Table ronde

Le cloud computing : oui mais à quel prix et pour quels bénéfices ?

Publié le 28 mars 2014 à 18h45

Propos recueillis par Anne del Pozo

En France, le cloud a fait une percée importante depuis quelques années. Aujourd’hui, un tiers des entreprises ou établissements publics déclarent recourir à des services de cloud computing pour un volume d’affaires qui devrait atteindre les 4 milliards d’euros en 2013 selon PAC. Cette percée du cloud n’empêche pas le flou qui entoure ses modèles, ses tarifs, ses engagements, ses garanties, etc. Le cloud évolue en effet très vite au risque d’y perdre les entreprises. Par ailleurs, les coûts et les gains du cloud computing restent extrêmement variables d’une entreprise à l’autre. Autant de raisons qui expliquent qu’aujourd’hui, la proportion d’entreprises ayant défini une véritable stratégie cloud demeure encore très faible (12 %).

Les services impactés par les projets Cloud

Philippe Tavernier, président exécutif de Numergy et administrateur du Syntec numérique : Le cloud computing concerne trois différentes typologies de technologies. La première, le SaaS (software as a service), porte sur les usages et/ou les applicatifs. La seconde couche est plus technique et concerne les plateformes de développement, à savoir le PaaS (platform as a service). Enfin, la dernière couche, souvent la plus nécessaire, est relative aux infrastructures, IaaS (infrastructures as a service). Ensuite, il existe plusieurs manières de délivrer le cloud : la première, actuellement la plus répandue, est le cloud privé ou dédié. Dans ce cas, l’entreprise garde ses propres environnements et ses propres infrastructures mais les met à la disposition de l’ensemble de ses métiers à qui elle facture en fonction de ses différents usages. La seconde, le cloud public ou mutualisé, consiste à aller chercher chez un tiers, les applicatifs, infrastructures et plateformes et de les payer à l’usage. Au milieu il y a le cloud hybride qui consiste à disposer d’un cloud privé mais aussi d’aller le compléter à l’extérieur par des parties publiques. Il existe également le cloud communautaire, où un certain nombre d’acteurs tels que, par exemple, des hôpitaux ou des conseils généraux, mettent en commun et mutualisent des sources. Quoi qu’il en soit, tous ces clouds ont des caractéristiques communes : il faut que ce soit accessible par Internet, que le paiement se fasse à l’usage et, enfin, que ce soit flexible avec une capacité de montée et de descente en charge quasi instantanée.

Jean-Michel Mougeolle, directeur des systèmes d’information de MIKIT, président du club Utilisateur Salesforce France et membre du Club DSI : Les premières personnes concernées par les projets cloud dans l’entreprise sont souvent les DSI. Néanmoins, force est de constater qu’ils peuvent arriver par les utilisateurs mais aussi, par le marketing ou encore par des personnes qui sont directement «métiers» telles que, par exemple, les personnes qui montent des projets de téléphonie. Ca peut également venir des dirigeants ou de la DAF sur des axes stratégiques pour apporter de la souplesse ou de l’agilité sur des domaines où l’entreprise en manque, ou de la maîtrise budgétaire car le cloud permet de chiffrer à l’usage et de mettre un coût par utilisateur. Ce qui, ensuite, motive les entreprises pour passer au cloud, ce sont la souplesse offerte par la technologie et sa rapidité de déploiement, par rapport aux projets traditionnels, en mode licence par exemple, qui peuvent prendre plusieurs années. Par ailleurs souvent dans les entreprises, les DSI sont empêtrés dans l’opérationnel et ont du mal à avoir une vision opérationnelle sur leurs projets. Or, le cloud leur apporte une réponse en la matière. Enfin, le cloud est aussi un bon moyen de transformer l’entreprise en apportant de nouveaux outils. Par exemple, combien d’utilisateurs, dans une entreprise, utilisent Dropbox et le paient ou non, mettant ainsi des fichiers à l’extérieur de l’entreprise sans même que leur supérieur hiérarchique direct en soit averti. Le cloud arrive certes par les utilisateurs pour des applications assez simples, mais dès lors que l’on touche à des projets plus complexes, il est impératif de passer par la DSI, notamment pour garantir la sécurité des informations. Il faut accompagner les utilisateurs pour éviter les dérives.

