Le grand débat

Décarbonation, digitalisation, évolution des rendements et démocratisation : l’infra sous toutes ses coutures

Publié le 24 octobre 2025 à 12h30

Sandra Sebag    Temps de lecture 37 minutes

Dans un cycle où les levées de fonds en equity deviennent plus complexes, la dette d’infrastructure capte plus facilement les flux : visibilité des cash-flows, protections contractuelles et rendements élevés sur la partie junior rendent la classe d’actifs attractive. Les gérants spécialisés dans la dette infra présents lors du Grand Débat décrivent une classe d’actifs moins volatile que le corporate, portée par une prime de complexité stable et un mid-market riche en transactions propriétaires. Les profils des fonds se diversifient tandis que l’ESG s’invite au cœur des comités d’investissement. A la clé : des spreads plus lisibles et relativement stables et de nouvelles passerelles vers l’épargne retail (assurance vie, PER). L’equity conserve toutefois un rôle déterminant : elle permet d’accompagner les projets en amont, de soutenir le développement de nouvelles capacités énergétiques ou numériques et d’assurer la continuité industrielle sur le long terme. Revue de détail des besoins en matière d’investissement et de la façon dont les investisseurs y répondent.

Les intervenants :

  • Quentin  Le Cloarec, responsable des investissements dans les infrastructures chez Crédit Agricole Assurances/Predica
  • Charlotte Lavit d’Hautefort, directrice de la dette infrastructure chez Arkéa Asset Management
  • Paola Basentini, responsable des infrastructures chez SCOR Investment Partners
  • Damien Gardes, co-responsable des investissements en Dette d’Infrastructure chez Schroders

Quels sont les besoins d’investissement en matière d’infrastructures ?

Quentin Le Cloarec, responsable des investissements dans les infrastructures chez Crédit Agricole Assurances/Predica : Les besoins les plus urgents concernent principalement l’énergie et le numérique. L’Europe est relativement avancée sur le renouvelable par rapport à d’autres régions du monde ; néanmoins, les efforts restent colossaux pour atteindre les ambitions de neutralité carbone. L’énergie au sens large reste donc une priorité, car les seules énergies propres et renouvelables ne suffiront pas dans les prochaines années, voire décennies. Il y a donc, d’un côté, un besoin structurel de poursuivre le développement à grande échelle des énergies renouvelables. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la nécessité d’avoir des infrastructures solides permettant l’importation, le stockage et le transport de gaz. Même si ce n’est pas notre domaine direct d’intervention, c’est un besoin général du marché européen. Tout cela renvoie à un enjeu central de souveraineté et de sécurité d’approvisionnement. A ce titre, il faut réfléchir aux moyens de la décarbonation : comment transformer la matière tout en conservant les usages ? La réponse réside par exemple dans le développement de capacités de production de biogaz, ou celui de pipelines et de capacités de stockage d’hydrogène bas carbone. Dans ces domaines, nous restons actifs via les sociétés déjà présentes dans notre portefeuille. En tant qu’assureur, nous ne développons pas directement de nouvelles infrastructures greenfield d’hydrogène vert. Toutefois, à travers notre investissement dans Teréga, deuxième acteur des réseaux de transport et de stockage de gaz en France, nous contribuons à la mise en place du backbone européen de l’hydrogène, avec des partenaires comme NaTran en France et Enagas en Espagne. Nous soutenons également l’hydrogène vert sur l’ensemble de la chaîne de valeur au travers de nos investissements en tant que LP, notamment à travers Hy24. Dans les énergies renouvelables, nous intervenons à la fois dans des schémas d’AssetCos et d’investissement au capital d’IPP (Independent Power Producers) dans les territoires en France ainsi qu’en Europe de l’Ouest. Le rachat d’actifs brownfield ou en cours de construction par des acteurs financiers demeure une composante essentielle de la décarbonation, car il permet d’aligner les intérêts des investisseurs institutionnels de long terme – en demande de stabilité et visibilité – et ceux des industriels pour qui ces schémas sont déterminants afin de maintenir leur rentabilité et ainsi leurs efforts de développement. Le soutien aux IPP s’inscrit, lui, dans une démarche de développement de nouveaux actifs et de création de valeur, de facto plus risquée, mais toujours au côté de partenaires industriels et/ou financiers de premier plan (Innergex, Edison, etc.). Au total, nos investissements s’inscrivent dans une boucle énergétique cohérente et complète.

