La lettre gestion des groupes internationaux

L’imposition minimum des multinationales

Publié le 9 février 2022 à 14h12

PwC Société d’Avocats    Temps de lecture 8 minutes

Publication du Modèle de règles OCDE et d’une proposition de directive relative à la mise en place d’un niveau d’imposition minimum mondial pour les groupes multinationaux dans l’Union européenne

Par Emmanuel Raingeard de la Blétière, avocat, associé, PwC Société d’Avocats et Valentin Leroy, PwC Société d’Avocats

Le 8 octobre 2021, 136 des 140 juridictions membres du Cadre inclusif OCDE/G20 sur le BEPS ont accepté une Déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie. Cette Déclaration, qui reprend les principales composantes de chaque Pilier, inclut un programme de travail et un calendrier de mise en œuvre dont la « nature ambitieuse » est reconnue par les membres. L’objectif est que ces règles entrent en vigueur en 2023.

Les deux piliers de la solution sont d’une part le Pilier 1, dont l’objet est de permettre l’imposition des plus grandes entreprises multinationales dans les pays sur les marchés desquels elles opèrent, et d’autre part le Pilier 2, lequel se compose de deux éléments : les règles GloBE (règles globales de lutte contre l’érosion de la base d’imposition) et la règle d’assujettissement à l’impôt (RAI).

Depuis, peu d’avancées ont été communiquées par l’OCDE s’agissant du Pilier 1, mais une première étape, sur laquelle nous nous concentrerons, a été franchie sur le Pilier 2 avec la publication, le 20 décembre 2021, du Modèle de règles GloBE par l’OCDE. Ce Modèle de règles devait être accompagné lors de sa publication de commentaires, mais l’OCDE tarde à les publier. Une lecture attentive de ceux-ci permettra probablement de mieux cerner (si ce n’est dévoiler) certains aspects du Modèle. Le 22 décembre 2021, la Commission européenne a publié une proposition de directive relative à la mise en place d’un niveau d’imposition minimum mondial pour les groupes multinationaux dans l’Union européenne.

Une seconde étape consistera en la publication d’un modèle de disposition conventionnelle permettant l’application de la règle d’assujettissement à l’impôt, laquelle accorderait un droit d’imposition limité sur certains paiements entre parties liées (intérêts, redevances et autres paiements dont la liste n’est pas fournie mais qui devrait probablement être proche de celle du Blueprint de 2020), imposés entre les mains du bénéficiaire à des taux nominaux d’impôt sur les sociétés (le Blueprint prenait en compte des taux nominaux « ajustés ») inférieurs au taux minimum de la RAI qui est fixé à 9 %.

Que prévoit le Modèle de règle GloBE de l’OCDE ?

Le Pilier 2 vise à instaurer un taux d’imposition effectif minimum mondial de 15 %. Il ne s’agit pas « d’obliger sous la contrainte » les Etats à adopter ce taux minimum mais d’organiser un système permettant, dans l’hypothèse où un Etat applique un taux d’imposition inférieur à ce minimum, aux autres juridictions de prélever l’impôt manquant (i.e. la différence entre le taux minimum et le taux effectivement prélevé par l’Etat). Le Modèle de règles organise ce système.

Pour ce faire, il prévoit cinq étapes pour la mise en œuvre de GloBE.

La première étape consiste, pour une entreprise, à vérifier si elle entre dans le champ d’application de ce régime. Il s’applique, en résumé, aux entreprises multinationales réalisant un chiffre d’affaires consolidé de plus de 750 millions d’euros (voir étape 1).

La deuxième étape consiste à déterminer le revenu GloBE de chaque entité constitutive (c’est-à-dire chaque entité membre du groupe et, sauf exceptions, consolidée par la méthode d’intégration globale). Afin de déterminer ce revenu, il convient alors de partir du résultat net comptable déterminé en application des règles utilisées pour l’élaboration des comptes consolidés (avant retraitement des opérations intragroupes) et d’appliquer un certain nombre de retraitements.

La troisième étape consiste à déterminer le montant d’impôts couverts ajustés « dû » par chaque entité constitutive. Cette notion recouvre les notions comptables d’impôt courant et, dans certains cas, d’impôts différés. Là encore, plusieurs retraitements sont nécessaires par rapport aux montants figurant dans les comptes.

La quatrième étape consiste à déterminer le taux effectif d’imposition du groupe dans chaque juridiction dans laquelle il possède des entités constitutives. Si celui-ci est inférieur au taux minimum de 15 %, un taux d’imposition complémentaire sera déterminé par la différence entre le taux minimum et ce taux effectif d’imposition. Il sera appliqué au revenu GloBE (ajusté du revenu de substance qui est exempté d’imposition complémentaire sous GloBE) de la juridiction afin de déterminer le montant de l’impôt complémentaire.

