Table ronde/Private equity

Le private equity part à la conquête des investisseurs privés

Publié le 11 décembre 2023 à 8h30

Coralie Bach    Temps de lecture 30 minutes

Alors que leurs souscripteurs institutionnels sont de plus en plus contraints dans leurs allocations, les acteurs du private equity s’ouvrent peu à peu aux investisseurs privés. Si la tâche n’est pas simple pour les sociétés de gestion, qui doivent adapter leurs offres et étoffer leurs équipes, elle peut répondre au besoin d’épargne de long terme des particuliers. Reste encore à convaincre et à expliquer les caractéristiques d’une classe d’actifs pour l’heure mal connue. Explications de quatre experts du marché.

De gauche à droite : Agathe Bubbe, director dans l’équipe Wealth Solutions d’Eurazeo - Virginie Bourel, responsable du bureau de Paris et de l’équipe client solutions France de Partners Group - Jean-François Fliti, cofondateur d’Allure Finance - Joséphine Loréal, managing director third party distribution au sein d’Astorg

Le private equity s’est fortement développé ces dix dernières années, mais essentiellement auprès des institutionnels. Pourquoi s’ouvre-t-il depuis peu aux investisseurs privés ?

Agathe Bubbe, director dans l’équipe Wealth Solutions d’Eurazeo : Pendant longtemps, le private equity a été réservé aux institutionnels, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les sous-jacents impliquent d’être engagés sur un temps long avant d’obtenir une liquidité. Ensuite, les tickets d’entrée sont élevés. Pour accéder à un fonds d’investissement classique, il faut pouvoir mobiliser un ou deux millions d’euros sur une dizaine d’années, ce qui n’est évidemment pas accessible à tout le monde.

Par ailleurs, les sociétés de gestion ne s’intéressaient pas à cette typologie de clients car l’adresser génère un coût supplémentaire pour elles. Gérer un grand nombre de souscripteurs qui investissent de petits montants s’avère bien plus coûteux et plus complexe que gérer un nombre limité d’investisseurs institutionnels misant des tickets importants.

Mais aujourd’hui, les institutionnels, dont les allocations ont globalement augmenté au cours des dix dernières années afin de répondre à leur recherche de rendement, tendent plutôt à réduire leur exposition au non-coté et diminuer le nombre de gérants avec lesquels ils sont en relation. Ce contexte incite les sociétés de gestion à s’ouvrir à d’autres typologies de souscripteurs et à cibler les particuliers jusqu’alors peu visés. C’est d’ailleurs déjà le cas aux Etats-Unis où les particuliers ont entre 5 % et 10 % de leurs portefeuilles placés sur du private equity.

Virginie Bourel, responsable du bureau de Paris et de l’équipe client solutions France de Partners Group : L’asset management représente au niveau mondial 275 trilliards de dollars, dont près de la moitié est apportée par des investisseurs individuels. Or, sur la seule allocation au private equity, les investisseurs privés ne représentent que 16 % des montants collectés. Il existe donc une marge importante de croissance. Autre chiffre pour illustrer ce potentiel : entre 0,5 et 2 % des actifs des particuliers sont alloués aux marchés privés selon les pays, sachant que la France se situe certainement dans le bas de cette fourchette. On peut donc s’attendre à une progression significative sur les prochaines années.

En quoi le private equity peut-il répondre aux attentes des investisseurs privés ?

Joséphine Loréal, managing director third party distribution au sein d’Astorg : L’investisseur privé recherche du rendement, peu de volatilité et de la diversification, tout en donnant du sens à son épargne. Le private equity répond en grande partie à l’ensemble de ces critères. Dans le contexte actuel, assez anxiogène avec beaucoup d’incertitudes aussi bien économiques que géopolitiques, nous pensons que cette classe d’actifs a toute sa place dans une allocation de portefeuille. Même si elle est impactée par l’environnement actuel, elle reste une classe d’actifs plus résiliente que les autres classes d’actifs traditionnelles. Je pense que la conjoncture a moins d’impacts sur le private equity que sur les actifs dits traditionnels. D’ailleurs historiquement, le private equity a démontré sa capacité à surperformer d’autres classes d’actifs traditionnelles, avec une volatilité plus faible.

L’environnement économique incite à se montrer particulièrement sélectif. C’est pourquoi chez Astorg, nous choisissons d’accompagner des entreprises de grande qualité, ayant des moteurs de croissance de long terme, décorrélés du PIB, positionnées sur des marchés tirés par des tendances structurelles, peu touchés par le contexte macroéconomique.