Dans le digital, nous sommes présents sur les infrastructures traditionnelles et récentes. Nous sommes actionnaires de TDF en France depuis 2015 et de INWIT en Italie, avec Ardian (plus de 30 % détenus en consortium) depuis 2020. Il s’agit d’acteurs essentiels du numérique en France et en Italie, deux territoires essentiels pour Crédit Agricole Assurances. Nous avons également investi de façon massive dans le déploiement de la fibre, avec une participation significative dans Vauban Infra Fibre dès 2020 en France, et avec Telefónica en Espagne. Dans ces géographies, la fibre est désormais très avancée et considérée comme une infrastructure core, notamment grâce aux subventions publiques et/ou à l’absence de réseaux concurrents (overbuild) dans les zones rurales, alimentées par les RIP (réseaux d’initiative publique). Plus récemment, en 2024, nous avons conclu le rachat de près de 25 % du capital d’Océinde Communications, pionnier du déploiement de la fibre optique à La Réunion, également actif en tant que MNO et opérateur de data center localement. Au total, le numérique représente près de 2,5 Md€ dans notre portefeuille en direct, et son intérêt est parfaitement aligné avec la philosophie de notre groupe, contribuant activement à la réduction de la fracture numérique et au maintien d’infrastructures de qualité.

Paola Basentini, responsable des infrastructures chez SCOR Investment Partners : L’Europe traverse une mutation profonde de ses modèles économiques et énergétiques, rendant les investissements en infrastructures non seulement stratégiques, mais clairement indispensables. Nous sommes conscients de ces enjeux et nous nous sommes positionnés pour répondre à ces priorités en concentrant les investissements sur des secteurs critiques tels que l’énergie, le numérique ou le transport. Premièrement, la transition énergétique, accélérée par les tensions géopolitiques et les impératifs climatiques, requiert des investissements massifs dans les énergies renouvelables et dans le stockage. Ensuite, le numérique, devenu une infrastructure stratégique, accompagne la transition digitale et répond aussi aux besoins croissants de connectivité. Les déploiements de réseaux (de fibre, de 5G, de 6G, etc.) et de data centers efficaces sur le plan énergétique sont essentiels à la souveraineté technologique européenne. Enfin, du côté de la mobilité, nous constatons une évolution vers des modèles bas carbone au travers de la modernisation du rail, et le développement d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques. Les Etats, de leur côté, subissent des contraintes budgétaires persistantes et ne sont pas en mesure de répondre seuls à l’ampleur de ces besoins. C’est là, en soutien et en complément, qu’intervient le secteur privé. C’est dans ce contexte que les programmes européens (Green Deal ou REPowerEU) ont joué un rôle important : ils ont permis de fixer des objectifs et de clarifier les priorités sectorielles. Ils doivent cependant encore gagner en efficacité opérationnelle : la stabilité réglementaire, la rapidité des procédures et la coordination entre Etats constituent des défis majeurs pour garantir la soutenabilité des projets et attirer les capitaux privés.

Charlotte Lavit d’Hautefort, directrice de la dette infrastructure chez Arkéa Asset Management : Les besoins d’investissement en matière d’infrastructures sont effectivement énormes aujourd’hui. Le déficit d’investissement en la matière en Europe, tel qu’estimé par le G20, dépasse 2 000 Md$ d’ici 2040 sur la trajectoire actuelle. Pour donner un autre repère plus européen, la Banque européenne d’investissement (BEI) évalue le besoin d’investissement dans les infrastructures à environ 5 % du PIB par an pour les pays de l’Union européenne, contre 3,3 % maximum actuellement en moyenne. Les secteurs de la transition énergétique et de la transition digitale représentaient environ 30 % du marché des infrastructures en 2018 contre près de 50 % aujourd’hui. Nous ciblons ces secteurs les plus actifs de la transition énergétique et de la transition digitale. Enfin, la mobilité reste un axe fort : l’Europe a toujours mené de grands programmes pour favoriser les réseaux transeuropéens, mais il faut désormais développer une mobilité décarbonée. Arkéa Asset Management se définit comme un acteur engagé, au sein d’un groupe qui a choisi le statut d’entreprise à mission. Tous les nouveaux fonds de Dette Infrastructure sont classés article 9 SFDR. Notre autre axe différenciant tient à notre positionnement sur les opérations de taille petite à moyenne en Europe. Cela nous permet d’avoir une meilleure appréhension du risque et du rendement, et ainsi d’optimiser la prime de complexité.

