Formation continue

Les grandes écoles se lancent dans la finance décentralisée

Publié le 1 juin 2023 à 9h45

Pol-Malo Le Bris    Temps de lecture 7 minutes

Réservée jusqu’alors à des profils de programmeurs, la finance décentralisée, dont le fonctionnement s’appuie sur la blockchain, s’ouvre aux cadres de la finance traditionnelle, avec l’arrivée de formations spécifiques dans les grandes écoles françaises. Convaincues de son potentiel de développement dans les années qui viennent, l’Université Paris Dauphine – PSL et l’Ecole polytechnique sont les premières à s’être lancées en France sur le sujet.

Malgré l’éclatement de la bulle des crypto-actifs en 2022 et l’effondrement de la valeur de marché des actifs de la finance décentralisée (voir encadré), les premières formations continues sur la blockchain et la DeFi (decentralized finance) rencontrent un franc succès. Certes, l’offre de formation est encore limitée : parmi les institutions reconnues par l’Etat, seules deux grandes écoles, l’Ecole polytechnique et l’Université Paris Dauphine – PSL, ont déjà mis en place des certificats autour de la finance décentralisée. Mais cette offre devrait croître rapidement. « Je pense que la DeFi va prendre de l’importance dans les prochaines années, et il aurait été dommage que Dauphine, un endroit où l’on se forme beaucoup à la finance, ne dispose pas d’une formation en blockchain et finance décentralisée, explique Hervé Alexandre, professeur et directeur du master Banque et finance de l’Université Paris Dauphine – PSL. C’est pour cela que j’ai mis en place le certificat Blockchain et finance. » La première promotion dauphinoise devrait être diplômée en juillet, recevant un diplôme « sous la forme d’un NFT ».

Du côté de Polytechnique, la formation débutera déjà sa troisième édition à la rentrée prochaine, mais il s’agira seulement de la deuxième fois que l’université ouvrira les candidatures au public. « La formation est née d’un partenariat avec la Société Générale, précise Julien Prat, économiste au CNRS et directeur de la chaire Blockchain de l’Ecole polytechnique. En fait, c’était un programme de montée en compétences pour les salariés de la Société Générale, notamment pour permettre à certains d’entre eux de rejoindre SG-FORGE, la filiale du groupe dédiée à la blockchain, ou du moins de pouvoir interagir avec cette structure. » C’est ainsi que le Blockchain Advanced Program de l’Ecole polytechnique a reçu sa première promotion en 2022.

Dans les grandes lignes, les deux formations se ressemblent : les cours présentent une vision d’ensemble de la blockchain et insistent en particulier sur la finance décentralisée avec une part importante consacrée à la pratique. Il existe cependant quelques différences entre les formations,  notamment en ce qui concerne l’organisation des sessions. Au total les modules de Polytechnique durent 84 heures dans un format de deux jours par semaine pendant six semaines, tandis que Dauphine opte pour un peu moins d’heures mais sur un temps plus long : 66 à 70 heures sur cinq mois de formation. Pour s’inscrire à ces formations, il faut compter 5 000 euros à Dauphine et 10 200 euros à Polytechnique ; ces deux formations sont néanmoins éligibles au CPF (compte personnel de formation).

«D’ici 10 à 15 ans, la blockchain sera beaucoup plus étendue et incontournable. »

Hervé Alexandre Professeur et directeur du master banque et finance ,  Université Paris Dauphine – PSL

Des profils variés

Parmi les inscrits, les métiers de la banque sont surreprésentés mais tous les profils ne se ressemblent pas pour autant : « Les profils que nous recevons viennent souvent de la banque, confirme Julien Prat. Il peut s’agir de financiers qui conçoivent les produits financiers, de juristes qui s’occupent de la mise en conformité, mais aussi de développeurs. » Même constat du côté de Dauphine, à une distinction près : les développeurs informatiques ne figurent pas la cible, car « d’autres formations sont mieux adaptées à leurs profils », estime Hervé Alexandre, mettant en avant douze heures d’introduction au code dans la formation, peu utiles pour des développeurs.