Nos performances sont essentiellement basées sur la croissance des entreprises détenues en portefeuille et notre capacité à accélérer leur développement.

Pour illustrer ce point, si je prends le dernier fonds d’Astorg, A8 en cours de levée, déjà investi dans quatre entreprises, nous constatons que le portefeuille est très bien orienté et peu dépendant du cycle économique. CordenPharma, par exemple, entreprise dans le secteur de la santé, est un sous-traitant pharmaceutique. Elle produit des principes actifs très innovants, comme les peptides, indispensables pour les médicaments contre l’obésité notamment. Elle connaît une très forte croissance de son chiffre d’affaires et vient de remporter plusieurs gros contrats, sur plusieurs années. La société, leader sur son secteur, bénéficie d’un segment de marché très porteur, avec un rayonnement mondial, acyclique et offrant beaucoup de visibilité.

Virginie Bourel : Les investisseurs privés viennent chercher cette faible volatilité. Un individu qui souhaite dynamiser son épargne commence généralement par se tourner vers les actions. Le private equity peut dans ce cadre apporter une diversification avec une plus faible volatilité.

Joséphine Loréal : Evidemment, cette poche doit s’adapter au profil du client et à ses attentes, c’est le rôle des conseils en gestion de patrimoine et gestion privée, mais elle a vraiment toute sa place dans une allocation de patrimoine. Elle est d’autant plus pertinente qu’elle vient financer l’économie réelle, et répond donc à la volonté des particuliers de donner du sens à leur épargne. Cet aspect concret parle beaucoup aux investisseurs privés, et est directement lié à la façon dont nous exerçons notre métier, à savoir une gouvernance active et un horizon de placement long qui permet de ne pas être dicté par la publication de résultats trimestriels comme c’est le cas pour les entreprises cotées.

Le private equity diffère en effet des marchés boursiers mais reste pour l’heure peu connu et mal compris des investisseurs individuels…

Joséphine Loréal : Il est important d’éduquer, d’accompagner et de faire un énorme travail de pédagogie auprès des investisseurs privés afin d’éviter toute mauvaise compréhension ou déception. Il s’agit de mission et responsabilité communes à l’ensemble de l’industrie.

Agathe Bubbe : C’est un point effectivement primordial. Nous sommes au début de l’ouverture de cette classe d’actifs à ce segment de clientèle. Il est essentiel que cette entrée se réalise dans les bonnes conditions.

Pendant longtemps, le seul produit de capital-investissement accessible aux particuliers était le FCPI. Or, il y a eu beaucoup d’abus sur ce marché, avec des frais de gestion élevés et des performances pas au rendez-vous. Le private equity a donc été associé au FCPI, qui investissent sur de l’innovation, l’une des stratégies les plus risquées, alors que la classe d’actifs est majoritairement constituée d’investissement dans des opérations de LBO. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de proposer une stratégie de défiscalisation mais bien de la diversification d’investissement. Celle-ci doit néanmoins se faire avec les bons outils et les bons partenaires de distribution. Les clients doivent recevoir toutes les informations nécessaires, bien comprendre les caractéristiques du private equity, qui sont différentes de celles du coté. Si la classe d’actifs est peu liquide par nature, c’est parce que l’argent est investi dans des sociétés dont le capital n’est pas disponible sur des marchés financiers. L’objectif est d’accompagner leur croissance sur le long terme afin de créer de la valeur et de revendre la participation avec une plus-value pour nos investisseurs.

De même, la valorisation d’une société reflète la performance opérationnelle de cette dernière, et n’est pas liée à d’éventuels événements géopolitiques. Expliquer ces fondamentaux est essentiel pour que les individus comprennent la classe d’actifs.

Jean-François Fliti, cofondateur d’Allure Finance : Le particulier a besoin d’information, de transparence sur le produit d’investissement qu’il détient, et d’être guidé au sein d’une offre de plus en plus importante en matière de private equity. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui les particuliers n’investissent pas dans cette classe d’actifs, ils ne la connaissent pas. Ils laissent leur argent dormir sur les fonds euros qui représentent actuellement 1 800 milliards d’euros d’actifs en assurance-vie, ou sur des comptes à terme. Le bon conseil va pouvoir orienter vers les meilleures sociétés de gestion de private equity, préconiser les stratégies dans le capital-investissement les plus adaptées au profil du client en fonction notamment de son appétence au risque. Au sein même du private equity, il existe des classes d’actifs plus ou moins risquées. La dette privée, par exemple, a un niveau de risque plus réduit mais forcément moins efficient en termes de rentabilité.

