Actualité

Justice - Influenceurs et produits financiers : la fin de la récré ?

Publié le 28 avril 2023 à 16h30

Joffrey Marcellin    Temps de lecture 10 minutes

Les influenceurs s’intéressent aux produits financiers, mais pas toujours pour de bonnes raisons. Devant les pratiques illégales perpétrées en toute impunité par certains d’entre eux ces dernières années, le législateur a décidé d’agir pour combler les lacunes du droit actuel. Une proposition de loi est actuellement en cours de discussion au Sénat.

« Vous voulez une belle montre, une voiture neuve ou une villa sur la mer ? Grâce au copy trading, c’est possible, les amis ! » Dans leur luxueuse villa dubaïote ou au volant d’un cabriolet, les influenceurs Marc et Nadé Blata ont répété maintes fois cette promesse d’argent facile sur leurs réseaux sociaux respectifs. Suivis par plus de 7 millions de personnes sur Instagram, ils promettent même à tous ceux qui s’abonnent au service de conseil financiers qu’ils promeuvent (copy trading) des gains quotidiens de 100 à 200 euros avec seulement 500 euros de dépôt. Cependant, après l’afflux de témoignages faisant état de pertes importantes, le Collectif d’Aide aux Victimes d’Influenceurs (AVI) a déposé une double plainte pour escroquerie en bande organisée contre le couple, le 21 janvier dernier, la seconde plainte concernant un projet de NFT qui n’a jamais vu le jour. Malheureusement pour les followers dépourvus de culture financière, ce cas est loin d’être isolé.

Deux ans après la condamnation de Nabilla Benattia à 20 000 euros d’amende pour pratiques commerciales trompeuses après qu’elle a vanté les mérites d’une plateforme de cryptomonnaies en 2018, des influenceurs souvent issus de la téléréalité et sans aucune compétence économique reconnue continuent de faire la promotion de produits financiers très risqués en toute impunité, faisant fi des règles les plus élémentaires en matière de publicité des produits financiers. Pire, certains font même la promotion de plateformes qui proposent des produits interdits de publicité (Forex, CFD) en raison de l’intensité du risque qu’ils présentent, bien qu’ils soient très minoritaires. Des pratiques dénoncées en juillet dernier par un numéro de « Complément d’enquête ». « A la suite des révélations de l’émission, Bercy a lancé une grande consultation », rappelle Alain Hazan, associé dirigeant le département publicité et média du cabinet d’avocats TAoMA Partners. Si certains professionnels de la publicité estimaient que le droit en la matière était très complet, les agences et les influenceurs militaient pour plus de régulation.

Au bout de six mois, les conclusions de la consultation ont abouti à la proposition de nouvelles mesures pour lutter plus efficacement contre les comportements délictueux. Suite à cela, une proposition de loi transpartisane reprenant dans les grandes lignes les propositions de Bercy a été déposée le 31 janvier dernier par les députés Arthur Delaporte (PS) et Stéphane Vojetta (LREM). Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 30 mars, elle va être discutée au Sénat les 2 et 3 mai, avec un vote prévu le 9. Son objectif est simple : combler les lacunes de la législation actuelle que les autorités françaises ne parviennent pas à faire respecter.

Un certificat « influenceur responsable » dans le secteur financier

  • En partenariat avec l’AMF, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) accompagne les acteurs de l’influence et promeut les bonnes pratiques. Elle a ainsi créé un observatoire de la finance responsable et délivre aux influenceurs les plus respectueux des règles en matière de publicité un certificat de l’influence responsable censé leur apporter un avantage concurrentiel sur le marché. 
  • A la suite de cela, l’AMF a souhaité concevoir un équivalent pour les produits financiers et leurs promoteurs. « Il nous semblait important qu’il y ait des compléments sur les aspects financiers, étant donné la nature de ces produits qui engagent la santé économique des ménages, indique Claire Castanet, directrice des relations avec les épargnants à l’AMF. Nous travaillons donc avec l’ARPP sur un certificat de l’influence responsable spécifique à la finance qui devrait être disponible auprès de l’ARPP au deuxième semestre 2023. » Les annonceurs qui le souhaitent pourront alors s’appuyer sur les influenceurs certifiés pour transmettre leurs messages promotionnels de manière plus sûre.

