques ou boursiers. Pour réussir et faire de la surperformance de cette façon, il ne faut se tromper ni sur le scénario macroéconomique ni sur la traduction boursière de ce scénario. Or, ce qui s’est passé l’an dernier a modifié radicalement les anticipations de hausse des taux pour les deux ou trois prochaines années. Mais c’est systématiquement vrai depuis plusieurs années : les économistes anticipent des normalisations des taux qui ne sont jamais produites.

Dans un environnement aussi complexe, nous privilégions dans notre gestion une approche quantitative sur les valorisations sans faire de scénario. Ce qui nous a amenés à être prudents en matière d’exposition aux actions, en passant sous le seuil de 30 % dès fin 2017. Cela nous a permis d’être plus résilients en 2018.

Dans ces périodes chahutées, il est également risqué de changer son allocation du jour au lendemain. Il est important d’avoir un processus assez lissé de gestion de l’exposition actions. Entre 2012 et 2017, notre exposition aux actions est passée de 70 à 30 % : une vraie évolution qui s’est faite de façon progressive au fil du cycle haussier.

Léovic Lecluze gérant de fonds flexibles/diversifiés, Schelcher Prince Gestion : L’année 2018 a commencé pour nous avec une stratégie que nous avions baptisée «risk off/risk off». Nous considérions que tout était trop cher, à la fois les actions, le crédit high yield où les spreads s’étaient resserrés de manière excessive, mais aussi les actions américaines, qui nous paraissaient avoir retrouvé les excès de valorisation de la bulle de 1999 ou de 2007. Nous avons, un peu tôt, adopté une position défensive sur la poche obligataire, avec une logique d’aller chercher des positions short en sensibilité et short dollar, qui n’ont pas forcément porté leurs fruits, du moins sur une partie de l’année. Nous avons considéré que, après le krach de volatilité de février, le temps du «buy and hold» était terminé et que nous allions vers des marchés de haut de cycle avec leurs phases d’incertitudes et leurs changements de régime de volatilité.

Il y a un temps pour le lissage long terme de l’allocation d’un fonds flexible, et un temps pour la gestion tactique. Nous sommes à la fin d’un cycle de marchés haussiers qui a duré dix ans, d’un cycle économique, avec des tendances structurelles de révision à la baisse des économies développées et aussi émergentes, et sans doute à la fin d’un grand «bull market» obligataire commencé en 1982 qui a porté les taux d’intérêt à un record de baisse. Dans cet environnement, il faut faire attention à ne pas gérer dans le dogme du long terme «buy and hold». Nous avons donc un positionnement plutôt tactique, ce qui suppose d’accepter des changements de braquet assez dynamiques. Dans notre gestion flexible, nous n’avons aucun problème à passer de 70 % à 30 % d’exposition en quelques mois. Quand nous avons un début d’année comme celui que nous venons de connaître, avec un rebond du Nasdaq de plus de 20 % par rapport à son plus bas du 24 décembre 2018 et un mois de janvier parmi les plus euphoriques, sur les actions américaines, depuis 1928, on ne peut se permettre de raisonner en termes calendaires de comité stratégique. De telles conditions de marché nous imposent d’agir vite, afin de préserver les gains réalisés en l’espace de six semaines.

Eric Bertrand : Il ne faut pas opposer une approche quantitative à une approche fondamentale. Les deux se complètent et fonctionnent suivant des régimes de marché. Chez OFI AM, nous avons choisi en matière de mesure de risque – qui est autant une attente client qu’un objectif de rendement – de ne plus faire les choses à l’échelle de l’esprit humain. Nous travaillons à l’intérieur d’un budget de risques qui est quantitatif, et dont les mouvements sont fonction des volatilités et des corrélations. Le modèle quantitatif ne doit pas nous donner nos curseurs, mais le champ des possibles en matière d’investissements. Des marchés de fin de cycle, qui ont changé de nature, nous forcent à être nettement réactifs. A l’intérieur de cette enveloppe de risque, nous gérons avec une approche fondamentale de l’allocation d’actifs.

Etre réactif, flexible, amortir les baisses… telles sont les promesses des fonds flexibles. Cela n’a pas fonctionné en 2018. L’amplitude des baisses d’une majorité des fonds a surpris les investisseurs… Comment l’expliquez-vous ?