Le contexte macroéconomique est moins porteur depuis le début de l’année. La conjoncture est-elle propice à une entrée dans le private equity ?

Joséphine Loréal : Une autre vertu de la classe d’actifs est de ne pas avoir de market timing. Il n’existe pas de « bons » ou de « mauvais » moments pour investir.

C’est lié d’une part au fait que les équipes disposent en moyenne de cinq à six ans pour investir, ce qui permet de s’affranchir en partie des cycles économiques. Et d’autre part, nous sommes sur un placement de moyen/long terme. Nous avons une approche au temps différente que sur les marchés cotés.

D’ailleurs, historiquement, les millésimes de fonds initiés durant les années compliquées sont souvent bons. Pour illustrer ce propos, chez Astorg, créé il y a 25 ans, le fonds lancé en 2007, donc juste avant la crise financière et économique, a rendu à ses investisseurs, en net, deux fois sa mise.

Virginie Bourel : C’est aussi car les fonds investissent sur des sous-segments en croissance et que le travail des équipes de gestion consiste à transformer l’actif. On est tous d’accord sur le fait que la croissance va être assez faible à court terme, mais certains marchés demeurent néanmoins dynamiques, ces secteurs sont adressés par les marchés privés. Je pense par exemple aux sociétés qui visent les nouveaux modes de vie, la transition énergétique ou encore la digitalisation. Aujourd’hui, le marché privé prend toute sa place sur des stratégies de transformation.

L’investissement en private equity comporte néanmoins des risques. Comment réduire ces derniers ?

Virginie Bourel : Il y a plusieurs points. Tout d’abord, le choix des partenaires est primordial. Le sérieux des professionnels de la banque privée ou du conseil en gestion de patrimoine est essentiel afin qu’ils assurent l’éducation de leurs clients à la classe d’actifs et afin d’éviter les mauvaises expériences.

L’autre point porte sur la diversification. Le private equity rentre dans une stratégie de diversification d’investissement, mais le produit en lui-même doit également être diversifié, tant sur le plan géographique que sectoriel. C’est fondamental. Le régulateur l’a d’ailleurs bien compris et met en avant cet aspect dans ses textes, avec des ratios assez précis.

Enfin, la société de gestion doit disposer des ressources adéquates pour offrir aux distributeurs le service nécessaire (formation, information, support commercial, etc.), mais aussi d’équipes d’investissement plus importantes pour assurer la gestion du portefeuille et veiller à sa diversité.

Jean-François Fliti : Les Français ont en effet une forte aversion au risque. Mais celle-ci s’explique par un manque d’information. C’est là que nous, professionnels du conseil, avons un rôle à jouer auprès des sociétés, petites ou grandes, et des particuliers, quel que soit leur niveau de patrimoine. Il faut les aider dans la diversification à opérer entre les classes de private equity. A l’instar de l’immobilier, il n’y a pas une mais plusieurs catégories d’investissement en private equity. Il y a du small-cap, du large cap, de la dette, du secondaire, etc. Sur chaque segment, il existe une multitude de sociétés de gestion, mais toutes ne se valent pas. Il faut être attentif à l’historique de leurs équipes, à leur track-record, à la rentabilité offerte aux souscripteurs dans la durée. La contrepartie de l’illiquidité de la classe d’actifs doit se retrouver dans le niveau de performance.

Virginie Bourel, responsable du bureau de Paris et de l’équipe client solutions France de Partners Group

« Le private equity rentre dans une stratégie de diversification d’investissement, mais le produit en lui-même doit également être diversifié. »

Avant de rejoindre le bureau parisien de Partners Group en 2020, Virginie Bourel a été associé chez Triago, de 2014 à 2020, après avoir passé 10 ans au sein de Groupama Private Equity en tant que directrice d’investissement. Titulaire d’un master en corporate finance de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et diplômée de la Harvard Business School, elle a commencé sa carrière comme auditrice chez Mazars.