Sur les brochures mises en ligne par les grandes écoles, quelques prérequis sont exigés pour participer à ces formations, à l’instar par exemple d’une expérience professionnelle de quelques années dans le milieu de la finance ou d’un niveau d’études minimum. Pourtant, selon Julien Prat, ces prérequis sont avant tout indicatifs : « la formation est faite pour tous ceux qui veulent s’approprier la technologie » souligne-t-il. Hervé Alexandre partage cet avis : « Pour suivre la formation, il n’y a pas de prérequis spécifiques. Il s’avère qu’une partie significative du public a une formation financière, mais c’est sûrement lié au fait qu’ils sont les premiers concernés par la finance décentralisée. »

En effet, si à Polytechnique la Société Générale a été précurseur pour former ses salariés, à Dauphine, c’est la banque Mazars qui a envoyé plusieurs de ses cadres pour accompagner le développement de la pratique de la finance décentralisée au sein de son organisation. Néanmoins, « de la part des banquiers, participer à notre formation est souvent une démarche personnelle » confie Hervé Alexandre. Les professionnels du secteur financier qui entendent de plus en plus souvent parler de la DeFi sentent le besoin de s’adapter et ainsi de se positionner dans un secteur assez jeune en termes de recrutement.

Un moyen de se démarquer

Quelques dizaines d’heures suffisent-elles à faire de ces professionnels des spécialistes de la blockchain et de la finance décentralisée ? « En 12 jours, on ne fait pas des experts, mais quand ils sortent de là, ils savent de quoi ils parlent, répond Julien Prat. Or, les compétences acquises grâce à cette formation sont encore assez rares. » A Dauphine, le niveau acquis par les apprenants lors des différents modules a dépassé les attentes des créateurs du cursus : « Sur la partie code par exemple, alors qu’il n’y a pas de prérequis en programmation, à la fin les apprenants étaient capables de coder une petite DAO sur le langage de programmation Solidity, relève Hervé Alexandre. » Une DAO ou organisation autonome décentralisée est en fait un contrat immuable une fois déployé sur la blockchain et qui fixe des règles pour atteindre un objectif collectif. Un des exemples les plus connus est celui du Assange DAO, conçu pour récolter de l’argent via la blockchain dans le but de financer le fonds WikiLeaks.

Ainsi, avec un mélange de cas pratiques et un cadre théorique balayant de nombreux concepts de la finance décentralisée et de la blockchain, ces formations représentent pour les participants le moyen de se positionner sur les postes qui s’ouvriront en lien avec la finance décentralisée. D’ailleurs, Julien Prat est convaincu que la DeFi va progressivement s’imposer, et notamment lorsque la réglementation autour des crypto-actifs sera bien définie par les autorités : « Une partie des outils de la blockchain va se développer et les digues vont tomber entre finance décentralisée et système financier standard. »  à L’échéance reste toutefois incertaine : « Je pense que d’ici 10 à 15 ans, la blockchain sera beaucoup plus étendue et incontournable. En revanche, faire de la finance classique sans avoir vu ou compris ce qu’est la blockchain devrait encore être possible pendant quelques années », tempère Hervé Alexandre. Cela laisse du temps pour se former à la finance décentralisée.

Un succès malgré la crise

  • Après un pic à 180 milliards de dollars de valorisation en novembre et décembre 2021, la valeur de marché de la finance décentralisée a connu un net recul en 2022. Son montant a ainsi été divisé par un peu plus de quatre, et était proche des 40 milliards de dollars de valorisation en novembre 2022.
  • Malgré cette crise de la DeFi (decentralized finance), les formations de l’Ecole polytechnique et de l’Université Paris Dauphine – PSL rencontrent un réel engouement. « C’est un succès aussi bien du côté des inscrits que des intervenants » selon Hervé Alexandre. Cela confirme au minimum l’intérêt que suscite la finance décentralisée en 2023 dans le secteur financier. D’ailleurs, le nombre de formations de ce type devrait probablement se multiplier dans les prochaines années. L’Université Paris Dauphine – PSL pourrait même ouvrir la formation sur son campus de Londres dès l’année prochaine.

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