Premières avancées après l’affaire Nabilla

La condamnation de Nabilla avait au moins eu comme effet positif de rappeler certaines règles de base en matière de publicité. En effet, en « omettant » de mentionner qu’elle était rémunérée par les sociétés exploitant le site dont elle faisait la promotion, l’influenceuse a transgressé l’obligation de transparence (loi Sapin du 29 janvier 1993). « Le non-respect de cette obligation pose problème depuis les prémices du développement de l’influence marketing il y a une quinzaine d’années, affirme Alain Hazan. Mais les choses changent et, même si tout n’est pas encore parfait, la plupart des influenceurs ont intégré la notion de transparence. »

En revanche, la nature particulière du produit – en l’occurrence, il s’agissait d’une plateforme de trading bitcoin – oblige celui qui en fait la promotion à respecter des règles supplémentaires, parce qu’il présente un risque accru pour le consommateur. C’est précisément sur ce point que les abus se poursuivent, la plupart des obligations propres aux produits financiers n’étant que partiellement respectées, voire pas du tout. « Les produits financiers sont régis par le Code monétaire et financier (article L533-12), qui pose, en plus de la transparence, plusieurs obligations, affirme Raphaël Molina, avocat spécialisé dans l’influence au sein du cabinet Influxio. Non seulement ils doivent être présentés de manière sincère, mais également de manière équilibrée entre risque et bénéfice. Par exemple, on ne peut pas promettre qu’un produit financier ayant rapporté 10 % l’an dernier dégagera 10 % de rendement assuré cette année. S’il s’agit d’un produit risqué, comme les placements boursiers ou les cryptomonnaies, il faut obligatoirement évoquer ce risque et alerter le consommateur. » Or, en l’espèce, la jeune femme avait affirmé qu’il n’y avait aucun risque, promettant même des rendements allant jusqu’à 80 %.

«Les influenceurs font croire qu’ils ont fait fortune grâce au trading, exposent de grosses voitures et des villas de luxe, alors qu’ils ne gagnent de l’argent que grâce au système d’affiliation à un broker.»

Raphaël Molina Avocat spécialisé dans l’influence ,  Influxio

Des lacunes persistantes

Aujourd’hui, bien qu’aucun influenceur français depuis Nabilla n’ait été épinglé pour non-respect de ces obligations, ces dernières sont encore régulièrement bafouées. « Concernant la sincérité, les influenceurs font croire qu’ils ont fait fortune grâce au trading, exposent de grosses voitures et des villas de luxe, alors qu’ils ne gagnent de l’argent que grâce à l’affiliation à un broker », alerte Raphaël Molina. Deux modèles coexistent : « Dans le premier, la personne qui souhaite accéder à la plateforme promue par l’influenceur doit s’affilier en s’inscrivant chez un broker, poursuit l’avocat spécialisé. A chaque nouvel inscrit, l’influenceur prend une commission comprise entre 500 et 800 euros. Dans le second modèle, les clients paient un abonnement pour recevoir des signaux, c’est-à-dire des conseils de trading, des suggestions d’achat et de vente qui reposent sur des tendances graphiques. »

Ces deux modèles ne posent pas problème en soi. C’est le lien qui est tissé entre les produits promus et le mode de vie des influenceurs qui est illégal. « Cela induit le consommateur en erreur dans la mesure où il imagine que les produits présentés par l’influenceur sont extrêmement rémunérateurs, alors qu’ils sont surtout très risqués, ajoute Raphaël Molina. Il y a tromperie sur la marchandise, ce qui devrait déjà en soi constituer une pratique commerciale trompeuse. Or, dans les faits, les sanctions sont rares. »

Deux raisons principales expliquent cette situation : le manque de moyens du régulateur pour surveiller les 150 000 influenceurs français et leurs contenus souvent éphémères ; mais aussi l’éloignement géographique et juridique de ceux qui posent le plus problème. Souvent basés à Dubaï, ils sont beaucoup plus difficiles à atteindre. « Les accords bilatéraux d’extradition pour ce genre d’affaires sont rarement mis en œuvre, prévient Raphaël Molina. La justice prononce parfois des interdictions de se rendre sur le territoire français, elle peut également prononcer des saisies de biens en France, mais, dans les faits, la plupart de ces comportements restent impunis. »

«Les plateformes se sont livrées à un lobbying très important pendant vingt ans pour être le plus irresponsables possibles sur les contenus diffusés, tout en ayant un discours “hyper responsable” en apparence.»