Chiffres clés

  • Effectifs : 1 900 personnes réparties dans 20 bureaux à travers le monde et entièrement dédiées aux marchés privés.
  • Actifs sous gestion : 130 milliards d’euros sous gestion dont environ la moitié consacrée au private equity. Près de 30 % des actifs proviennent de fonds evergreen.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Partners Group est un leader mondial des marchés privés investissant à la fois en private equity, infrastructure, immobilier et dette privée. Le groupe investit en Europe, aux Etats-Unis et en Asie, principalement dans des entreprises et projets de croissance qui reposent sur des thèmes tels que la décarbonisation, les nouveaux modes de vie et la digitalisation. La stratégie d’investissement s’appuie sur une approche thématique couplée à une profonde transformation des actifs. Précurseur, Partners Group lance en 2001 son offre pour les particuliers et développe des fonds evergreen accessibles à partir de 10 000 euros. Choisissant des classes d’actifs en adéquation avec les tendances du marché et les préférences de ses clients, la société de gestion est capable d’offrir à ses investisseurs particuliers, via des distributeurs, la même gamme de produits qu’à ses clients institutionnels.

De l’information doit aussi être fournie durant la vie de l’investissement…

Joséphine Loréal : La transparence est indispensable pour assurer une bonne expérience aux clients. Adresser la clientèle individuelle implique ainsi de mettre en œuvre un reporting adapté à leur niveau de compréhension. Or, dans notre industrie, les documentations sont souvent complexes et répondent davantage aux standards des investisseurs institutionnels. Il y a un travail de simplification et de transparence à mener. La digitalisation est aussi essentielle afin de faciliter la souscription et l’accès à l’information sur le portefeuille.

Agathe Bubbe : Apporter des performances est évidemment important mais le service est également essentiel. Quand un client privé investit sur du private equity, il attend aussi de la transparence. Sur un contrat d’assurance-vie, généralement, on ne sait pas précisément dans quoi sont investies les unités de compte. Le private equity c’est un portefeuille d’entreprises bien identifiées, il finance les sociétés qui rythment notre quotidien même si ce ne sont pas que des marques grand public. A titre d’exemple, Eurazeo a récemment financé Vision-Box qui développe des solutions de reconnaissance faciale utilisées dans les aéroports. Je ne connaissais pas avant. Depuis notre investissement, je vois ce nom à chacun de mes voyages. Les particuliers ont aussi envie de ce lien. Ils veulent savoir où va leur argent et à quoi il sert. Il faut donc un reporting précis qui explique que tel investissement a permis de financer tel projet : l’ouverture d’un marché, la construction d’une usine, etc. Ces informations ont de la valeur.

Virginie Bourel : Le reporting doit même aller au-delà, en soulignant non seulement l’impact sur le financement de l’économie réelle, mais en abordant aussi la dimension extra-financière. Outre les obligations réglementaires qui deviennent plus fortes en la matière, il existe un véritable intérêt des particuliers pour ces aspects. Il faut par exemple indiquer dans les reportings l’impact du portefeuille sur les réductions d’émission de CO2, les créations d’emploi, etc. C’est fondamental. Les indicateurs extra-financiers permettent de dépasser le seul sujet de la rentabilité, en donnant du sens à l’épargne.

On met en avant la démocratisation du private equity. Mais ce dernier est-il réellement ouvert aux petits épargnants individuels ou reste-t-il réservé à des individus fortunés ?

Agathe Bubbe : Nous entendons effectivement beaucoup parler de « démocratisation », mais quelle définition donnons-nous à ce terme ? Beaucoup d’acteurs proposent des offres dont les tickets d’entrée demeurent considérables, avec souvent un minimum de 100 000 euros à bloquer sur une dizaine d’années. Même si la barre est moins haute que pour les fonds traditionnels qui nécessitent d’investir a minima un million d’euros, je ne pense pas qu’on puisse parler de démocratisation. On reste positionné sur une clientèle très aisée. D’autres offres plus grand public existent néanmoins. Au sein d’Eurazeo, nous proposons les deux : des fonds qui nécessitent une mise d’au moins 100 000 euros, et d’autres accessibles dès 10 000 euros, voire moins lorsque l’investissement s’inscrit dans une assurance-vie. Ces offres grand public demeurent encore peu nombreuses sur le marché. Ce n’est pas dû à un manque d’envie de la part des sociétés de gestion, mais celles-ci ont besoin de temps pour se doter des outils et des équipes nécessaires en interne.