Philippe Tavernier : Il est indispensable de placer la DSI au cœur des dispositifs avec une vraie stratégie et une vraie vision partagée, avec tous les acteurs du comité de direction.

Laurent Gobbi, associé KPMG en charge de l’activité IT Advisory : Au-delà du cloud, les réseaux sociaux, Internet, le mobile, etc. mettent une certaine pression technologique sur les DSI qui, en quelque sorte sont contraints de faire évoluer les choses. Souvent, les collaborateurs sont mieux équipés chez eux qu’au bureau. Cette contrainte est un vrai sujet pour la DSI qui doit avancer dans la même direction que les utilisateurs. Parallèlement, nous sommes dans un contexte de pression économique assez fort donc, dans beaucoup d’organisations, il faut optimiser les processus et les rationaliser. Nous venons également de traverser un contexte difficile où beaucoup de projets ont été ralentis et aujourd’hui il y a en quelque sorte une remise à niveau. En même temps, les métiers ont de nouvelles exigences notamment pour développer de nouveaux business. Ils demandent alors souvent à leur DSI qu’une solution soit déployée très rapidement, parfois en quelques semaines. La première réaction du DSI consiste à faire une étude de faisabilité, à monter un budget et à présenter le projet à sa direction, ce qui, déjà, prend deux ou trois mois. Un projet qui, en suivant ce processus ne serait mis en place qu’un an plus tard. Or, aujourd’hui, le paradigme change. Avec le cloud, l’utilisateur, par exemple le directeur marketing, a la possibilité d’activer des solutions en mode SaaS et de mettre en ligne 100 à 200 nouveaux utilisateurs du jour au lendemain.

Le cloud, vecteur de transformation des entreprises

Laurent Gobbi : Dans la plupart des organisations, la majorité des activités sont soutenues par les systèmes. Ces derniers évoluent à la fois avec les technologies mais aussi avec les nouveaux business models. Par exemple, chez un opérateur télécom, les changements dans les systèmes et réseaux sont permanents et il faut activer les nouvelles offres rapidement sur les réseaux. Le cloud est alors utilisé comme un accélérateur du changement, notamment pour certains modules. Nous le voyons par exemple sur les outils de trésorerie, de rating, ou d’évaluation de risques : le recours au cloud fonctionne assez bien car nous sommes sur des périmètres fonctionnels assez délimités donc ils sont assez faciles à faire évoluer de façon autonome lorsqu’ils sont en mode SaaS. Nous sommes alors dans une transformation technologique mais aussi métier car le SaaS permet d’activer certaines fonctions que l’entreprise n’utilisait pas forcément auparavant comme, par exemple, le cash pooling. A ce moment, le driver technologique devient aussi un driver business. Même si, en Europe, les changements sont pilotés par les volontés de rationalisation des coûts plutôt que par les nouvelles technologies ; comparativement à ce qui se passe aux Etats-Unis.

Philippe Tavernier : Dans le cadre du contexte économique et financier que nous traversons depuis 2008, la transformation doit se caractériser par de l’innovation et de l’agilité. Soit l’entreprise reste sur les anciens modèles et la transformation prend alors plusieurs mois voire plusieurs années. Soit elle expérimente de nouvelles technologies innovantes et notamment le cloud ce qui lui permet d’essayer sans grand risque de nouveaux usages. De ce fait, avec le cloud, elle ne prend pas un risque majeur car elle paie à l’usage. Si l’entreprise ne raisonne que par des schémas classiques, le risque est que cela prenne du temps. Or, ce n’est pas comme ça que nous pouvons transformer une entreprise aujourd’hui.

Laurent Gobbi : Par exemple, chez KPMG nous utilisons des outils en cloud déployé auprès de plusieurs centaines de personnes. Nous payons ainsi à l’usage, au mois et à la personne tout en bénéficiant en permanence des nouvelles technologies.