Léovic Lecluze : J’ai identifié quatre raisons principales qui peuvent expliquer ces contre-performances. La plupart des fonds flexibles se concentrent sur un univers européen. Un des avantages d’ouvrir un fonds flexible à un univers «monde» est d’utiliser bien mieux les matrices de corrélation par la diversification efficiente des régions et des secteurs, ce qui permet d’équilibrer les chocs. Deuxième raison : beaucoup de fonds flexibles ont du mal à saturer les bornes d’allocation. Il y a peu de vrais fonds 0-100 % qui vont à 0 % ou 100 % d’exposition aux actions. C’est la raison pour laquelle beaucoup de fonds flexibles n’ont pas amorti la baisse. Troisièmement, chez Schelcher Prince Gestion, nous estimons que le benchmark est une référence mais ne doit pas devenir une obsession. Or, beaucoup de fonds flexibles suivent souvent l’indice, notamment dans leur stock picking en actions. Les gérants se retrouvent alors piégés dans les phases de retournement de marché momentum/top-down, car ils hésitent à sortir totalement de certains secteurs dont le poids est très important dans leur indice de référence (les banques, par exemple). Lorsque ces secteurs entraînent la chute des marchés, il devient difficile d’amortir le choc baissier sur le portefeuille. Enfin, la quatrième raison concerne l’absence de culture du «stop loss» (stop de protection – ndlr) dans les fonds flexibles. Nous sommes censés protéger le capital du client, il est important d’avoir une culture «stop loss» sur les positions tactiques. Si le gérant se trompe, il doit savoir couper sa position tactique, à perte, ce qui évite d’accumuler des positions «value trap» perdantes, pendant des mois, voire des années. A contrario, sur des positions structurelles de long terme (non tactiques), notre ADN Value nous incite à renforcer nos positions dans la baisse.

Se pose donc la question de la flexibilité et du dynamisme de l’allocation, mais aussi de la gestion des corrélations et du contrôle du risque. Certains fonds flexibles sont, en réalité, peu flexibles. Ce qui explique que les gérants aient du mal à gérer de manière optimale des périodes de mini-krach.

Louis d’Arvieu : En 2018, pratiquement toutes les classes d’actifs ont baissé. C’est donc assez logique que l’année ait été difficile pour les fonds flexibles ! Cependant, détenir une part de liquidités importante constituait une des clés de la performance, même si ce n’est pas facile de gérer cette trésorerie dans un contexte de taux négatifs. Nous y sommes bien parvenus cette année dans Sextant Grand Large. Cependant, détenir une part importante de liquidités est compliqué, car les clients attendent des gérants qu’ils investissent au mieux entre les différentes classes d’actifs. Or, nous sommes dans un univers de plus en plus corrélé, dans lequel il est important de faire attention aux modèles historiques de corrélation qui sont de moins en moins pertinents.

Dans la gestion flexible, les fonds ayant des objectifs de rendement très précis, et qui arbitrent entre les actions et les obligations en fonction de ces objectifs, sont dans une situation périlleuse qui peut les mener à prendre un maximum de risques au moment où il faudrait plutôt les réduire. Cet élément a sûrement pesé l’an dernier, au moment où le crédit a atteint des niveaux de valorisation extrême qui incitaient plutôt à la prudence.

Enfin, je suis en accord avec ce qui a été dit précédemment sur la nécessité d’avoir un univers d’investissement mondial. Chez Amiral Gestion, le stock picking est un moteur important de performance dans notre gestion flexible. Il faut avoir une approche mondiale pour profiter de la disparité de valorisations et de risques. Les corrections enregistrées, en 2018, dans les pays émergents, ont créé des opportunités, au sein des actions chinoises, par exemple. En matière de risque, les entreprises japonaises sont en situation de trésorerie nette, alors que les sociétés américaines sont très endettées en haut de cycle.

Cédric Baron : 95 % des classes d’actifs ont eu des performances négatives en 2018 : cela ne s’était pas vu depuis trente ans ! Il était donc très compliqué de réaliser des performances positives dans ce contexte, même en étant diversifié mondialement. Si, de surcroît, les risques de change sont couverts, les portefeuilles n’ont pas pu profiter de la baisse du dollar et ont supporté des coûts de couverture très élevés détériorant d’autant plus les performances. Par ailleurs, la grande majorité des processus de gestion souffrent des mouvements violents en «V», tels que ceux que nous avons connus en février, en octobre ou en décembre. Lorsque les fonds sont contrôlés en risque et que la volatilité augmente dans de telles proportions, ces mouvements sont particulièrement néfastes, puisqu’ils amortissent les baisses mais ne profitent que très partiellement des rebonds. Plus généralement, les fonds flexibles ont nettement souffert sur ces trois périodes, même s’ils ont amorti une partie de la baisse.