Virginie Bourel : Pour Partners Group, les solutions pour la clientèle privée représentent environ 30 % de nos encours. Depuis 2000, nous disposons d’équipes dédiées car cela requiert une structuration particulière, ainsi que des services adaptés et des forces commerciales spécifiques. Au sein même de cette clientèle, nous avons des profils et des tickets très différents. Nous avons donc fait le choix de structurer avec chaque partenaire des offres dédiées selon le niveau de patrimoine, l’appétence au risque ou encore l’expérience déjà acquise sur le private equity du client. Avec chaque distributeur, nous établissons une stratégie de construction de portefeuille en fonction aussi de ses propres besoins puisqu’il peut déjà avoir orienté ses clients sur certaines stratégies. Il est donc important de travailler ensemble sur l’élaboration de l’offre.

Joséphine Loréal : Au sein d’Astorg, nous sommes convaincus que nous devons nous positionner sur le marché des investisseurs privés. Ce n’est pas une vague sur laquelle nous voulons surfer mais bien un mouvement de fond structurel, de long terme, qui répond avant toute chose à un réel besoin pour l’épargne des particuliers.

Notre approche, basée sur la croissance opérationnelle de nos entreprises et une forte discipline dans la sélection de nos participations, permet d’avoir un niveau de risque assez maîtrisé, avec une performance régulière, résiliente et homogène, donc parfaitement adaptée aux investisseurs privés.

Nous souhaitons adresser cette clientèle, quelle que soit sa segmentation, non pas en direct mais via les intermédiaires financiers (à savoir tous les professionnels de la gestion de patrimoine, gestion de fortune et banque privée). Il faut structurer des offres adaptées au profil de la clientèle que vous souhaitez viser, soit avec des fonds evergreen, soit avec des fonds feeder qui investissent dans les fonds institutionnels. Aujourd’hui, nous prenons le temps de la réflexion pour concevoir la solution qui répondra au mieux aux besoins de ce marché. Il faudra également continuer de renforcer nos équipes en interne sur les fonctions de services clients, commerciales, marketing et communication pour accompagner nos partenaires de façon adaptée et toujours avec beaucoup de proximité.

Agathe Bubbe, director dans l’équipe Wealth Solutions d’Eurazeo

« Apporter des performances est important mais le service est également essentiel. Quand un client privé investit sur du private equity, il attend de la transparence. »

Titulaire d’un master en relations internationales de Warwick University et d’un BA de l’Université de Westminster à Londres, Agathe Bubbe entame sa carrière en tant qu’analyste chez Edmond de Rothschild à Paris et Londres. Elle intègre le groupe Eurazeo en 2016 (à l’époque Idinvest). Aux côtés de l’équipe Wealth Solutions, Agathe est en charge du développement des produits de gestion privée du groupe ainsi que de leur commercialisation auprès du réseau de partenaires d’Eurazeo.

Chiffres clés

  • Effectifs : 410 personnes.
  • Actifs sous gestion : 33 milliards d’euros sous gestion au 30 septembre 2023, répartis sur des stratégies de private equity, dette privée, d’immobilier et d’infrastructure. Plus de 10 % des actifs sous gestion proviennent de clients privés.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Actif en Europe mais aussi en Asie et en Amérique du Nord, Eurazeo rassemble près de 600 entreprises dans son portefeuille. Ses six stratégies permettent au groupe de couvrir l’ensemble du spectre d’investissement du venture au LBO, en passant par le growth et la dette privée. Sept produits sont actuellement accessibles aux investisseurs privés avec un ticket d’entrée de 10 000 euros pour les FCPR et de 1 000 euros pour les FCPI.

Comment les sociétés de gestion font-elles évoluer leurs offres pour séduire les clients privés ?

Agathe Bubbe : Pour pouvoir adresser une clientèle plus large, les sociétés de gestion ont réfléchi à des solutions permettant, sous certaines conditions, d’obtenir de la liquidité.

Partners Group a ouvert le chemin avec les fonds evergreen, Eurazeo a fait de même en 2018.

Virginie Bourel : Dans un fonds evergreen, il n’y a pas de date de closing. Il est donc possible d’entrer à tout moment. L’autre facilité opérationnelle en faveur de l’evergreen est qu’il ne fonctionne pas avec des appels de fonds successifs, mais avec un seul appel de fonds. Ces deux points sont très importants pour la clientèle privée. Cette dernière est libre d’investir sur les marchés privés quand elle le souhaite, et en une seule fois, ce qui est plus simple au niveau de la gestion opérationnelle. Les fonds evergreen permettent par ailleurs de sortir, sous certaines conditions, même s’il faut garder à l’esprit que le private equity s’inscrit sur un horizon long terme. Si votre objectif est de vendre vos parts au bout de deux ou trois ans, mieux vaut choisir une autre classe d’actifs. Dernier avantage, ces fonds permettent d’investir sur un portefeuille déjà constitué. Tous ces éléments les rendent très adaptés à la clientèle privée.