Damien Gardes, co-responsable des investissements en Dette d’Infrastructure chez Schroders : L’Europe s’efforce depuis plusieurs années de répondre à un impératif climatique auquel vient s’ajouter aujourd’hui une nouvelle dimension de souveraineté économique et de sécurité d’approvisionnement, accentuant la volonté de poursuivre et d’accélérer la transition énergétique. Les réseaux électriques, le secteur du stockage – encore assez immature –, les réseaux de transport comprenant notamment le ferroviaire et la mobilité électrique nécessitent encore de nombreux investissements. Tous ces domaines ont néanmoins besoin de politiques publiques claires. Prenons l’exemple de l’interdiction de la vente de véhicules thermiques à partir de 2035 : cette mesure, qui paraissait actée, pourrait désormais être sujette à des ajustements, ce qui déstabilise les investisseurs de long terme. Par ailleurs, il existe également de véritables enjeux de transition démographique, qui génèrent des besoins croissants en infrastructures sociales. Enfin, la révolution numérique induit un changement profond dans nos façons de vivre et de consommer. Il est nécessaire de garantir une connectivité aussi équitable que possible sur l’ensemble des territoires. Les capitaux privés ont un rôle majeur à jouer sur toutes ces dimensions. Chez Schroders, notre philosophie d’investissement vise précisément l’ensemble de ces thématiques. Nous intervenons sur le mid-market, tout en cherchant à nous positionner sur la meilleure tranche de la structure de capital. Nous avons été parmi les premiers acteurs à nous diversifier sur la dette junior. Lorsqu’un actif est analysé, au-delà de sa qualité, nous cherchons à déterminer la valeur relative des différentes tranches de financement afin de positionner nos clients sur le meilleur compromis risque/rendement. Nous mettons également l’accent sur les dimensions d’impact et de durabilité, en phase avec les attentes des investisseurs.

Damien Gardes, co-responsable des investissements en Dette d’Infrastructure chez Schroders

"Lorsque nous analysons un actif, au-delà de sa qualité, nous cherchons à déterminer la valeur relative des différentes tranches de financement afin de positionner nos clients sur le meilleur compromis risque/rendement."

Damien Gardessupervise notamment la réalisation des opérations en tant que responsable de la mise en place des transactions. Il a commencé sa carrière au sein du département investissements du groupe AXA et a contribué au lancement de la plateforme d’investissement en infrastructures chez AXA Investment Managers. Depuis 2015 chez Schroders, Damien a piloté la réalisation de nombreuses opérations de dette d’infrastructure senior et sub-investment grade, ainsi que d’investissements en capital dans les infrastructures. Damien est ingénieur civil diplômé de l’école nationale supérieure des Mines de Nancy.

Schroders données clés

  • Effectifs dans l’expertise infrastructure : 28 professionnels dont 14 en investissement ;
  • Encours sous gestion dans l’expertise infrastructure : Entre 5 et 6 Md€ ;
  • Historique de performance et/ou objectif de performance du millésime en cours : performance de 5,3 % + taux de base ;
  • Philosophie d’investissement : Elle consiste à être positionné sur des actifs essentiels au modèle d’affaire robuste et éprouvé, tout en sélectionnant la meilleure valeur relative au sein de la structure de capital (senior / junior).

Quels types de financement privilégiez-vous ? Y a-t-il un lien entre le type de financement utilisé et les projets sélectionnés ?

