Organisation

Un champ d’action élargi pour les credit managers

Publié le 8 novembre 2019 à 17h31

Anne del Pozo

Après s’être longtemps focalisés sur des problématiques liées au recouvrement de créances, les credit managers tendent désormais à intervenir sur l’ensemble du cycle «order to cash», c’est-à-dire de la gestion de la commande jusqu’à son règlement. Une évolution qui vise non seulement à répondre à l’exigence croissante des clients en termes de qualité de service fournie, mais aussi à améliorer les performances de l’entreprise dans un contexte macroéconomique moins porteur.

Pour les professionnels de la gestion du risque et du recouvrement de créances, la dynamique actuelle est particulièrement porteuse. Selon l’Association française des credit managers et conseils (AFDCC), les offres d’emploi autour de ces métiers se sont en effet récemment multipliées. Une tendance confirmée par son étude menée en partenariat avec le cabinet de recrutement spécialisé Hays et qui sera présentée durant la journée Crédit de l’association ce vendredi 15 novembre : parmi ses principaux enseignements, il ressort notamment que les embauches réalisées dans le cadre de créations de postes sont passées de 18 % en 2017 à 28 % cette année. Cette situation ne surprend guère les spécialistes du secteur. Certes, en France, les retards de paiement continuent de diminuer. D’après le baromètre du Cabinet Arc/IFOP publié le mois dernier, ceux-ci ont reculé en moyenne d’un jour chez les PME cette année (à 10,8 jours) et de 1,2 jour chez les grands comptes (à 8,9 jours). Pour autant, cette embellie ne suffit pas à inciter les entreprises à baisser la garde.

«Les enjeux liés aux retards de paiement demeurent importants, insiste Eric Latreuille, président de l’AFDCC et credit manager chez SGD Group. Aucune piste ne doit être négligée au sein des organisations pour limiter les délais de paiement clients, d’autant que les causes de litiges internes et externes, souvent sources de retards de paiement, tendent actuellement à se multiplier.» Surtout, la gestion du poste client gagne en complexité à l’international, notamment sous l’effet d’évolutions réglementaires (voir encadré). Parallèlement, l’augmentation du risque politique dans plusieurs zones géographiques contraint actuellement les assureurs crédit à durcir leurs conditions, voire à se désengager de certains pays (Algérie, Turquie, etc.). A cela s’ajoute, enfin, le fait que les clients grands comptes basés à l’étranger comme en France se montrent aujourd’hui plus exigeants en matière de qualité de service (depuis la prise de commande jusqu’à la facturation, en passant par les délais et la qualité de livraison), justifiant ainsi d’optimiser les processus internes.

Des interactions étroites entre divers services

Face à cette combinaison de facteurs, un nombre croissant d’entreprises cherchent alors à revoir leur cycle «order to cash», c’est-à-dire la chaîne allant de la prise de commande jusqu’au paiement. Pour s’engager dans une telle démarche, il est cependant indispensable que les sociétés parviennent à mobiliser toutes les parties prenantes de cette chaîne, à savoir le back-office (administration des ventes, service client) ainsi que les services commerciaux, juridiques et financiers (trésorerie, cash management, comptabilité). «Au-delà de leur implication, il s’agit surtout de développer la collaboration et l’interactivité entre ces différentes équipes, pointe Eric Latreuille. Chacune, au travers de sa connaissance client et de son expertise métier, est en mesure de participer à l’amélioration du cycle order to cash par une meilleure fluidité, si tant est que toutes avancent dans la même direction.» Or c’est aux credit managers qu’il incombe de jouer le rôle du chef d’orchestre.

Force est toutefois de reconnaître que cette mission se révèle souvent ardue, comme a pu le constater, par exemple, la société Phoenix Contact, spécialisée dans l’électronique (63 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018). Avant l’arrivée en 2003 de sa directrice financière actuelle, elle enregistrait plus de 100 000 euros d’impayés pour un chiffre d’affaires annuel de 26 millions d’euros et accusait des retards de paiement de plus de 120 jours.

«Il y avait alors de fortes tensions entre la comptabilité et le service commercial, témoigne Somsy Martinet, sa directrice financière. Tout l’enjeu, pour sécuriser le risque client tout en faisant face au développement de notre activité, a donc consisté à mettre en place une véritable stratégie de credit management pilotée par la direction financière, et à instaurer un dialogue entre les différentes équipes liées au cycle order to cash.» L’une des priorités a consisté à sensibiliser les opérationnels. «Nous avons dû faire un important travail de pédagogie pour expliquer aux commerciaux les enjeux autour des limites d’encours et dans quelle mesure ils participaient à leur élaboration, au regard de leur connaissance des clients et des remontées de terrain qu’ils pouvaient faire auprès du credit management (activité du client, état de son carnet de commandes, etc.), poursuit Somsy Martinet. Nous leur avons également expliqué la conduite à tenir face à un client en difficulté financière et insisté sur l’importance de travailler en étroite concertation avec les finances.» Ces efforts ont été rapidement récompensés : Phoenix a depuis diminué drastiquement ses impayés (environ 30 000 euros, soit 0,05 % de son chiffre d’affaires) ainsi que les délais de paiement de ses clients (65 jours en moyenne).