Agathe Bubbe : Il faut toutefois être conscient que cette structuration réduit mécaniquement la performance, c’est la contrepartie de la liquidité. On évoque régulièrement les performances à deux chiffres, entre 12 % et 15 % selon les années d’après les données de France Invest. Mais il s’agit de fonds professionnels avec une durée de vie déterminée et fonctionnant avec plusieurs appels de fonds au fil des investissements.

Jean-François Fliti : Si l’on est dans un fonds dit evergreen, ou dans une poche d’assurance-vie qui offrent tous deux la possibilité de racheter des parts en cas de besoin, on peut espérer une rentabilité comprise entre 8 % et 10 %. Lorsque l’on investit dans des structures moins liquides, il est possible d’attendre un retour situé entre 10 % et 12 %. C’est ce que nous essayons de profiler pour nos clients. Dans le passé, nous avons pu assister à des performances bien supérieures, mais je pense qu’avec l’augmentation des taux d’intérêt et la hausse des valorisations des actifs, arriver dans la durée à donner ces fourchettes de performance nette pour le client est un juste objectif. Il est important de ne pas créer de déception en promettant un placement magique.

Virginie Bourel : Précision importante, même si la structuration du véhicule peut être différente, le sous-jacent, à savoir le portefeuille d’entreprises, est le même pour la clientèle privée et la clientèle institutionnelle. C’est un gage de qualité que les investissements destinés à la clientèle institutionnelle soient les mêmes que ceux destinés à la clientèle privée, c’est ce que nous offrons chez Partners Group.

Par ailleurs, pour revenir sur les fonds evergreen, ils impliquent pour la société de gestion une organisation particulière. Des équipes sont nécessaires pour gérer les flux de trésorerie, liés aux entrées et sorties du fonds, et avoir accès à de nombreuses opportunités d’investissement pour mettre l’argent au travail de façon efficiente en réalisant des opérations régulièrement. Enfin, il faut investir avec des acteurs qui ont l’expérience des cycles. Ces deux aspects sont fondamentaux pour générer une bonne performance.

Jean-François Fliti, cofondateur d’Allure Finance

« Le private equity est un actif de moyen long terme. Il a tout son sens dans une allocation placée au sein d’un plan d’épargne retraite. »

Jean-François Fliti cofonde Allure Finance en 2010, une société de conseil en gestion financière privée. Auparavant, il a d’abord exercé en tant que fiscaliste pour Areva (1999-2000), puis la banque Transatlantique (2001-2002), avant d’évoluer dans la gestion de fortune, d’abord au sein de Gresham Banque Privée (2003-2005), puis chez Indosuez Wealth Management (2006-2009).

  • Allure Finance, un conseil en gestion financière entièrement dédiée à la clientèle privée.
  • Portée par une équipe de quatre associés, Allure Finance accompagne les dirigeants, les familles, professions libérales et les cadres ainsi que les sociétés et groupes familiaux dans l’organisation et la gestion de leur patrimoine personnel et professionnel. Le cabinet accompagne ses clients, personnes privées et sociétés, tant sur les problématiques d’ingénierie juridique et fiscale, de retraite, que sur leurs problématiques de financement et de stratégie d’investissements en leur donnant accès à un large choix de supports.

De plus en plus de contrats d’assurance-vie référencent des fonds de private equity offrant une voie d’accès simplifiée à cette classe d’actifs…

Agathe Bubbe : L’assurance-vie s’est ouverte au non-coté en 2016 avec une évolution réglementaire. Depuis, nous assistons à un fort développement des actifs non cotés sur les supports d’assurance-vie qui constituent la poche d’épargne préférée des Français. C’est là qu’il y a le plus d’argent disponible. Par ailleurs, ce dispositif fait intervenir un acteur supplémentaire, l’assureur, qui est le porteur effectif des parts. Si ce dernier accepte de référencer un fonds de private equity dans son contrat, et souvent de porter la liquidité pour le compte de ses clients, cela témoigne d’une forme de confiance. Il a mené ses due diligences et est prêt à accepter les actifs du fonds. C’est un point très important qui reboucle avec la partie éducation. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de fonds disponibles en assurance-vie et présentés comme liquides. Sauf que le sous-jacent reste illiquide, c’est l’assureur qui, sur une certaine poche, assure le rachat des parts. Ce n’est pas le fonds qui rachète mais bien l’assureur qui les garde sur son bilan. Ce partenariat entre la société de gestion, le distributeur et l’assurance doit bien être expliqué au client.

