Mixité

La finance, un secteur encore très masculin

Publié le 18 juin 2021 à 14h50

Chloé Consigny

Sous l’effet des évolutions législatives et des initiatives mises en œuvre par de nombreuses entreprises, les femmes tendent à être davantage représentées au sein des directions financières et des professions du chiffre. Cependant, la parité est encore loin d’être atteinte, surtout en ce qui concerne les fonctions de cadres. 

Au tableau de l’ordre des experts-comptables, on dénombre actuellement 21 417 professionnels. Au nombre de 6 111, les femmes ne représentent qu’environ 28 % des effectifs. Un chiffre qui ne progresse que très légèrement au fil des ans : en 2017, le pourcentage de femmes inscrites au tableau des experts-comptables était de 26 %. Si les métiers administratifs attirent de nombreuses femmes, rares sont celles à accéder aux plus hautes fonctions au sein des métiers du chiffre.

Un salaire moyen sensiblement plus faible

En France, les métiers du chiffre souffrent d’un manque d’attractivité : les études étant longues et encore peu reconnues socialement, peu de jeunes font aujourd’hui le choix de devenir experts-comptables. « La profession elle-même a tendance à se dévaloriser en faisant état sans cesse, comme si c’était une fatalité, des périodes de rush de la période fiscale sous fond de culture exacerbée du présentiel », constate Françoise Savès, présidente de l’Association des femmes diplômées d’expertise comptable. Cette désaffection se ressent plus particulièrement au sein de la population féminine. « Les trois années de stage peuvent aussi venir à bout de la motivation de certaines femmes à un moment où elles doivent construire leur vie de famille, poursuit Françoise Savès. Nous constatons ainsi que bon nombre d’entre elles abandonnent le stage de fin d’études pour rejoindre une entreprise au sein des directions financières. Fonder une famille, tout en devant produire autant que les autres collaborateurs d’un cabinet et en poursuivant ses études, est en effet très compliqué. Je ne peux que constater que le timing ne leur est pas favorable. » Lorsqu’elles mènent leurs études jusqu’à l’inscription à l’ordre et choisissent d’exercer en libéral, leur salaire est inférieur en moyenne de 28 % à celui des hommes. « Comme ce sont des professions indépendantes, on peut donc imaginer qu’elles font le choix de travailler moins que les hommes, témoigne Françoise Savès. Par conséquent, elles gagnent moins que leurs confrères. » Même lorsqu’elles deviennent associées au sein d’un cabinet, l’écart de salaires s’établit à 8 % en moyenne. Celui-ci monte à 19 % lorsqu’elles ne sont pas associées.

Des biais humains

Au sein des directions financières, la situation demeure en partie comparable. Là encore, les femmes semblent cantonnées aux plus bas niveaux de la hiérarchie. « Au sein des fonctions audit et contrôle de gestion, nous constatons que la parité est presque atteinte, analyse Catherine Gicquel Le Gall, membre du directoire, en charge du pôle crédit et secrétariat général chez Arkéa Banque Entreprises & Institutionnels. Cela s’explique par le fait que nous recrutons principalement au sein des écoles de commerce où la parité est aujourd’hui une réalité. En revanche, cette parité ne se retrouve que dans les premiers échelons. L’écart se creuse ensuite : plus le niveau de responsabilité augmente, moins les femmes sont représentées. » Un constat largement partagé par Joëlle Lasry, associée fondatrice du cabinet Lasry Finance. « En tant qu’indépendante, j’évolue entre PME et ETI et je vais quotidiennement à la rencontre des directions financières des entreprises. Mes interlocuteurs sont les directeurs financiers qui sont, dans leur très grande majorité, des hommes. Je n’observe pas d’évolution significative au cours des dernières années au niveau du top management. »

Or ce manque de mixité peut se révéler pénalisant pour la direction financière, par exemple en ce qui concerne les services de modélisation des scénarios. « Les algorithmes peuvent inclure des biais humains, explique Chirine Ben Zaied, head of innovation chez Finastra. D’où la nécessité, en amont, que les équipes dont le rôle est de préparer les données soient conscientes et éduquées sur ces biais. Le risque avec des équipes financières peu mixtes est de laisser passer des biais genrés dans les données utilisées dans les modèles de machine learning. D’où l’importance de la mise en place d’équipes diverses en termes de genre, mais également de formation, d’expérience, de parcours et de culture. » De nombreuses études ont également démontré que la présence de femmes aux plus hauts niveaux décisionnels avait un impact réel sur la pérennité et la rentabilité des entreprises.

Pour l’exergue : La part de femmes chez les experts-comptables s’établit à 28 % aujourd’hui, contre 26 % il y a quatre ans.

Une logique de réseau

Autre écueil pour les femmes qui atteignent des postes de top management, la parité au sein des instances de gouvernance est loin d’être la norme. « Nous constatons qu’au sein des sociétés les plus visibles médiatiquement, c’est-à-dire au sein du SBF 120, la parité est largement atteinte au sein des conseils d’administration, conformément à la loi Copé-Zimmermann (voir encadré). Ceci est beaucoup moins évident au sein des entreprises moins exposées médiatiquement, où la part des hommes dans les conseils d’administration reste largement supérieure à celle des femmes », constate Françoise Savès, dont l’association œuvre notamment à l’accompagnement et à la promotion des femmes dans la gouvernance et le management des organisations. Ainsi, toutes entreprises confondues, on ne compte qu’un tiers de femmes au sein des conseils d’administration. La faute aux femmes ? « Il faut bien avoir à l’esprit que les postes d’administrateurs sont aussi rares que convoités. Les femmes sont donc confrontées aux mêmes difficultés que les hommes : pour y accéder, elles doivent faire jouer leur réseau, et agir en stratèges », conclut Joëlle Lasry. Une démarche moins naturelle chez beaucoup d’entre elles.

Conseil d’administration et parité : ce que dit la loi

  • La loi dite Copé-Zimmermann de 2011 (loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011) impose un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration. Cette obligation s’applique depuis le 1er janvier 2017 aux sociétés cotées et aux entreprises de plus de 500 salariés.
  • Elle a ensuite été étendue aux entreprises de plus de 250 salariés à partir 1er janvier 2020. Avec la loi Pacte (loi relative à la croissance et la transformation des entreprises de mai 2019), les entreprises ne respectant pas cette obligation s’exposent à des sanctions, telles que la nullité des décisions rendues par les conseils d’administration et de surveillance ne respectant pas la parité ou encore la suspension du versement des jetons de présence.

Selon Ethics & Boards, le taux de féminisation des conseils d’administration du SBF 120 atteint 46 %, contre 36 % en moyenne pour les conseils d’administration des entreprises européennes de l’indice Stoxx 600.

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