La lettre des fusions-acquisition et du private equity

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Les fonds d’investissement à l’épreuve de la révolution fiscale internationale de Pilier II

Publié le 23 juin 2022 à 19h03

CMS Francis Lefebvre    Temps de lecture 8 minutes

Par Jean-Charles Benois, avocat associé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity. jean-charles.benois@cms-fl.com et Thomas Louvel, avocat en fiscalité, Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises, groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et Private Equity thomas.louvel@cms-fl.com

Le cadre fiscal international n’en finit pas de se réinventer. Parmi les dernières évolutions significatives figure la définition d’un ensemble de règles fiscales visant à mettre en place un taux effectif d’imposition (TEI) minimum mondial de 15 % d’ici 2023 (ou potentiellement 2024), dit « Pilier II » ou « règles GloBE (1) ». Cet objectif particulièrement ambitieux est poursuivi tant par l’essentiel des juridictions composant le Cadre inclusif de l’OCDE/G20 que par la Commission européenne. S’il traduit un souci de préserver les finances publiques des juridictions concernées dans un contexte de potentielles tensions sur les niveaux et les taux des dettes publiques, comme de limiter le dumping fiscal entre juridictions, cette potentielle refonte des règles fiscales internationales applicables est toutefois susceptible de receler des enjeux importants pour les différents acteurs économiques, et notamment pour le secteur du private equity, qui fait l’objet de règles particulières.

Les règles GloBE : un raisonnement en cinq étapes

De manière simplifiée, le Pilier II vise à instaurer un TEI minimum mondial de 15 % après application d’un raisonnement en cinq étapes successives (2) :

– l’entreprise ou le groupe d’entreprises (consolidées par intégration globale) (le « Contribuable ») vérifie s’il réalise un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 millions d’euros ;

– si tel est le cas, le Contribuable détermine son revenu GloBE par juridiction (i.e., en partant du résultat net comptable déterminé en application des règles de consolidation avant retraitement des opérations intragroupes et après application d’un certain nombre d’ajustements), lequel constitue le dénominateur de son TEI ;

– le Contribuable évalue par juridiction le montant d’impôts couverts ajustés (i.e., impôts directs dus, à l’exception des impôts indirects, après retraitements), correspondant au numérateur du TEI ;

– le Contribuable arrête son TEI par juridiction, et calcule un impôt complémentaire (« IC ») en cas de TEI inférieur à 15 % ;

– le Contribuable détermine l’entité du groupe redevable de l’IC et acquitte ce dernier.

Naturellement, les fonds d’investissements, et plus globalement l’univers du private equity, s’acclimatent mal à ce nouveau corpus de règles davantage défini pour traiter des groupes opérationnels. Des règles spécifiques ont ainsi été prévues pour ce secteur, avec toutefois une complexité certaine qui imposera à court terme un examen attentif par les groupes concernés.

Champ d’application des règles GloBE : le cas spécifique des entités d’investissement (EI)

La proposition de directive de l’Union européenne relative à Pilier II prévoit un régime particulier pour les EI. Celles-ci sont définies comme (i) un fonds d’investissement ou un véhicule d’investissement immobilier (un « Fonds »), (ii) une entité qui est détenue directement ou indirectement, à hauteur d’au moins 95 %, par un Fonds, et qui concourt exclusivement ou quasi exclusivement à la détention des actifs des Fonds, ou (iii) une entité qui est détenue à hauteur d’au moins 85 % par un Fonds, à condition que les bénéfices de cette entité soient constitués pour l’essentiel de dividendes ou de plus-values exclus au sens de GloBE.

Les fonds d’investissement sont définis par référence aux fonds d’investissements alternatifs visés dans la Directive Alternative Investment Fund Managers, ou AIFM (3).

Le véhicule d’investissement immobilier est pour sa part défini comme une entité dont les capitaux sont largement répartis, qui détient principalement des biens immobiliers et qui est soumis à un niveau d’imposition unique.

On notera en premier lieu que ces définitions semblent exclure de la notion de Fonds les fonds captifs (i.e., qui n’auraient qu’un seul investisseur), lesquels relèveraient donc du dispositif de droit commun. Cette exclusion nous semble discutable, notamment dans la mesure où les autorités réglementaires considèrent à l’inverse ces entités comme de véritables Fonds.

