Ressources humaines

L’audit peine à fidéliser ses équipes

Publié le 21 janvier 2022 à 13h00

Anaïs Trebaul    Temps de lecture 8 minutes

Après une baisse du turnover au début de la crise sanitaire, les cabinets d’audit assistent ces derniers mois à une vague de démissions parmi leurs salariés, de plus en plus tentés par de nouveaux horizons. Pour compenser ces départs, ils essaient de recruter massivement, mais ils mettent aussi en place des solutions pour retenir leurs salariés.

L’équilibre pyramidal des cabinets d’audit est-il en train de perdre en stabilité ? Traditionnellement habitués à un turnover élevé, qui leur permet d’obtenir une structure d’effectifs pyramidale en fonction du nombre d’années d’expérience des auditeurs, les cabinets ont assisté ces derniers mois à une vague massive de départs, bien plus élevée qu’attendue. 

En cause : un effet de rattrapage après une année 2020 où peu d’auditeurs avaient décidé de quitter leur poste du fait des incertitudes liées au contexte sanitaire… mais pas seulement. « Le télétravail s’est renforcé avec la crise ; si nous privilégions la flexibilité il n’en demeure pas moins que notre métier d’auditeur nécessite d’aller à la rencontre des entreprises, observe Virginie Palethorpe, associée Audit et en charge des sujets RH chez Grant Thornton. Par ailleurs, nous assistons à une tendance de fond de baisse d’attractivité de la finance et de l’audit, notamment liée à des contraintes réglementaires de plus en plus fortes sur ces métiers, qui peuvent freiner les jeunes aujourd’hui. » Un constat partagé par Audrey Hayouni, senior manager chez Fed Finance. « Nous observons une perte de sens de la part des auditeurs avec un changement du métier qui devient de plus en plus réglementé au détriment du conseil. Ils ont une sensation de manque de reconnaissance dans leur travail, accentuée par la saisonnalité qui devient plus conséquente tout au long de l’année et qui ne les attire plus. »

«Pour faire face aux départs, nous avons dû embaucher une soixantaine de profils expérimentés en 2021, alors que certaines années nous n’en recrutions quasiment pas. »

Stéphane Pedron (Photo : Franck Dunouau) Associé, responsable de la stratégie RH ,  EY

Des recrutements massifs

Pour compenser ces départs, les cabinets, dont le niveau d’activité en audit n’a pas été affecté par la crise du fait de la récurrence de leurs missions, doivent recruter massivement. « Notre programme de recrutement a été accéléré en juillet dernier pour renforcer nos équipes, indique Stéphane Pedron, associé, responsable de la stratégie RH chez EY. Entre septembre et novembre, nous avons ainsi accueilli 210 auditeurs assistants ou débutants à Paris et 130 en régions. Des proportions que nous n’avions jamais connues auparavant ! Par ailleurs, nous avons dû embaucher une soixantaine de profils expérimentés en 2021, alors que certaines années nous n’en recrutions quasiment pas. »

Pour autant, selon les cabinets, le nombre de candidats reste élevé. Chez KPMG France, on dénombre 47 000 candidatures reçues en audit en 2021, pour 800 à 1 000 recrutements par an, stagiaires inclus. Néanmoins, les recrutements ne se déroulent pas sans difficultés. Concernant les profils juniors, l’audit reste, bien sûr, une voie royale pour accéder au monde professionnel. « L’audit, qui plus est au sein d’un Big 4 comme KPMG, continue d’intéresser les jeunes diplômés en point d’entrée dans le monde du travail, relève Alexandra Saastamoinen, associée, en charge des talents, chez KPMG. C’est un des rares métiers qui permet très rapidement d’acquérir une vision globale de l’entreprise et d’accéder à des interlocuteurs de haut niveau. »

ESG, data : les nouvelles tendances de l’audit

  • Avec le renforcement des audits informatiques et extra-financiers, les cabinets recrutent des profils plus variés qu’auparavant. « Nous recrutons toujours des profils d’écoles de commerce, ou issus d’un parcours de comptabilité gestion en université ou en IAE, mais nous embauchons également de plus en plus de profils ingénieurs ou techniques, pour devenir auditeurs IT, data ou experts en RSE, remarque Virginie Palethorpe, associée Audit et en charge des sujets RH chez Grant Thornton. Alors qu’ils étaient à la marge il y a quelques années, ceux-ci représentent désormais environ 20 % de nos recrutements et sont amenés à progresser. »

    Certains cabinets, comme KPMG, mettent même en place des parcours dédiés. « Nous avons besoin de profils avec une sensibilité digitale, souligne Pierre Planchon, associé, membre du comité exécutif, responsable des métiers de l’Audit et de la Qualité chez KPMG. Pour cela, nous avons créé il y a deux ans un parcours mixte qui permet aux auditeurs d’alterner entre des missions d’audit financier et d’audit IT ou en data analytics. De plus, nous formons les auditeurs à participer au développement de solutions technologiques. »