Paola Basentini : Le marché, traditionnellement focalisé sur des structures relativement simples de financement – combinant dette senior et fonds propres –, évolue désormais vers des montages plus sophistiqués, intégrant des dettes à haut rendement. Ces instruments répondent à des besoins de diversification et d’optimisation du rendement pour les investisseurs institutionnels. La dette senior (Investment Grade - IG) demeure une solution privilégiée. Elle présente plusieurs atouts : un risque faible comparable à celui des obligations corporate de même notation, une adéquation parfaite avec les stratégies de gestion actif-passif, des maturités longues, mais des durées de vie moyenne généralement inférieures à 10 ans – grâce au profil amortissable des créances – ainsi qu’une charge en capital réduite sous Solvabilité II (inférieure à 10 %). En parallèle, la dette infrastructure à haut rendement s’impose comme une composante stratégique des financements complexes. Elle peut être positionnée à différents niveaux de la structure financière – soit directement au sein de la société opérationnelle, soit au niveau d’une holding – sous forme de tranches subordonnées à la dette senior ou de structures unitranches. Elle offre un profil sub-IG, tout en conservant les caractéristiques propres aux actifs d’infrastructure : cash-flows stables et visibilité à long terme. Bien que plus risquée, cette dette bénéficie souvent de mécanismes de protection (covenants et sûretés robustes). Historiquement, son taux de défaut reste inférieur à celui de la dette corporate de même notation. Elle présente aussi des durées de vie moyenne plus courtes et des maturités globalement plus limitées que la dette senior IG. Dans ce contexte, SCOR IP a récemment lancé un nouveau vintage ciblant des marges de 500 points de base pour un profil de risque BB, en ligne avec les performances des fonds précédents. Les structurations de type unitranche, qui peuvent concerner tous les actifs, sont particulièrement répandues dans les secteurs émergents, comme les bornes de recharge de véhicules électriques ou les unités de production de biométhane. A l’inverse, des projets comme les data centers, selon leur typologie de revenus, se prêtent davantage à la dette senior IG, en raison d’un profil de risque plus faible. Enfin, certains domaines comme l’hydrogène ou le captage du carbone présentent encore des risques trop élevés pour être financés via la dette infrastructure.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Nous disposons de stratégies couvrant l’ensemble du spectre de la dette infrastructure senior et junior. Sur le segment senior, nous intervenons principalement au travers de financements au niveau des projets, dans l’ensemble des secteurs de la transition énergétique et digitale, afin de délivrer un rendement stable pour un profil de risque moyen du portefeuille investment grade sur une duration de 7 à 10 ans. A titre d’exemple, nous avons financé des projets de production solaire d’énergie renouvelable ou des projets de déploiement de fibre en zone rurale. La stratégie junior, en revanche, est beaucoup plus flexible, tout en respectant les caractéristiques classiques de l’infrastructure, comme la prévisibilité des cash-flows et le caractère essentiel des actifs. Les financements sont plus courts avec une duration moyenne de 4 à 5 ans, bénéficient généralement de sûretés et visent à compléter ou anticiper les financements disponibles pour accélérer les déploiements et la création de valeur des projets. Il s’agit également d’une stratégie à impact apportant également une performance extra-financière en complément d’un rendement plus élevé que la stratégie senior.

Damien Gardes : Chez Schroders, nous privilégions les actifs core, c’est-à-dire les plus essentiels, pour lesquels la prévisibilité des cash-flows à long terme est très bonne. C’est d’autant plus vrai sur la dette Investment Grade où nous considérons généralement que la différence de pricing entre actifs très sûrs et modèles plus risqués n’est pas toujours suffisante pour justifier d’aller sur la seconde catégorie. En ce qui concerne la dette junior en revanche, nous observons une réelle évolution : de plus en plus de projets peuvent aujourd’hui prétendre à un financement sous cette forme. La gamme de rendement est bien plus large pour les investisseurs étant prêts à aller du double B au simple B. C’est pourquoi nous avons mis en place deux stratégies distinctes, dont l’une offre un profil de rendement qui se compare bien à des stratégies equity tout en offrant plus de protection en cas de scénario détérioré. Enfin, nous maintenons notre prudence vis-à-vis de certains actifs, qui, bien que tangibles et capitalistiques, ne répondent pas encore pleinement aux critères d’essentialité ou de maturité économique pour entrer dans la catégorie infrastructure.

Est-ce que la dette corporate sert de référence à la dette infrastructure ?

Damien Gardes : Nous constatons que les marchés de la dette privée corporate et de la dette infrastructure ne sont pas véritablement fongibles. Ils évoluent dans des univers parallèles, mobilisant des équipes d’investissement, des banques et des conseillers financiers distincts. Par ailleurs, qu’il s’agisse de la dette senior ou de la dette junior, on observe une forte inertie et une stabilité marquée des marges de crédit dans la dette infrastructure.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Les spreads sur la dette infrastructure demeurent relativement stables – même s’il existe une forte concurrence –, car les besoins de financement sont considérables. Nous suivons de près la prime de rendement entre dette infrastructure et dette corporate cotée, qui constitue un point de référence disponible. Sur la dette senior, le spread reste en moyenne de 100 à 150 points de base en faveur de l’infrastructure, et, sur la dette junior, il atteint 250 à 350 points de base.