L’appui du département juridique

Fournissant des solutions de traitement du courrier et de dématérialisation documentaire, Quadient (ex-Neopost, 1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2018) a été amené à faire de même. «Le credit manager est là pour accompagner le commercial et lui rappeler les fondamentaux en termes de risques», rappelle Stéphane Sawicki, directeur des opérations du groupe. Dans cette entreprise, la collaboration entre les équipes commerciales et le credit management est d’autant plus importante que le rythme des commandes s’accélère progressivement dans le courant du mois. «Or le credit management s’appuie souvent sur des scorings de risques temporaires pour lesquels l’information accessible n’est pas toujours complète, soulève Stéphane Sawicki. Pour définir les limites d’encours, notre credit management a parfois besoin d’obtenir très rapidement des informations sur le client telles que, par exemple, des bilans ou des historiques sur le contexte, que nos commerciaux peuvent lui apporter.» Pour entretenir cette proximité et arbitrer sur les encours clients les plus sensibles ou litigieux, Quadient et Phoenix organisent également plusieurs fois par mois des comités de solvabilité pour le premier et des comités de crédit pour le second, réunissant les credit managers et les commerciaux.

Outre les opérationnels et, dans certains cas, des membres de la direction financière comme les trésoriers (voir encadré), l’optimisation du cycle order to cash passe également de plus en plus par le développement des échanges avec l’équipe dédiée à l’administration des ventes. «Cette collaboration contribue à mieux qualifier les prises de commandes, souligne Eric Latreuille. Elle permet ainsi de limiter certains litiges, de renforcer la relation client et d’accélérer les rentrées de cash. In fine, l’entreprise améliore son besoin en fonds de roulement.» Pour les soutenir dans leur tâche, les credit managers peuvent compter sur la direction juridique de l’entreprise, comme c’est par exemple le cas chez Promod, société spécialisée dans le commerce de détail d’habillement en magasin spécialisé (860 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2018). «La direction juridique nous accompagne notamment dans le cadre de l’élaboration des contrats avec nos franchisés, et en particulier pour ce qui concerne le sujet des délais de paiement ainsi que les garanties bancaires ou lettres de crédit destinées à couvrir l’encours client, précise Lotfi Benyahia, credit & cash manager. En procédant de la sorte, nous sommes ainsi assurés de respecter la réglementation en vigueur concernant les délais de paiement que nous octroyons à nos franchisés et limitons les dérives en la matière.»

S’ils veulent parvenir à leurs fins, les credit managers doivent donc user de qualités essentielles comme la communication, l’écoute et la pédagogie. De quoi, lors des processus de recrutement, placer les «soft skills» du candidat au premier rang des critères définis par l’employeur.

Une politique de changes optimisée

Dans certains groupes, les credit managers sont invités à interagir avec des collaborateurs évoluant au sein de la direction de la trésorerie. Cette démarche vise notamment à réduire certains frais, par exemple en ce qui concerne l’achat de devises. C’est notamment le cas de Promod, qui dispose de nombreuses franchises à l’international. «Nos franchisés nous paient en dollars ou en euros, explique Lotfi Benyahia, credit & cash manager. En revanche, nous payons la plupart de nos fournisseurs en dollars. Afin d’aider notre direction de la trésorerie à anticiper ses besoins en devises étrangères, l’équipe credit management réalise régulièrement des prévisionnels sur les encaissements clients à venir, en dollars et en euros.» Une visibilité de nature à permettre à la direction financière de saisir les meilleures fenêtres de marché pour la mise en place de ses opérations de couverture. Seul prérequis : cette démarche implique un suivi de tous les instants. «Nous devons être particulièrement vigilants à ce que les règlements de nos franchisés étrangers, réalisés par virement, se fassent dans les délais impartis», insiste Lotfi Benyahia.

Une vigilance accrue sur les risques de conformité

Depuis la loi Sapin II de 2016 sur les risques de conformité, la direction du credit management de Promod a élargi sa collaborativité avec toutes les entités du groupe ayant des interactions avec ses clients, fournisseurs et partenaires. «Nous devons en effet vérifier, dans le cadre de cette loi, que tous les tiers avec lesquels nous travaillons ne sont pas mêlés de près ou de loin à des problèmes de corruption, explique Lotfi Benyahia, credit & cash manager. Cette démarche, que nous pilotons en qualité de compliance officer, ne concerne donc plus uniquement les services commerciaux et de comptabilité client, mais s’élargit désormais aux services juridiques, frais généraux, achats et comptabilité fournisseurs.»

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