  • Les candidats deviennent eux aussi de plus en plus friands de ce type de sujets, et s’interrogent sur la façon dont les cabinets peuvent répondre à leurs attentes. « Au-delà des missions en elles-mêmes, les auditeurs portent un intérêt croissant à la place de la RSE au sein du cabinet, alors qu’il y a cinq ans, ils ne s’y intéressaient pas, observe Sylvain Massebeuf, executive director chez PageGroup. Par ailleurs, l’informatique permet d’éliminer des tâches chronophages lors des audits et rend le métier d’auditeur plus intéressant pour de jeunes diplômés. » 

«Auparavant, la pyramide hiérarchique de l’audit se constituait naturellement, avec un turnover plus fort des auditeurs au bout de 4-5 ans, mais désormais ils peuvent être amenés à partir au bout de 2 ou 3 ans. »

Virginie Palethorpe Associée Audit et en charge des sujets RH ,  Grant Thornton

Un manque de profils expérimentés

Les cabinets d’audit ont surtout du mal à recruter des profils expérimentés, avec au moins 2-3 ans d’expérience. « La vague de départ a été plus importante en 2021, constate Audrey Hayouni. Cette année l’offre est supérieure à la demande et de nombreux postes sont restés vacants au sein des cabinets. En parallèle, le niveau d’exigence des cabinets n’a pas diminué, ils recherchent des profils expérimentés pour répondre aux enjeux de leurs clients. » Un constat partagé par Stéphane Pedron. « La démarche de recrutement des auditeurs expérimentés est différente et plus difficile que pour les débutants, remarque-t-il. Nous devons être plus présents sur les réseaux sociaux, pour communiquer sur nos nouveaux besoins et susciter des candidatures. Nous nous intéressons ici plus à l’expérience du candidat qu’à son parcours académique. Nous veillons aussi à ce qu’ils soient capables de s’intégrer dans une nouvelle entreprise et s’adapter à de nouveaux outils, ce qui n’est pas évident. »

Pour trouver des auditeurs expérimentés, les cabinets d’audit font donc de plus en plus appel à des recruteurs spécialisés et procèdent à une veille continue des profils qui peuvent les intéresser sur les réseaux sociaux. Certains cabinets commencent même à élargir leurs critères de recrutement. « Nous avons commencé à recruter pour des postes d’auditeurs expérimentés, des profils avec une expérience professionnelle en finance, mais pas en audit, ce qui auparavant n’était pas imaginable », affirme Virginie Palethorpe.

Des départs plus précoces

Cependant, cette vague de départs met surtout en avant des difficultés de la part des cabinets à retenir leurs salariés. Certes, ces structures ont l’habitude de fonctionner avec un turnover élevé. « Nous fonctionnons naturellement avec un turnover d’environ 15 %, explique Pierre Planchon, associé, membre du comité exécutif, responsable des métiers de l’audit et de la qualité chez KPMG. Lorsqu’il est inférieur à 10 %, la croissance de nos effectifs est supérieure à l’évolution de notre chiffre d’affaires. Lorsqu’il est supérieur à 20 %, nous perdons en compétences. »

Mais ce turnover a tendance à progresser. Et pour cause : les auditeurs restent de moins en moins longtemps dans leur cabinet. « De plus en plus d’auditeurs quittent leur cabinet après trois ans d’expérience », souligne Audrey Hayouni. Un constat partagé par Virginie Palethorpe. « Auparavant, la pyramide hiérarchique de l’audit se constituait naturellement, avec un turnover plus fort des auditeurs au bout de 4-5 ans, mais désormais ces derniers peuvent être amenés à partir au bout de 2 ou 3 ans. » Et quand ils quittent leur poste, ce n’est plus pour intégrer un autre cabinet. « La majorité part pour un poste en direction financière, d’autres pour mener des projets entrepreneuriaux… mais très peu restent en audit », poursuit Virginie Palethorpe. De ce fait, si les profils d’associés ne manquent pas, les auditeurs ayant 2 à 5 ans d’expérience sont en voie d’extinction !

Des solutions pour garder ses auditeurs

Afin de conserver leurs auditeurs, les cabinets sont ainsi amenés à innover. Dès leur embauche, les auditeurs juniors sont testés sur leurs aptitudes managériales. « Nous avons besoin de nous assurer que les auditeurs débutants que nous recrutons pourront plus tard devenir managers, indique Pierre Planchon. Nous avons à ce titre organisé l’encadrement de nos débutants au sein d’une “junior team” composée de stagiaires, apprentis, débutants et confirmés, que nous formons, avec des coachs dédiés, aux techniques managériales notamment. » De plus, les cabinets développent des parcours spécifiques sur plusieurs années, qui incitent les auditeurs à rester dans leur cabinet. « Nous avons monté avec l’Essec un cursus diplômant sur 3 ans, qui permet aux auditeurs d’accéder à un Mastère spécialisé Audit Manager, détaille Alexandra Saastamoinen, ce programme nous permet d’investir dans la formation et le développement personnel de nos jeunes collaborateurs, et de les fidéliser. » Des initiatives bienvenues, alors même que les premières tendances de 2022 indiquent que la vague des départs n’est pas totalement terminée

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