Comme beaucoup d'actifs, qui considèrent la reconversion comme une étape normale de la vie professionnelle, les financiers peuvent eux aussi avoir envie de se consacrer à une passion ou d'exercer une profession répondant davantage aux valeurs qu'ils jugent fondamentales. S’agissant de l’entrepreneuriat, ceux-ci sont plutôt mieux armés que les autres salariés, grâce à leurs compétences financières.
« Tout plaquer pour élever des chèvres dans le Larzac… » La formule est bien connue et certains n’hésitent pas à l’appliquer à la lettre. En effet, dans un monde du travail en perpétuelle mutation, la reconversion professionnelle s’impose désormais comme une évidence. Selon l’étude de la Fondation Adecco Group réalisée en 2025 par l’Ifop, en partenariat avec l’ANDRH, 84 % des actifs considèrent la reconversion comme une étape normale d’un parcours professionnel. Loin d’être un échec, elle est vue comme un nouveau départ par quatre actifs sur cinq, qui restent confiants dans leurs capacités à se réinventer. Une tendance à laquelle les professionnels de la finance n’échappent pas. « Cette volonté de reconversion chez les financiers est transgénérationnelle, constate Mikaël Deiller, executive director chez Michael Page. Il n’est pas rare de voir certains jeunes se tourner vers un nouveau métier quelques années seulement après le début de leur carrière. Ils ont généralement été attirés par la finance pour le côté élitiste de certaines des filières académiques formant à ces métiers ou encore par les niveaux de rémunération et les perspectives d’évolution. Cependant très rapidement, ils veulent aller au-delà des chiffres et s’investir dans des métiers davantage articulés autour du relationnel, et offrant plus d’impacts visibles. Ce sont des jeunes qui, parfois, rejoignent les équipes de notre cabinet de recrutement. L’envie d’ailleurs concerne aussi les financiers plus expérimentés, en recherche de sens ou d’authenticité dans leur travail. »
Le besoin d'une dimension plus humaine
En effet, le retour à des valeurs plus humaines est souvent au cœur de ces reconversions. « La finance a réparé chez moi une blessure narcissique, témoigne Veronica Vieira, ancienne responsable grands comptes dans des fonds d’investissement et aujourd’hui psychopraticienne et hypnothérapeute. Elle était un moyen de me prouver que je pouvais réussir en dépit de mes origines. Après 25 années passées à faire du chiffre indépendamment des marchés ou du contexte et à courir après la performance, mon métier ne m’apportait cependant plus de satisfaction. J’avais envie de placer l’humain au cœur de ma vie professionnelle. Il était également devenu évident pour moi de m’intéresser à la force du mental. D’où ma reconversion vers la psychothérapie. » Après plusieurs années en qualité de responsable consolidation dans les entreprises mais aussi en tant qu’indépendante, Camille Peretti a aussi senti le besoin de redonner du sens à sa vie professionnelle et d’y apporter une dimension plus humaine. En 2022, elle ouvre sa crémerie-fromagerie dans son quartier, à Tours. « Je souhaitais me tourner vers un métier plus authentique, travailler avec un produit vivant, soutenir des producteurs et créer du lien avec les clients », témoigne Camille Peretti, gérante des Fromages de Camille. Une authenticité également recherchée par Gaëtan de Clock, initialement spécialisé dans le capital-investissement, qui s’est tourné vers l’artisanat et la production de plantes aromatiques et médicinales bio. « C’est l’envie de nature, de retour à la terre et à ma région natale, où ma famille exerce le métier de vigneron depuis plusieurs générations, qui ont été les déclencheurs de ma reconversion, explique-t-il. Une opportunité de rachat d’une indivision familiale a entériné mon projet ! »
Une reconversion qui peut représenter un certain coût
Au-delà de ces valeurs fondamentales, certaines reconversions sont aussi portées par une volonté de vivre pleinement sa passion. « Lorsque j’ai débuté le théâtre à 35 ans, j’étais persuadé que c’était la meilleure chose que j’aie jamais faite, explique Matthieu Bailly, fondateur et ancien dirigeant d’Octo AM, aujourd’hui comédien. Cependant quand on est dans la finance et qu’on gère des fonds pour le compte de ses clients, on peut ressentir la crainte qu’être acteur de théâtre en parallèle puisse être mal perçu. » Lorsque son entreprise a fusionné avec Amplegest en 2025, Matthieu Bailly y a vu une opportunité pour s’adonner à plein temps à sa passion. « ça a été un véritable déclic, poursuit-il. Je ne voulais pas avoir de regret et j’ai décidé de me lancer, de créer ma propre troupe de théâtre et de devenir comédien ». Quelques mois plus tard, le 11 novembre 2025, Matthieu Bailly est monté sur les planches du Studio Hébertot pour la première de la pièce « Les Amis du placard » qu’il a mise en scène et réalisée.
«Monter une pièce, c’est piloter un projet entrepreneurial de bout en bout, gérer des contraintes administratives, recruter et gérer des comédiens et techniciens, répondre à des appels à projet, vendre son spectacle, savoir travailler en équipe. Autant de compétences que j’ai acquises lorsque je dirigeais Octo AM.»