Ce n’est pas tant la performance négative qui leur est reprochée, mais l’ampleur de la baisse pour certains fonds, notamment ceux qui affichaient des profils plutôt prudents… L’intérêt pour la gestion flexible peut-il être remis en cause ?

Cédric Baron : Le principal problème pour les gestions flexibles en 2018 est venu du fait qu’il n’y avait pas de poche de protection, la quasi-totalité des classes d’actifs affichant des pertes sur l’année. En particulier, les obligations gouvernementales n’ont pas ou très peu été décorrélées des actions en période de baisse. Toutes les gestions – y compris les hedge funds – ont souffert de cet environnement. La gestion flexible repose en partie sur la décorrélation entre les actions et les obligations sur le long terme. Lorsqu’une classe d’actifs connaît un choc baissier et que l’autre n’offre pas cette décorrélation, cela se traduit souvent par une déception de la part des investisseurs en matière de performance. Le durcissement de la plupart des politiques monétaires des banques centrales a été à l’origine de ce phénomène que nous considérons comme transitoire.

Enfin, il ne faut pas oublier que les performances de ces fonds doivent être considérées sur un horizon de trois à cinq ans, un cycle minimum avec des périodes de marchés financiers différentes permettant de gérer et le risque et la surperformance.

Louis d’Arvieu : Cela ne change pas pour autant la corrélation, puisque les changements d’orientation de la Fed ou de la BCE favorisent à la fois les actions et les obligations. Le risque est de continuer à fonder la stratégie sur l’anticorrélation actions/obligations, qui est de moins en moins pertinente. A la prochaine tentative de normalisation, les conséquences risquent d’être les mêmes. Quand le cycle se retournera, le phénomène sera peut-être même amplifié. Il est donc important d’avoir un processus de gestion qui traite séparément les actions et les obligations. Concernant ces dernières, il faut être prudent et préférer les durations courtes et la liquidité. Sur les actions, on peut être plus tactique et plus agressif.

Eric Bertrand : Depuis dix ans, nous évoluons dans un contexte dans lequel les banques centrales ont complètement changé les matrices de corrélation. Au moindre choc, les banquiers centraux intervenaient en injectant des liquidités, en baissant les taux, etc. Les actions montent, les taux baissent…

Les deux actifs principaux de la diversification mondiale vont dans le même sens en matière de performance. L’action des banques centrales est en train de s’arrêter, une nouvelle phase débute avec des ruptures de corrélation qui peuvent être très brutales et qui peuvent piéger des gestions. Pour éviter cela, chaque actif doit être analysé indépendamment et être assemblé en fonction d’un cadre de risque défini.

Léovic Lecluze : A la question de savoir s’il est toujours opportun d’investir dans les fonds flexibles, la réponse est oui. Pour les cinq prochaines années, ce sera sans doute plus intéressant que par le passé. Pour la première fois depuis dix ans, nous vivons la fin des injections de liquidités des banques centrales qui ont tassé la volatilité et déréglé les matrices de corrélation. La fin de cette période devrait remettre à plat ces matrices de corrélation opérantes et des régimes de volatilité sains. La gestion flexible devrait donc retrouver ses lettres de noblesse, car les gérants vont pouvoir arbitrer les classes d’actifs.

Par ailleurs, ces injections massives de liquidités ont créé des marchés de momentum dans lesquels la gestion contrariante a été un échec. Les grandes masses de liquidités ont créé des vagues d’appréciation d’actifs qui n’ont pas laissé la place à la convexité. Désormais, la gestion contrariante, la gestion value ou la recherche de convexité vont reprendre le dessus. Une gestion flexible qui allierait allocation tactique dynamique, gestion du «stop loss» et recherche de convexité dans des paris contrariants aura, à mon sens, des avantages compétitifs par rapport à une gestion flexible qui a été portée, ces dernières années, par des régimes momentum et des régimes de faible volatilité.

L’évolution du cadre dans lequel étaient gérés ces fonds flexibles induit-elle une évolution de ces produits créés majoritairement après 2011 ? Faut-il s’intéresser à des fonds qui ont un historique plus long ?