Pierre-Emmanuel Albert, fondateur et executive director de Tinubu Square : Le cloud transforme l’organisation et la nature du travail. Le fait qu’une application en SaaS soit disponible «anytime anywhere», que l’ensemble des utilisateurs partagent tous la même information qui a la même fraîcheur, certes avec des accès différents et des délégations d’autorités différentes, cela change en profondeur un certain nombre de processus dans l’organisation ainsi que la nature du travail. Par exemple, le credit management concerne beaucoup de fonctions dans l’entreprise : le commercial de la prospection à la vente, l’administration des ventes, les achats et plus généralement la «supply chain», le credit management, la comptabilité client, le recouvrement (à savoir le cycle order-to-cash). Le fait que chaque fonction impliquée ait au même moment la dernière information sur un débiteur, son exposition au risque, cela apporte énormément de bénéfices. Autrefois, chacun travaillait un peu de son côté ; le commercial arrivait avec une commande sans avoir forcément vérifié la solvabilité du débiteur et demandait à la comptabilité 60 jours fin de mois. En choisissant une solution de credit management en cloud, nous assistons à une véritable transformation en profondeur des processus de gestion. Ces entreprises ont souvent besoin de conseils, pas en intégration ou en migration mais en accompagnement de la transformation et de modifications des processus… Avec notre solution de gestion du risque de crédit en cloud, les entreprises réalisent des gains de productivité tout en bénéficiant d’une meilleure visibilité et d’un meilleur contrôle et d’une plus grande réactivité en cas de dégradation des risques, grâce à l’interaction des différents services entre eux. Une solution SaaS facilite la gestion de fichiers hétérogènes provenant des ERP et tout autre système de comptabilité et gestion commerciale. Nous intégrons ces fichiers via des serveurs ou directement dans notre application et quelques minutes plus tard, les utilisateurs ont accès à toutes ces données à jour.

Laurent Gobbi : La mise en place d’un projet cloud doit suivre le même schéma que celui d’un projet traditionnel. Il y a notamment un volet conduite du changement à ne pas négliger. Avec la première génération d’outils en cloud et notamment les outils collaboratifs, nous disposons d’un niveau d’ergonomie radicalement différent de celui que nous utilisions dans le monde bureautique traditionnel. Or, ce niveau d’ergonomie ressemble à celui que nous avons à titre personnel, ce qui réduit les freins aux changements dans l’entreprise. Comme ces outils étaient déployés sur le grand public, la capacité des gens à se les approprier a été d’autant plus rapide. En revanche, si la mise en place d’un nouvel outil cloud s’accompagne de nouvelles règles et de nouveaux processus, il y aura alors, en effet, une conduite du changement à mener. L’argument majeur du cloud est la rapidité de mise en œuvre et de déploiement. Avant, les systèmes applicatifs se déployaient en 12 à 24 mois, par différentes vagues. Aujourd’hui, avec le cloud, ils se déploient en quelques semaines. Pour les infrastructures, ce déploiement peut se faire du jour au lendemain, voire instantanément !

Jean-Michel Mougeolle : Ces systèmes libèrent la DSI des problèmes techniques qu’elle a l’habitude de gérer au quotidien. Ils libèrent également les métiers car ils n’ont pas à attendre plusieurs mois pour mettre en œuvre certaines applications dont ils pourraient avoir besoin au quotidien. Ils libèrent aussi la communication dans l’entreprise. Il s’agit d’ailleurs là d’une vraie révolution en France car cela permet aux collaborateurs de l’entreprise de s’affranchir des systèmes hiérarchiques. Au niveau de l’organisation, de ce fait, les collaborateurs peuvent faire d’autres choses et donc travaillent autrement. En mettant en place ces projets nous libérons des forces de l’entreprise dont nous ne voyions pas auparavant l’existence.

Pierre-Emmanuel Albert : Le credit management implique beaucoup d’acteurs internes et externes à l’entreprise (assureurs crédits, prestataires de l’information d’entreprise, les conseillers en assurance-crédit, factors et autres banquiers). L’application SaaS est donc aussi connectée, via des web services avec tous ces prestataires, ce qui permet à l’entreprise de recevoir au sein d’un même système, l’ensemble des informations liées à la gestion du risque de crédit et bénéficier des dernières informations disponibles sans délai. A titre d’exemple, la société peut être informée quasiment en temps réel si l’un de ses clients est placé en redressement judiciaire et donc bloquer immédiatement la livraison du produit commandé.

Jean-Michel Mougeolle : Ces éditeurs se rendent d’ailleurs compte que ne pas basculer dans le cloud revient à prendre un risque de perdre des clients.

Laurent Gobbi : Les grandes entreprises se posent aujourd’hui la question de savoir si elles ont la bonne solution au moindre coût et si elles l’utilisent au mieux. Actuellement, les offres ERP cloud matures et opérationnelles sont plutôt pour les PME et ETI.

