Métier

Les financiers de l’informatique ont la cote

Publié le 24 janvier 2014 à 17h53    Mis à jour le 24 juillet 2014 à 16h03

Domitille Arrivet

Administrateur SI comptable, responsable IT finance... Ces métiers, qui n’étaient qu’embryonnaires il y a encore dix ans, sont devenus stratégiques pour les directions financières. Des compétences que l’on s’arrache.

Lorsqu’elle a débuté sa carrière, Ingrid Andréani n’aurait jamais imaginé effectuer un parcours comme celui-ci. Mais à l’époque où elle a quitté la Sorbonne, une maîtrise en Sciences de gestion en poche, le métier dans lequel elle exerce aujourd’hui n’existait pas, ou à peine. Cette femme de 42 ans est aujourd’hui directrice des systèmes d’information finance chez Edenred, l’ancienne division services du groupe Accor, aujourd’hui indépendante.

«En démarrant ma vie professionnelle dans le reporting, l’audit puis la consolidation, je n’avais pas pensé évoluer vers les technologies de l’information, confie-t-elle. C’est un hasard complet. Cette orientation a été possible parce que je me sentais à l’aise avec les outils informatiques de la finance.» Sa spécialisation, elle se l’est forgée chez Oracle en se familiarisant avec les outils Hyperion qu’un grand groupe industriel lui demandait de prendre en main. Son rôle actuellement ? Avec son équipe, elle accompagne ses «clients» dans la mise en place de solutions informatiques qui répondent spécifiquement aux besoins de leur métier, aussi spécialisé et pointu en finance soit-il.

Ainsi ses clients sont – toujours en interne – les contrôleurs de gestion, les trésoriers, les comptables, les consolideurs, dont les besoins sont particulièrement précis, rigoureux et concernent bien souvent des sujets sensibles. Des missions réservées à des équipes d’«informaticiens» d’un nouveau genre.«En règle générale, les informaticiens sont au service des métiers au sens large : le commercial, le marketing, les ventes, la logistique, etc., analyse David Majorel, spécialiste de ces fonctions au sein du cabinet de recrutement Michael Page. La DSI réalise la maîtrise d’ouvrage pour le compte de chacun d’eux. Pour les métiers de la finance, c’est différent. Bien souvent les spécialistes des systèmes sont directement rattachés à la direction financière, parce que les questions d’argent sont sensibles, mais aussi parce que les systèmes d’informations finance sont très impactants. Pour qu’il n’y ait pas d’erreur, il faut très bien connaître le métier. Les consultants de ce domaine sont très pointus, ils doivent travailler au quotidien sur des sujets de trésorerie ou de consolidation, et leurs outils sont très techniques. Ils ne peuvent pas s’affranchir des connaissances métier», insiste le professionnel.

Deux entrées dans cette filière sont donc possibles : soit ce sont des professionnels de la finance qui auraient eu l’occasion de se spécialiser dans les technologies de l’information, soit ce sont des consultants en informatique qui, à la suite de missions au sein de directions financières, auraient fini par se spécialiser.«Il y a peu de cursus de formation spécifiques à ces fonctions, observe David Majorel. On peut trouver à ces postes des ingénieurs ou universitaires en informatique, du type méthodes informatiques appliquées à la gestion des entreprises (Miage) qui arrivent par hasard ou par passion dans une direction financière, soit des financiers et des diplômés d’écoles de commerce qui auront un profil moins technique mais dont l’appétence pour les outils leur aura permis de se spécialiser. Pour ces derniers, il s’agit souvent de jeunes qui ont démarré dans les cabinets de conseil.»

De fait, dans ces fonctions encore peu connues, on trouve – à l’image d’Ingrid Andreani – davantage de spécialistes de la finance que d’informaticiens. «Mais dans les deux cas, ils s’appuient sur la DSI pour tout ce qui n’est pas spécifiquement “métier”», précise David Majorel. Parce que pour ces professionnels de l’administration de systèmes, pas question de se lancer dans l’encodage. Ils laissent cette spécialité aux techniciens. Leur rôle consiste à mettre en concordance les potentialités de l’outil et les spécificités du métier, en articulant les besoins des uns aux contraintes des autres. Pour réussir à ces postes encore empreints de nouveauté, inscrits dans des structures qui oscillent, selon les organisations, entre informatique et direction financière, les candidats doivent faire preuve de multiples atouts.

«Les responsables IT finance doivent avoir de vraies qualités relationnelles et humaines. Leur rôle est de désacraliser la fonction IT en se mettant à la portée de leurs interlocuteurs. Mais ils doivent aussi être rigoureux et résistants au stress car les métiers de la finance sont très exigeants avec les services informatiques», détaille Rassan Yaghmaei, spécialiste de métiers IT au sein du cabinet Robert Walters. Selon les entreprises, toutes les configurations hiérarchiques sont observées. Certaines, comme Edenred, intègrent les spécialistes des IT finance au sein de la direction financière. D’autres préfèrent que ces financiers fassent partie intégrante des équipes de la direction informatique. C’est ce qu’expérimente Bertrand Errard, 44 ans, responsable des applications financières dans un grand groupe industriel en région parisienne.