Léovic Lecluze : Ces fonds flexibles créés après 2008 sont des «bébés quantative easing» ! Ils n’ont connu que la hausse des marchés, et une volatilité plafonnée par les banques centrales. Il ne faut pas forcément regarder les fonds ayant le plus long historique, mais plutôt parier sur la capacité des gérants à affiner et à adapter leur processus de gestion dans un nouveau régime de volatilité, car la fête des injections de liquidités est finie, au moins pour un certain temps, jusqu’à la prochaine grande crise.

Cédric Baron : Cela fait maintenant plusieurs années que l’on brandit la hausse des taux directeurs de la part des banques centrales mondiales comme le principal risque pour les gestions flexibles. Les Etats-Unis ont commencé à relever leurs taux fin 2015, avec une hausse cumulée de 2,5 %, et, dans le même temps, le S&P 500 a progressé de près de 50 %. Un resserrement monétaire n’est pas fatalement une mauvaise nouvelle pour les marchés actions, tout dépend de la vigueur de la croissance associée et des primes de risque attachées à cet actif. Nous sommes au début d’une phase de transition durant laquelle les taux peuvent monter de façon graduelle sans pour autant que les actions baissent. Depuis quelques années, les gérants et les investisseurs se plaignent des faibles rendements ou de primes de risque totalement comprimées. Le point positif de la période actuelle est la reconstitution de ces primes de risque qui offriront à terme des perspectives de rendements plus attractifs.

Léovic Lecluze : Il faut gérer un fonds flexible comme un fonds total return. L’objectif est que la performance soit, in fine, positive pour les clients, quelles que soient les conditions de marchés.

Déçus, les clients risquent pourtant de revenir sur les fonds en euro alors qu’on leur avait proposé les fonds flexibles comme une alternative…

Louis d’Arvieu : Il faut faire attention aux promesses faites aux clients. Le fonds flexible n’a rien à voir avec le fonds en euro, ni même avec les fonds patrimoniaux pour lesquels la poche actions est souvent limitée à 20 ou 30 %. Un fonds flexible 0-100 % ne peut pas être un substitut du fonds en euro. Il faut être clair sur la promesse et sur le risque pris.

Comment s’y retrouver entre des fonds flexibles avec des profils de risque prudents, des fonds diversifiés plus ou moins flexibles ou des fonds patrimoniaux ?

Eric Bertrand : Les fonds diversifiés existent depuis les années 1990. Ils ont changé de nom : fonds diversifiés, profilés, à coussin, flexibles, patrimoniaux, etc. Globalement, ces fonds combinent une exposition flexible à différentes classes d’actifs, le plus souvent des actions et des obligations, en fonction du profil de risque recherché. Mais, dans tous les cas, il faut comprendre que, pour avoir de la performance, il faut prendre des risques. Ces risques sont encadrés mais, parfois, ils se matérialisent. Depuis des années, beaucoup de ces fonds, quel que soit le nom qu’on leur donne, ont fait des performances extraordinaires, certes en profitant de leur degré d’exposition aux actions, mais surtout grâce à la baisse des taux ininterrompue. Ce mouvement des taux d’intérêt est désormais derrière nous et ne pourra plus apporter de performance comme par le passé. C’est là, dorénavant, que la gestion flexible prend tout son sens en incorporant d’autres moteurs de performance.

Léovic Lecluze : La fin probable du grand «bull market» sur les marchés obligataires est proche, ce qui ne signifie pas pour autant que la classe d’actifs obligataires va cesser d’être un moteur de performance. Il est possible, par exemple, de coupler une stratégie de portage avec une gestion consistant à prendre des positions sur les spreads entre courbes et/ou entre pays, afin de générer de la performance, au-delà du classique long terme «buy and hold» jusqu’à l’échéance. Le changement de régime de volatilité nous oblige à nous réinventer, plutôt que de nous laisser porter passivement par une classe d’actifs (les obligations) qui n’a pas cessé d’apporter de la performance positive depuis 1982.

Eric Bertrand : Le crédit haut rendement (high yield) ou la dette émergente en devises locales sont des classes d’actifs qui ont retrouvé du risque, mais l’investisseur est désormais rémunéré pour ce risque.

Louis d’Arvieu : Le stock picking et le bond picking vont être plus déterminants dans la gestion flexible à l’avenir. Il faut donc identifier des gérants ayant une réelle capacité à capter de l’alpha grâce à la sélection de titres. Les épisodes comme celui que nous avons vécu en décembre vont se multiplier. Ce qui incite à la prudence jusqu’à ce que nous ayons vraiment changé de régime. La période sera ensuite plus favorable à des différenciations sur la partie actions.