Philippe Tavernier : Le cloud n’est pas une mode technologique mais un vrai mouvement de fond qui tend à en faire un outil de compétitivité, de benchmark et de différenciation business majeur.

Jean-Michel Mougeolle : Il y a deux modèles : le modèle économique et les gens ont cette appétence à ce modèle. Derrière il faut aussi qu’il y ait un modèle technologique.

Philippe Tavernier : Les éditeurs qui ne vont pas vers ce modèle ont une durée de vie limitée.

Laurent Gobbi : Et si nous revenons du côté entreprises, des grands groupes et ETI, il faut distinguer ce qui est vraiment le core business, de ce qui est plus classique et où le cloud est déjà engagé (comme la messagerie). Une entreprise de type ETI, qui a un business modèle plus simple et peut se satisfaire d’un ERP classique disponible en cloud, a aujourd’hui la possibilité de basculer vers une solution cloud qui par ailleurs, existe sur le marché. Pour des grands groupes qui ont des spécificités, notamment métiers, plus complexes, ils sont plutôt dans des schémas de cloud privé ou hybride.

Philippe Tavernier : Ce qui a initié le cloud, ce sont plutôt les systèmes en périphérie du core business (le collaboratif, RH…). Puis petit à petit, la confiance s’instaure et les DSI constatent que le cloud a du sens et leur permet de se concentrer davantage sur les métiers plutôt que sur les changements de version, la gestion de l’obsolescence qui n’amène aucune valeur réelle. Ceci leur amène en plus cette notion d’élasticité et de time to market.

Comment calculer un ROI ?

Jean-Michel Mougeolle : Il existe un côté stratégique. A un moment, la finance ne sert pas uniquement à optimiser un revenu mais également à avoir une notion de risques.

Philippe Tavernier : Lorsque nous prenons l’exemple des locations de voitures : aujourd’hui, tous les parcs sont en location longue durée et n’assument pas l’investissement l’entretien, etc. Le cloud s’inscrit dans la même logique.

Laurent Gobbi : En effet, la logique est la même. Cependant, il faut être attentif à la donnée. Plus l’entreprise va pousser l’utilisation de ces technologies à travers le cloud, plus elle va interconnecter les données et en donner à l’utilisateur qui risque de ne pas faire les bonnes interconnexions. En effet, dans les grands groupes, ce qui risque de se passer, c’est que le basculement dans le cloud se fasse par étapes et passe, dans un premier temps, par la coexistence d’applications classiques avec des applications dans un cloud. Il faudra que toutes ces applications communiquent. Si l’échange de données est simple sur le papier cela peut vite devenir complexe. Il faut faire attention au sujet de l’intégration et veiller à ce que l’utilisateur ne perde pas de vue la donnée et sache s’y retrouver.

Philippe Tavernier : La maîtrise doit d’abord être sur les architectures. Plutôt que de se consacrer aux tâches techniques, il faut que les DSI aient une vision de leurs systèmes en place. Ce n’est pas parce que l’entreprise externalise qu’elle transfère la responsabilité.

Jean-Michel Mougeolle : Il y a un nouveau métier qui arrive autour de ça qui est le changement numérique de l’entreprise et la culture numérique dans l’entreprise. Il s’agit d’un vrai métier aux Etats-Unis. C’est actuellement ce qui manque le plus dans les entreprises : quelqu’un de très technique et qui soit par ailleurs très transverse et métiers. Aujourd’hui nous avons une vraie transformation numérique et ce, dans tous les métiers. Donc, pour accompagner les métiers touchés par cette transformation, il faut basculer dans le cloud en se faisant accompagner par la DSI.

Philippe Tavernier : Le CEO devient le cloud interface officer.

Laurent Gobbi : Sur la question du ROI, de ces projets, il faut faire des analogies avec les projets de SI. Sur ces projets, nous avons toujours eu une part de ROI qualitatif difficile à appréhender. Il est difficile de mesurer le coût de la modernisation d’une entreprise. Quel est le gain d’une modernisation ? Mais si la modernisation ne s’était pas faite, l’entreprise serait décrochée du marché et ne pourrait faire les évolutions dans les délais impartis.

Quel est le rôle du DAF dans le passage dans le cloud?