«Diplômé d’une école de commerce, je suis contrôleur de gestion à l’origine, sourit-il. Mais aujourd’hui je suis rattaché à la DSI. J’ai changé de direction car il nous semble plus facile de travailler ainsi en symbiose avec les services informatiques. Je ne suis pas pour autant devenu plus stupide en finance, mais je suis plus intelligent en informatique.»Ainsi, dans son organisation, les spécialistes métiers travaillent en tandem avec l’informatique et leur montée en compétences se fait au fil de l’eau. «Dans notre métier, nombreux sont les financiers a en avoir eu ras-le-bol du stress des clôtures et qui se plongent dans les systèmes avec l’idée de les concevoir eux-mêmes pour qu’ils soient adaptés aux besoins de l’entreprise», ajoute-t-il.

Au sein d’une DSI qui compte 50 personnes, Bertrand Errard dirige une petite équipe de cinq experts fonctionnels (SAP finance, HyperionFM, etc.), dédiés à la finance. Son salaire dépasse les 100 000 euros par an. Son évolution professionnelle ? Il l’imagine maintenant davantage en tant que DSI corporate que dans une direction financière.«Même si, en étant depuis 15 ans dans l’entreprise, je suis connu sous les deux casquettes et je pourrais encore évoluer dans les deux filières», estime-t-il. A mesure que les sociétés grandissent et se structurent, la demande d’internalisation des compétences IT finance s’accroît et ces métiers deviennent plus en vue.

«Dans les grands groupes, les directions financières sont plus organisées et spécialisées. Alors que dans leur phase de déploiement, elles faisaient appel à des sociétés de services spécialisées extérieures, dans la phase de recette, elles recrutent ou font évoluer quelqu’un. Les directions financières constituent alors leur propre équipe d’informaticiens trésorerie ou contrôle», constate Rassan Yaghmaei. «Sans que l’on puisse parler d’un véritable boom sur ces métiers, les structures matures recherchent de plus en plus des spécialistes», confirme David Majorel. Or, les compétences manquent. «Les candidats à l’expertise forte sont difficiles à trouver, surtout dans la trésorerie», poursuit ce dernier. Les spécialistes des logiciels tels que SAP-Fico, BFC, HFM, KTP ou Kondor sont aujourd’hui trop rares sur le marché. Conséquence, les salaires montent en flèche et, pour ceux qui sont en poste, les sollicitations pour changer d’entreprise sont fréquentes.

C’est le cas de Bertrand Chéron, 32 ans, administrateur systèmes de reporting financier dans un groupe pharmaceutique. Ce diplômé de l’Inseec Bordeaux a commencé sa carrière comme consolideur avant de faire connaissance avec l’outil Magnitude – à la faveur d’un passage chez l’éditeur de ce logiciel dédié aux filiales – et d’en devenir spécialiste. Il y a quelques mois, après sept années dans un autre grand groupe du secteur, il a changé d’entreprise. Au passage, en négociant un salaire de près de 70 000 euros annuels, il a réussi à faire grimper sa rémunération de 10 %, pour des fonctions similaires. «Et environ une fois par mois je suis sollicité par des cabinets de recrutement pour savoir si je suis “à l’écoute du marché”», confie-t-il. Ingrid Andréani chez Edenred confirme qu’ils – ou elles – ne sont pas nombreux à ce genre de poste.

«Avoir une double casquette finance et systèmes d’information n’est pas fréquent. Il faut avoir envie de se plonger dans les logiciels : c’est ingrat et peu considéré par la finance. Certains y voient une régression. Je pense au contraire que c’est un enrichissement», défend-elle. Pari réussi semble-t-il pour cette femme énergique qui encadre une équipe de douze personnes.«La fonction SI prend désormais une place prépondérante dans la fonction finance et tout l’intérêt pour mon service est d’être un interlocuteur incontournable, confie-t-elle. Pour cela, nous devons être force de proposition et non de simples exécutants.» Un service que son employeur sait récompenser : son salaire frise les 130 000 euros annuels, sans compter la voiture de fonction. Voilà des métiers qui valent bien quelques efforts d’apprentissage.

Des rémunérations attractives

Administrateur d’un outil avec deux ou trois ans d’expérience : 40 000 à 45 000 euros bruts annuels.

Expert outil (SAP, KTP, etc.) cinq ans d’expérience : 60 000 à 70 000 euros dans une entreprise de taille moyenne, 90 000 euros dans une grande structure.

Directeur SI finances : 60 000 à 80 000 euros pour une équipe de taille moyenne, plus de 100 000 euros en encadrant une équipe importante.

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