Léovic Lecluze : Pour ma part, je considère également qu’un bon fonds flexible doit être un fonds de conviction, concentré. Notre poche actions ne compte qu’une trentaine de titres. Quitte à prendre des risques maîtrisés, autant le faire sur des convictions fortes et démontrer que nous sommes capables de générer de l’alpha. Sinon, comment justifier les frais de gestion et notre valeur ajoutée par rapport à la gestion passive du type ETF ?

Cédric Baron : La réactivité sera clé pour la gestion flexible. Depuis plusieurs mois, on anticipe une remontée des taux et on s’interroge sur la meilleure façon de s’adapter, mais on ne peut pas exclure non plus un scénario dans lequel la BCE n’arrive jamais à remonter ses taux. On ne peut exclure une fin de cycle avec une BCE bloquée, dans l’impossibilité de relever les taux sans donner un coup de frein brutal à la croissance déjà affaiblie. Nous anticipons tous une remontée des taux et ses possibles conséquences sur la classe d’actifs obligataires, mais rien ne dit que nous n’allons pas vers une récession plus rapidement qu’anticipé, et des taux encore plus bas… Il faut donc être capable de faire évoluer rapidement les portefeuilles.

Eric Bertrand : Il est donc important de sortir de sa zone de confort et d’aller chercher d’autres sources de performance, soit dans les actifs émergents, soit dans les expositions aux devises.

Quelles sont les convictions exprimées aujourd’hui dans vos portefeuilles ?

Louis d’Arvieu : Dans l’allocation d’actifs, les liquidités conservent un rôle important. Nous sommes ensuite prudents sur la dette en général, car les taux et les spreads sont globalement à des niveaux bas dans le monde. Dans la poche actions, qui représente 25 % aujourd’hui, nous avons des paris assez forts sur un nombre important d’actions japonaises et émergentes de bonne qualité, et pourtant sous-évaluées en absolu comme en relatif.

Cédric Baron : Après le rallye du début d’année, nous restons positifs sur les actions, mais réduisons notre exposition. Nous conservons notre préférence pour les marchés émergents et américains. Nous sommes très prudents sur la zone euro en raison des risques politiques et de la décélération de la croissance. De même, nous sous-pondérons le Royaume-Uni en raison de la faible visibilité. Dans la poche obligataire, nous avons augmenté notre exposition sur le crédit suite au changement radical de ton de la Fed, qui devrait soutenir la classe d’actifs. Nous réduisons graduellement notre exposition aux obligations gouvernementales étant donné les niveaux de rendement atteints, mais conservons une exposition par souci de diversification. Nous implémentons des stratégies de couvertures optionnelles sur l’Europe et sur la volatilité aux Etats-Unis.

Eric Bertrand : Nous ne croyons pas à une récession, mais plutôt à un ralentissement cyclique, ce qui nous a amenés à être assez positifs en début d’année. Toutefois, le gain que nous avions anticipé sur les actions a été réalisé en quelques semaines, ce qui nous amène à passer à un positionnement neutre en prévision d’un nouvel épisode de volatilité lié à de nombreuses échéances : accord sino-américain, Brexit, élections européennes. Nous avons privilégié, en fin d’année dernière, le crédit high yield, dont nous apprécions le portage, et la dette émergente en devises locales.

Léovic Lecluze : Nous avons un processus de gestion 4C. Chaque investissement doit être contrariant, être une conviction, avoir une forte convexité et un catalyseur. Nous avons profité de la baisse de décembre pour remettre du risque en portefeuille, et nous avons commencé l’année avec une exposition aux actions de 60 %. Après la hausse de 10 % en quelques semaines, correspondant à l’objectif que nous avions sur l’année, nous avons réduit cette exposition à 30 %, car la convexité avait disparu. Notre approche taux est concentrée exclusivement sur l’investment grade, avec un rating moyen A-. Nous avons soldé la totalité de nos positions tactiques sur la dette italienne. Nous sommes en train de placer des boucliers protecteurs sur le fonds, à mesure que nous avançons vers la fin du cycle macroéconomique, de façon à préparer le prochain «bear market», en bâtissant une position importante sur les US Treasuries, concentrée, pour l’instant, sur les maturités courtes deux, trois et cinq ans.

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