A l’inverse, on relèvera avec intérêt que la notion d’EI permet opportunément de tenir compte au niveau des holdings interposées d’investissements minoritaires, qui peuvent par exemple procéder de la mise en place de management package d’une part, ou de dispositifs de co-investissement des équipes de gestion d’autre part, avec toutefois un volant correspondant limité (5 % ou 15 %).

Enfin, ne sont naturellement pas traitées comme des EI – et relèvent donc des règles de droit commun – les cibles des Fonds.

Principes d’application : l’adaptation des règles GLoBE aux EI

En principe, une EI qui est une entité mère ultime (une « EMN ») de son groupe est exclue des règles GloBE. Les EI détenues à 95 % et 85 % sont également exclues mais elles peuvent être soumises à ces règles sur option quinquennale. 

En cas d’option ou lorsqu’elles ne sont pas EMN, le régime applicable diffère selon que ces EI sont ou non traitées comme transparentes au sens de GloBE, et sous réserve des options possibles (voir ci-après). Une entité fiscalement transparente désigne une entité dont les bénéfices et pertes sont traités par la législation d’une juridiction de la même manière que s’ils étaient réalisés directement par le détenteur de cette entité. 

Les EI transparentes n’ont pas à appliquer les règles GloBE à leur niveau, dès lors que les profits/pertes et impôts correspondants sont déjà pris en compte dans le TEI des porteurs. Une exception existe toutefois en cas de traitement asymétrique entre la juridiction de l’EI (qui la traiterait comme transparente) et celle de certains porteurs (qui l’analyserait comme opaque), traduisant un cas d’hybridité inversée. Dans cette hypothèse, l’EI devra déterminer son propre revenu GloBE et l’éventuel IC afférent, distinctement des autres entités constitutives (hors EI) du groupe situées dans la même juridiction. En pratique, cela devrait donc impliquer pour chaque EI de déterminer quelle qualification et régime fiscal est applicable la concernant dans les juridictions de résidence de l’ensemble de ses porteurs. A cet égard, l’inclusion d’un mécanisme de déclaration des porteurs dans les documents constitutifs pourrait s’avérer protecteur et simplificateur.

Exceptions : les options ouvertes aux EI

Ces principes s’appliquent toutefois sous réserve de deux options réservées aux EI opaques ou atteintes d’hybridité inversée.

Une première option permet aux EI non fiscalement transparentes d’opter, pour une durée de 5 ans, pour un régime les considérant comme telles. L’option est applicable si l’investisseur est soumis à un régime fiscal de marked-to-market (ou similaire) et s’il est imposé au titre de ces revenus à un taux au moins égal à 15 %. D’un point de vue français, l’éligibilité à une telle option n’appelle pas de réponse évidente pour les EI d’assurance, qui sont exclus du champ du marked-to-market.

Une seconde option permet aux EI d’opter, pour une durée quinquennale, pour le régime de la distribution imposable. Cette option permet à un investisseur qui n’est pas une EI d’inclure les revenus distribués (ou réputés tels) par l’EI dans son propre revenu GloBE, à condition qu’ils soient imposés à son niveau à un taux au moins égal à 15 %. L’investisseur pourra éventuellement être débiteur d’un IC à raison du revenu non distribué par l’EI au cours de la période « testée » (i.e., quatre années). Cette option permet ainsi d’éviter tout paiement d’IC si tous les revenus GloBE de l’EI ont bien été distribués pendant la période testée. 

Conclusion

Les acteurs du secteur du private equity doivent se préparer dès aujourd’hui à l’application du Pilier II, en identifiant les entités relevant du droit commun d’une part et les EIs éligibles d’autre part, en intégrant les nouvelles règles dans leur structuration comme dans leurs politiques d’investissement et de distribution, et en examinant l’opportunité ou la nécessité d’opter pour les régimes dérogatoires prévus. Si la complexité est parfois la contrepartie de l’exhaustivité, Pilier II s’annonce manifestement très complet… 

Lettre_M_A_Juin_2022.pdf 3 Mo  -  PDF

1. Pour “Global anti-base erosion rules”.

2. Pour plus de détails, voir notamment « Pilier 2 et impôt minimum mondial de 15 % : l’identification des entités à risques », par Nicolas RIOU, Benoît FOUCHET et Marine PETIT, FR 9/22, 17 février 2022.

3. Notamment conditions de pluralité d’investisseurs, de politique d’investissement prédéfinie, de gestion par des gestionnaires de fonds professionnels et de soumission à des dispositions réglementaires.


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