Philippe Tavernier : Le DAF peut être un vecteur au-delà de sa mission administrative et financière.

Pierre-Emmanuel Albert : Le DAF, numéro deux dans l’entreprise et conseil privilégié de la direction générale, est constamment à la recherche d’efficience. Il challenge tous les services, la RH, l’informatique et les opérationnels pour s’inscrire dans cette même démarche et servir ce même objectif. Or, le cloud va permettre dans un certain nombre de domaines, de prendre en charge les tâches à faible valeur ajoutée et accroître la bande passante des équipes sur tout ce qui apporte de la valeur à l’entreprise. Le DAF sera le promoteur de projets de transformation et d’adoptions de solutions SaaS dans l’entreprise. Par exemple, il expliquera à un responsable de paie qu’une application SaaS lui permettrait d’adopter de meilleurs processus de gestion et de réduire ses coûts. Il est le promoteur de l’introduction de solutions cloud dans l’entreprise.

Jean-Michel Mougeolle : Il revient souvent au DAF de mener la réflexion sur Opex/Capex, achat ou location.

Laurent Gobbi : Dans un certain nombre d’entreprise, le DAF a un rôle assez fort à jouer dans le choix des systèmes d’information. Dans certains grands groupes, le DSI et le DAF mènent leurs propres choix même si le DSI doit passer par les règles de la finance pour les budgets, investissements et financements. Mais dans les situations où le DAF gère ses systèmes d’information, il sera le premier à transiger sur les avantages et inconvénients financiers d’une solution cloud. Il est forcément investi sous l’angle opportunités de faire ou non le projet sous l’angle financier ou business. Il a aussi la vision 360° de l’entreprise car il voit l’ensemble des flux et des informations qui terminent dans les systèmes financiers. En revanche, le système comptable et financier ne sera pas forcément le premier visé par le cloud, voire même le dernier. Il n’y a pas d’enjeu time to market. Toutefois, il aura un vrai besoin de connexion avec tous les systèmes. Par conséquent, la préoccupation du DAF sera plutôt de savoir si tout ce qui bascule dans le cloud ne viendra pas perturber son propre système et son reporting financier.

Jean-Michel Mougeolle : Le DAF a un rôle important à jouer. Le seul qui soit vraiment capable de calculer le TCO d’une partie on premise, avec tout ce que ça représente en termes de changement de version et de compétences humaines, est de son ressort. Il s’agit plus de son rôle de contrôleur de gestion. Il a, par rapport aux transformations que va impliquer le cloud, un rôle à jouer car il saura expliquer en quoi et où le cloud fera gagner de l’argent à son entreprise.

Les freins au cloud qui perdurent

Laurent Gobbi : La localisation des données et des serveurs, ainsi que la notion de territorialité représentent encore un frein aux projets cloud.

Philippe Tavernier : Il en est de même sur la qualité des services et la disponibilité des données. La première chose à regarder repose sur la qualité des services proposés par le prestataire cloud. Il faut que l’entreprise se pose la question de savoir si cette qualité de services est, ou non, suffisante. L’environnement sécuritaire autour de la donnée représente aussi un enjeu encore important pour les entreprises. Rappelons que les gens ont mis du temps avant de mettre leurs données fiduciaires à la banque, estimant qu’elles étaient plus en sécurité chez eux. Aujourd’hui la banque offre une élasticité, une sécurité et éventuellement un paiement à l’usage, agios, intérêts sur la donnée monétaire et numéraire. Il faudra que la DSI passe à la même logique sur le cloud en ce qui concerne les données de l’entreprise. Cela concourt à la même logique.

Laurent Gobbi : En matière de sécurité, avant l’affaire Prisme, il y avait déjà une préoccupation sur la problématique d’extraterritorialité des données, sujet sur lequel les groupes français sont sensibles. D’ailleurs, la France offre un cadre plutôt protecteur en matière de données.

Philippe Tavernier : Au-delà de la localisation des données, il faut savoir qui maintient son intégrité et quel est le cadre juridique de la société qui l’héberge.

Laurent Gobbi : Il y a également des enjeux plus larges de protection de l’information. Par exemple, avec l’accroissement des datas. En France, il existe probablement encore un manque de sensibilité des dirigeants sur ces sujets-là. Il n’y a pas encore assez de projets dans les entreprises pour structurer les données et isoler celles qui sont les plus sensibles. Aujourd’hui, n’importe quel grand groupe peut subir des attaques de l’extérieur. Il ne s’agit plus d’un scénario probable mais réel.