Alain Hazan Avocat ,  TAoMA partner

Des réponses appropriées et des questions

Dans ce contexte, le législateur a décidé de s’attaquer frontalement aux causes de cette impunité, en renforçant tout d’abord les pouvoirs du régulateur. « Le texte prévoit la création d’une “brigade de l’influence commerciale” de 15 personnes au sein de la DGCCRF, selon le cabinet de Bruno Le Maire, ministre de l’Economie. Elle sera dotée d’un pouvoir d’injonction sous astreinte permettant d’obliger l’influenceur qui contreviendrait à ses obligations à stopper ses pratiques, sous peine de payer une amende. Si ce dernier continue malgré tout ses agissements, elle peut ensuite obliger la plateforme qui diffuse ses messages à fermer temporairement son compte. »

En outre, pour atteindre plus facilement les influenceurs basés à l’étranger, le texte souhaite judiciariser les relations commerciales entre annonceur, influenceur et agent afin de responsabiliser l’ensemble des acteurs de l’influence. « Désormais, il faudra obligatoirement un contrat écrit entre ces trois acteurs, ajoute un conseiller du ministre de l’Economie. Ce dernier devra mentionner les droits de propriété intellectuelle de l’influenceur, les préavis indispensables pour rompre un contrat, et les droits et obligations de chacun, notamment pour ceux qui sont à l’étranger. Nous prévoyons également une coresponsabilité entre ces trois acteurs, qui pourra être pondérée par le juge. » Ces nouvelles armes entre les mains du juge et du régulateur vont dans le bon sens en ce qu’elles comblent des manques bien identifiés. Il faudra tout de même suivre de près leur mise en œuvre effective pour juger de leur efficacité.

En revanche, le texte semble pousser le curseur un peu trop loin sur la question des actifs numériques. Il prévoit en effet que seules les plateformes ayant obtenu l’agrément PSAN de l’AMF seront autorisées à faire de la publicité. Or, aucun acteur n’est à ce jour titulaire de l’agrément. « Cela revient à interdire purement et simplement des communications sur les activités crypto en France, regrette Faustine Fleuret, présidente de l’ADAN. Les conséquences peuvent être dramatiques pour les PSAN enregistrés. Ils sont non seulement traités de la même manière que des acteurs non régulés et parfois dangereux, mais ils risquent en plus de voir leur activité pénalisée par le non-recours aux influenceurs. » Un problème qui pourrait toutefois être rapidement résolu. « Un amendement sera déposé au Sénat pour permettre aux PSAN enregistrés de s’offrir les services d’un influenceur, dans lequel nous intégrerons également un dispositif plus conséquent de rappel des risques », assure-t-on à Bercy. Pas de panique donc, à condition que l’amendement soit voté ! 

L'info financière en continu

Chargement en cours...

Les dernières Lettres Professionnelles

CMS Francis Lefebvre

Acquérir une entreprise en devenir

mars 2024

PWC SOCIÉTÉ D'AVOCATS

Pilier 2 : une réalité mondiale… encore en construction

février 2024

Voir plus

A lire également

Actualité

Premium Matières premières  - Le calme avant la (nouvelle) tempête

L’heure semble être à l’accalmie sur les marchés de matières premières, les prix étant revenus à…

Ivan Best OPTION FINANCE 13/07/2023

Lire la suite

Dans la même rubrique

Abonnés "L’IPO est un aboutissement normal pour une entreprise de la tech qui se développe"

Entretien avec David Serrero, directeur d’investissement, CDC Tech Premium. Il est possible de...

Abonnés Les directeurs financiers au cœur des enjeux de transformation des entreprises

Alors qu’elles sont amenées à relever de nouveaux défis, dont la mise en place d’un reporting de...

Abonnés SBF 120 : retour sur 30 ans de variations extrêmes de cours

Ces derniers mois, les exemples d’entreprises voyant leur cours boursier s’effondrer en l’espace...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…