La cinquième et dernière étape consistera à acquitter l’impôt. Deux règles sont prévues :

– une règle primaire – la règle d’inclusion du revenu (RDIR) – permettant, sauf exceptions, à l’Etat de résidence de la société mère ultime du groupe (ou selon une approche descendante, l’Etat de résidence de la société la plus haute dans la chaîne de participation pour les filiales détenues à plus de 80 %) de prélever l’impôt complémentaire des entités constitutives faiblement imposées ;

– une règle secondaire – la règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII) – qui trouve à s’appliquer uniquement (puisqu’il s’agit d’un filet de sécurité), lorsque la RDIR ne permet pas de prélever tout ou partie de cet impôt complémentaire. Elle permet aux Etats dans lesquels le groupe est présent au travers d’entités constitutives de prélever l’impôt complémentaire résiduel, qui est alors réparti entre eux selon une formule prédéfinie, par un refus de déduction fiscale de charges ou tout autre mécanisme d’effet équivalent.

Comment ces règles modèles seront-elles mises en œuvre ?

Les règles sont fondées sur une approche commune, ce qui signifie que les juridictions membres du Cadre inclusif ne sont pas tenues de les adopter. En revanche, si elles le font, elles doivent alors les mettre en œuvre et les administrer conformément aux règles et aux objectifs fixés par le Cadre inclusif. Si elles ne les adoptent pas, elles consentent néanmoins à ce que les autres juridictions les appliquent.

Les Etats qui décident de les mettre en œuvre doivent donc adopter des dispositions de droit interne pour ce faire et, dans certaines circonstances, modifier leurs conventions fiscales bilatérales.

Au sein de l’Union européenne, le processus est plus complexe puisque l’Union entend adopter (à l’unanimité) une directive que les Etats membres devront transposer en droit interne. 

Il convient de souligner ici que malgré l’approche commune, certaines mises en œuvre nationales pourraient diverger volontairement ou involontairement du Modèle de règles, à l’instar de la proposition de directive.  Cela complexifiera le système.

Existe-t-il des obstacles à la mise en œuvre de GloBE ?

Les principaux obstacles sont de nature politique. Si l’accord politique international a été adopté au sein du Cadre inclusif, il faut rappeler qu’il reposait sur une solution à deux piliers. Or, contrairement au Pilier 2, peu d’avancées ont été communiquées sur le Pilier 1. On peut penser qu’il sera de ce fait difficile de le mettre en œuvre pour 2023, d’autant plus que son entrée en vigueur est conditionnée à une ratification de l’instrument multilatéral par « une masse critique » d’Etats. En cas d’échec, il est difficile d’anticiper dans quelle mesure cela affectera le projet de réforme dans sa globalité.

Si l’on isole le Pilier 2, de nombreux Etats pourraient avoir des difficultés à le mettre en œuvre rapidement. D’autant que si le Modèle de règles a été publié, tel n’est pas encore le cas des Commentaires qui doivent en faciliter la lecture et l’interprétation. Le sort de la proposition de directive présentée par la Commission européenne et la mise en œuvre des réformes par les Etats-Unis seront probablement déterminants. La Présidence française de l’Union a fait de son adoption une priorité mais celle-ci nécessite l’unanimité. Or, à ce jour, certains Etats membres ont déjà fait part de certaines réticences.

On ajoutera qu’outre les obstacles politiques, il existe des interrogations techniques, telles que la compatibilité des règles avec le droit conventionnel ou, dans une certaine mesure, avec le droit primaire de l’UE.

En conclusion, il existe encore des incertitudes quant à la mise en œuvre effective de ces règles. Néanmoins, les entreprises se trouvent contraintes de s’y préparer. En effet, si les règles GloBE entrent en vigueur, comme prévu, en 2023, la première déclaration d’impôt GloBE interviendra en 2025. Cependant, la réforme devrait avoir des incidences sur la charge d’impôts dans les comptes consolidés des groupes concernés, au plus tard, dès 2023. Compte tenu de la complexité des règles et des importants travaux nécessaires à son application pratique, les délais paraissent courts, même si l’OCDE a prévu d’adopter des mesures de simplification... en 2022. n


La lettre gestion des groupes internationaux

Etape 1 – Champ d’application des règles GloBE

PwC Société d’Avocats    Temps de lecture 5 minutes

Le Modèle de règles fixe les critères permettant d’identifier les groupes entrant dans son champ d’application ainsi que les entités membres de ce groupe auxquelles les règles seront applicables.

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