Virginie Bourel : L’assurance-vie fait intervenir l’assureur, un acteur qualifié et expérimenté dans la classe d’actifs qui peut aider à flécher au mieux l’épargne des particuliers. La validation de l’assureur, indispensable pour faire référencer un fonds, apporte un garde-fou supplémentaire.

En quoi le private equity peut-il s’avérer pertinent dans la construction d’une épargne retraite ?

Jean-François Fliti : La durée est une donnée essentielle de cette classe d’actifs. C’est la raison pour laquelle elle s’inscrit parfaitement dans la construction d’une épargne retraite, qui représente l’un des principaux objectifs d’épargne des Français. La retraite par répartition ne suffira plus à fournir un revenu suffisant, il faut trouver des solutions complémentaires qui peuvent figurer dans des dispositifs collectifs, comme l’épargne salariale, comme individuels avec les plans d’épargne retraite (PER) individuels. Le private equity a tout son sens dans une allocation placée au sein de ces dispositifs légaux puisque c’est un actif de moyen long terme. De même pour l’épargne salariale qui s’ouvre de plus en plus au capital-investissement.

Ces dispositifs bénéficient par ailleurs d’un avantage fiscal significatif. Tant pour les professions libérales que pour les salariés, les versements sur le PER sont déductibles du revenu fiscal de référence. Les dispositifs d’épargne collective sont également très intéressants, notamment via l’intéressement et la participation qui permettent aux bénéficiaires de sortir les fonds au moment de leur retraite sans être soumis à la fiscalité, il y a uniquement des prélèvements sociaux. L’entreprise qui fait des abondements bénéficie également d’avantages. Mais là encore, il est important qu’elle puisse s’appuyer sur un conseil pour donner de l’information et assurer le service après-vente. Chez Allure Finance, nous accompagnons un grand nombre de sociétés sur ce sujet.

Virginie Bourel : Le sujet des retraites est particulièrement adapté à la classe d’actifs. Les Etats-Unis, qui représentent le premier marché retraite, ont aussi mis du temps à rendre les marchés privés compatibles avec cette clientèle, et ont réellement commencé à intégrer du private equity dans le portefeuille des particuliers depuis 2009-2010. Le sujet est complexe et très régulé, à juste titre. Mais structurer l’offre pour les particuliers implique aussi de s’interroger sur l’épargne salariale. Un jeune de 26 ans qui intègre une entreprise peut apprécier que son employeur l’accompagne sur le sujet de l’épargne retraite car il ne va pas forcément croire que l’Etat lui versera un revenu suffisant. Au-delà du rôle des partenaires financiers, il y a aussi un rôle de l’entreprise, ce qui correspond à l’historique des fonds de pension. Chez Partners Group, on travaille aussi avec des corporates qui ont compris l’intérêt d’intégrer dans les passifs de retraite différentes classes d’actifs, dont les marchés privés.

Jean-François Fliti : Je valide à 300 %. Jusqu’à récemment, les entreprises voulaient rester très éloignées de ces sujets d’épargne de leurs salariés afin d’éviter les conflits d’intérêts, et favoriser l’actionnariat salarié, donc l’investissement dans ses propres titres.

Par ailleurs, ces 25 dernières années, une grosse partie de l’épargne des Français était focalisée sur l’immobilier. Or, nous sommes au début d’une crise immobilière sans précédent notamment en raison d’une montée très rapide des taux d’intérêt, et de la valorisation des biens qui, jusqu’à il y a peu, n’avait pas cessé d’augmenter.

Pour revenir au sujet des entreprises, elles ont besoin d’être aidées dans l’accompagnement pédagogique et l’information qu’elles vont donner à leurs salariés sur l’allocation et le choix des investissements. Elles recherchent à ce titre des experts indépendants pour flécher l’épargne de leurs collaborateurs qui représente des masses considérables. L’épargne salariale peut être disponible pour l’achat de la résidence principale et indisponible lorsqu’elle est affectée à la retraite. Ce dernier objectif s’inscrit sur un temps long. Pourtant, près de 70 % de cette épargne est placée sur des obligations monétaires. Ce n’était pas problématique lorsque le rendement de ces dernières était d’un niveau proche de celui de l’inflation, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pour éviter une perte de valeur, les salariés doivent faire d’autres choix.