C’est également sa passion pour la montagne qui a poussé Nicolas Richard à quitter le milieu bancaire et un poste de responsable ventes de produits dérivés pour se tourner vers le métier d’accompagnateur de randonnées en milieu montagnard. « A 55 ans, j’avais fait le tour de mon métier dans la banque, précise Nicolas Richard. J’avais besoin de développer des liens sociaux et envie de partager ma passion pour la montagne. J’ai profité d’un plan de départ volontaire pour me lancer dans cette reconversion. »
Une aide d’autant plus appréciable que changer de trajectoire professionnelle, notamment pour se lancer dans l’entrepreneuriat, peut nécessiter des formations, prendre du temps et représenter un certain coût. « La formation d’accompagnateur de moyenne montagne nécessaire à l’obtention d’un diplôme d’Etat prend trois ans, ajoute Nicolas Richard. J’ai pu inscrire cette formation dans le cadre de mon plan de départ volontaire, ce qui n’est pas négligeable financièrement. » Veronica Vieira, qui pour sa part s’est lancée dans une formation de six ans pour devenir psychologue, reconnaît d’ailleurs qu’une reconversion professionnelle n’est pas donnée à tout le monde. « Mon ancien métier était rémunérateur et j’avais des économies qui m’ont permis de financer cette période transitoire et ma formation », insiste-t-elle. C’est également en puisant dans ses économies que Gaëtan de Clock a pu acheter avec sa femme leur métairie et son domaine de 160 ha de bois et 10 ha de champs, puis suivre des formations délivrées par le Centre national de la propriété forestière (CNPF) et le Civam qui accompagne les agriculteurs bio. « Il faut aussi être prêt à accepter de changer de train de vie, précise Gaëtan de Clock. Nous commençons juste à pouvoir vivre de notre nouvelle activité près de huit après le début de cette nouvelle aventure ! »
Des connaissances comptables, fiscales et administratives particulièrement utiles
Si ces formations sur les techniques du nouveau métier sont généralement indispensables, en revanche, ces anciens financiers capitalisent généralement sur leurs expertises passées pour créer et développer leur nouvelle activité. « Du point de vue des compétences, le financier est bien outillé pour une reconversion ou se lancer dans l’entrepreneuriat, souligne Mikaël Deiller. Il est en général à l’aise avec les chiffres et tout ce qui a trait au pilotage financier. » Un constat partagé par Camille Peretti, à qui la formation et l’expérience professionnelle en finance ont apporté des bases solides en gestion financière et en organisation. « Piloter mon activité, analyser les chiffres, anticiper sur la création puis le développement de mon commerce, cela ne me faisait pas peur, même si l’ouverture d’une boutique reste un pari risqué ! », précise Camille Peretti. Si pour sa part Gaëtan de Clock n’a aujourd’hui plus besoin de ses compétences passées pour gérer son activité, elles lui ont néanmoins servi au démarrage de son activité. « Mes connaissances comptables et fiscales m’ont aidé dans mes choix de structure et de gestion, explique-t-il. Aujourd’hui, en revanche, j’ai juste un livre de caisse à faire, ce qui est relativement simple pour un ancien financier ! » Matthieu Bailly estime même que c’est grâce à son expertise passée qu’il a pu créer et produire sa pièce de théâtre plus facilement. « J’avais quelques atouts complémentaires à ceux d’un comédien de carrière pour mettre en œuvre un tel projet, constate-t-il. Monter une pièce, c’est piloter un projet entrepreneurial de bout en bout, gérer des contraintes administratives, recruter et gérer des comédiens et techniciens, répondre à des appels à projet, vendre son spectacle, savoir travailler en équipe. Toutes ces compétences, je les ai acquises lorsque je dirigeais Octo AM. »
Bien que cette reconversion puisse être longue et fastidieuse, rares sont ceux qui regrettent leur choix. Tous plébiscitent notamment une liberté retrouvée, alors même que les métiers de la finance sont généralement très contraignants, régulés et réglementés, mais aussi une vie professionnelle plus en phase avec leurs valeurs et leurs passions.
Reconversion et entrepreneuriat : un duo qui séduit de plus en plus
La reconversion s’inscrit aujourd’hui dans la majorité des parcours professionnels, avec 64 % des salariés qui ont déjà effectué ou qui envisagent une reconversion, dont 74 % chez les moins de 35 ans et 55 % chez les plus de 50 ans. 31 % des salariés ont pour objectif de se reconvertir pour devenir leur propre patron, dont 10 % ayant déjà franchi le pas. Les plus de 50 ans sont de plus en plus nombreux à envisager cette voie : un cinquième d’entre eux envisage une reconversion pour créer leur entreprise dans les prochaines années (20 %), un taux qui a presque doublé en un an (11 % en 2024). Du côté des moins de 35 ans en revanche, l’attirance pour l’entrepreneuriat (45 %) est en recul par rapport à l’année précédente (59 %), supposément en partie à cause des incertitudes politiques et économiques actuelles.
Source : « Reconversion professionnelle et entrepreneuriat : entre polarisation, accélération et rationalisation », Fédération française de la franchise, 2025