Pierre-Emmanuel Albert : Nous avons l’exemple d’un client canadien, organisme public. Cette société d’Etat a fait l’acquisition de notre logiciel mais a exigé de l’héberger en cloud privé. Il était indispensable, dans le cadre de leur procédure de gestion des données, d’y avoir accès à tout moment et que ces données, propriétés de l’Etat, soient hébergées dans leur pays d’origine.

Jean-Michel Mougeolle : La sécurité reste une priorité des entreprises et doit l’être quelle que soit la taille de l’entreprise. Aujourd’hui combien de personnes travaillent sur un serveur ou un mail ? Avec une solution sur le cloud, la sécurité fait partie du package. Il faut s’inquiéter de la sécurité et s’interroger sur les données que l’entreprise souhaite mettre dans le cloud. Si elle ne veut pas les mettre dans le cloud, il lui suffit de ne pas le faire.

Laurent Gobbi : Ce mouvement va étendre le rôle des DSI par rapport à la gestion des tiers, pour suivre leur performance, leur disponibilité et leur évolution. Un rôle émerge dans les DSI. Il faut industrialiser et rendre plus efficace cette gestion des tiers.

Les coûts cachés liés au cloud

Pierre-Emmanuel Albert : Les coûts liés au cloud sont sans aucune mesure comparables à ceux d’une architecture «on premise». Il n’y a pas de coûts directs liés à l’acquisition de serveurs physiques, la consommation d’énergie, la maintenance de l’infrastructure par des équipes, assurance… Cependant, le modèle cloud implique une vigilance particulière de la part du client dans son contrat de SLA (service level agreement). Les SLA doivent indiquer la disponibilité du service fourni mais surtout stipuler les modalités en cas de défaillance du système. Comme toute prestation de service, ce type de contrat nécessite une attention particulière avant toute signature.

Jean-Michel Mougeolle : Ces contrats ont d’abord pour vocation de rassurer les clients. Après, il faut que le fournisseur de solutions cloud soit transparent par rapport à ces SLA. Salesforce propose ainsi un outil Trust.saleforces.com sur lequel les utilisateurs peuvent consulter tous les incidents rencontrés par l’éditeur ces dernières années. Dès qu’il y a un incident, ils le créent d’un point de vue public et demandent à tous leurs clients s’ils ont ce problème-là. Maintenant, le SLA sur le cloud sera bien meilleur que celui d’une solution en mode licence. Le vrai coût caché peut aussi porter sur la réversibilité. Dans certains cas, cela peut être très simple, c’est notamment le cas du mail. Il y a d’autres sujets, qui ont nécessité des développements et qui sont beaucoup plus stratégiques. Le sujet de la réversibilité est alors essentiel à prévoir et à l’inclure dans les contrats. Le cloud ne doit pas se faire à n’importe à prix !

Laurent Gobbi : Les coûts cachés sont aussi dans l’entreprise. Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur du changement lié au cloud et les ressources internes ou encore la conduite du changement que cela induit.

Jean-Michel Mougeolle : Avec le cloud, ne parlons pas uniquement de coûts cachés mais aussi de gains cachés. Par exemple, un projet Salesforce évolue en permanence et appelle constamment à de nouveaux développements : il s’agit d’investissements permanents mais qui participent à la performance durable de l’entreprise.

Laurent Gobbi : Nous arrivons alors au sujet de la gouvernance, à savoir, comment nous régulons la demande. En effet, les utilisateurs peuvent aller beaucoup plus vite tout seul, là où avant ils passaient par la DSI.

Jean-Michel Mougeolle : Le DSI a en effet un rôle essentiel à jouer à ce niveau-là.

Laurent Gobbi : Ce rôle peut aussi être pris en charge par le DAF dans un certain nombre de cas. Le DAF se retrouve dans une situation où son DG l’appelle et le questionnera sur le sujet. Le cloud est aujourd’hui un sujet sur lequel se positionnent de plus en plus de directions générales, qui interrogent leur DAF sur l’opportunité d’investir sur cette technologie ou non. Le cloud va renforcer la collaboration DAF et DSI.

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