Joséphine Loréal, managing director third party distribution au sein d’Astorg

« L’investisseur privé recherche du rendement, peu de volatilité et de la diversification, tout en donnant du sens à son épargne. »

Joséphine Loréal a rejoint l’équipe relations investisseurs d’Astorg en janvier 2023 pour développer la clientèle privée via des partenariats avec les intermédiaires financiers. Un travail qu’elle a précédemment mené chez Apax Partners (Seven2) pendant trois ans. Auparavant, elle a œuvré plus de 15 ans au sein de la gestion d’actifs traditionnelle, notamment chez Edmond de Rothschild Asset Management où elle a passé 12 ans, en charge du Wholesale en France et au Benelux et en tant que deputy head de la distribution en Europe. Elle est titulaire d’un master en économie appliquée de l’Université Paris-Dauphine et d’un master banque finance assurance de l’Université Paris-Nanterre.

Chiffres clés

  • Effectifs d’Astorg : 165 personnes, dont la moitié dédiée à l’investissement et réparties dans 6 pays
  • Actifs sous gestion : plus de 21 milliards d’euros d’encours sous gestion.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Acteur de référence sur les segments du mid cap et du large cap, Astorg accompagne, lors d’opérations de LBO, des entreprises considérées comme étant de grande qualité, principalement européennes, et ayant un fort potentiel de croissance. Elle intervient essentiellement en tant qu’actionnaire majoritaire.
  • Indépendante, la société de gestion, créée il y a plus de 25 ans, s’est spécialisée autour de quatre secteurs. Elle a développé une expertise robuste dans les domaines de la santé, des services aux entreprises, de l’industrie et des technologies. Astorg a récemment noué un partenariat de distribution avec le groupe de gestion privée Crystal afin de donner accès à son expertise à la clientèle des investisseurs privés.

L’environnement réglementaire doit-il également évoluer pour favoriser l’ouverture du non-coté aux particuliers ?

Agathe Bubbe : Il faut aussi avoir en tête qu’au-delà de la demande du marché et la volonté des sociétés de gestion d’ouvrir la classe d’actifs, des évolutions réglementaires sont nécessaires. Le marché devrait ainsi encore se développer avec l’entrée en vigueur, l’année prochaine, de la réglementation Eltif 2 qui vient harmoniser les conditions d’accès des particuliers aux marchés privés en Europe. Avant 2016, les réglementations étaient totalement hétérogènes au niveau européen, ce qui générait de fortes barrières à l’entrée. En tant que société de gestion française, il était difficile par exemple de démarcher des particuliers italiens. Une première tentative a eu lieu en 2016, avec Eltif 1, mais ne s’est pas avérée très fructueuse. Le régulateur n’a pas pris en compte l’ensemble de la classe d’actifs, certaines stratégies ne rentraient pas dans la typologie de fonds définie. La nouvelle version de la réglementation permet à des fonds professionnels, donc initialement pas adaptés aux investisseurs individuels, de baisser le ticket d’entrée.

Jean-François Fliti : Un autre sujet est également en cours en France. Le législateur a en effet souhaité favoriser l’épargne, au travers de l’assurance-vie, et l’épargne retraite en octroyant des avantages sociaux et fiscaux. Là où les choses ont peut-être été un peu dévoyées, c’est que leurs bénéficiaires, les particuliers, ont placé leur argent via ces dispositifs mais dans des actifs sans risque, et donc avec une rentabilité extrêmement faible. Aujourd’hui, les autorités administratives réalisent que ce système ne permettra pas de préserver l’épargne des particuliers sur la durée et d’assurer leur retraite. C’est pourquoi la Cour des comptes prépare actuellement un rapport, dont j’ai la chance d’être l’un des experts nommés, pour évaluer ces dispositifs fiscaux d’épargne retraite et collective afin de voir les améliorations possibles. Autrement dit, comment mieux flécher cette épargne vers l’économie réelle. Ce mouvement avait déjà été initié par Emmanuel Macron avec la loi Pacte en 2019.

Joséphine Loréal : La loi Pacte qui est d’ailleurs issue de la loi Macron de 2016.

Virginie Bourel : C’était une avancée législative significative pour rendre possible l’investissement des particuliers dans le private equity.

Jean-François Fliti : Exactement. Et les réflexions actuelles visent à poursuivre cette évolution.

Joséphine Loréal : En espérant que les réglementations s’harmonisent au niveau européen car il y a encore beaucoup de disparités entre les pays.

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