Paola Basentini : La prime de rendement observée sur la dette infrastructure correspond avant tout à une prime de complexité. Cette prime, relativement stable dans le temps, s’est récemment élargie vis-à-vis de l’obligataire, dans un environnement où les spreads de crédit sont à des niveaux très bas. En période de turbulence, la dette corporate se révèle plus volatile. Dans ce contexte, une augmentation des défauts d’entreprises pourrait se produire, ce qui risquerait d’affecter les performances de la dette privée corporate, tandis que la dette infrastructure semble présenter une meilleure résilience.

Quentin Le Cloarec, responsable des investissements en infrastructures chez Crédit Agricole Assurances (CAA)/Predica

"Nous évitons les fonds trop optimisés fiscalement et préférons soutenir des gérants qui contribuent au développement de sociétés en France et en Europe. Nous sommes également attentifs aux critères ESG."

Quentin Le Cloarec a conduit les principaux processus d’acquisition et de cession de ces dernières années, œuvrant notamment au développement des investissements de CAA dans les énergies renouvelables et le digital. Il siège aux conseils des principaux investissements stratégiques de CAA dans le secteur de l’infrastructure. Il dirige une équipe de 12 personnes dédiée aux activités d’investissement en direct et a rejoint Crédit Agricole Assurances en 2019. Il a précédemment travaillé chez EY Paris en tant que conseiller en transaction services, réalisant des due diligences dans divers secteurs au service de clients corporate et de fonds d’investissement. Quentin est diplômé du programme Grande Ecole de l’Essec Business School (Paris), et spécialisé en finance d’entreprise.

Crédit Agricole Assurances données clés :

  • Une activité en direct lancée au début des années 2010 ;
  • Environ 12 Md€ gérés en infrastructure à date, dont 10 Md€ en direct et 2 Md€ investis en tant que LP auprès des meilleurs gérants d’infrastructure dans plus de 70 fonds ;
  • 28 investissements en direct, soit un ticket moyen supérieur à 350 M€ ;
  • 50 % investis dans la transition et l’efficacité énergétique, c. 20 % en transports, c. 20 % en télécommunications, et c. 10 % en midstream ;
  • La France, l’Italie et l’Espagne représentent environ 85 % de l’exposition en direct ;
  • Plus de 16 GW (en base 100 %, et c. 5,5 GW au prorata) de capacités d’actifs renouvelables détenus, opérés et développés en partenariat avec des industriels européens de premier plan ;
  • Contribution au déploiement de près de 13 millions de lignes de fibre optique en France.

Comment évoluent les levées de fonds ? Assiste-t-on à un déplacement des flux vers les stratégies de dette, notamment junior, au détriment de l’equity ?

Damien Gardes : Le marché en equity a connu ces dernières années une phase un peu plus morose que lors du cycle précédent. Le marché du M&A s’est essoufflé, les sorties sont devenues plus difficiles, et cela ne permet pas toujours de rendre du capital de manière aussi importante qu’avant aux investisseurs. Cette situation a soutenu le marché de la dette junior. Les investisseurs en equity, confrontés à des positions plus longues, doivent continuer à financer la croissance des projets, et les solutions de financement junior apparaissent comme l’alternative naturelle à l’injection supplémentaire de fonds propres.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Nous partageons cette analyse. Les levées de fonds en equity ont clairement ralenti. Les investisseurs qui recherchent du rendement régulier se sont repositionnés sur la dette infrastructure, qui répond à d’autres besoins : une exposition à des actifs tangibles, un risque maîtrisé et un profil de risque moindre que l’equity, tout en bénéficiant d’une charge en capital allégée sous Solvabilité II. L’intérêt pour la dette à haut rendement est donc manifeste. Elle attire une nouvelle base d’investisseurs, car elle combine la visibilité du crédit avec une prime de rendement significative.

Paola Basentini : Le marché de l’equity a traversé une période difficile, difficulté accentuée par la volatilité des taux et les incertitudes politiques. Certains investisseurs ont d’ailleurs gelé leurs décisions d’allocation dans l’attente d’un environnement plus clair. Aujourd’hui, la dette, grâce à un couple risque/rendement avantageux, apparaît mieux positionnée. La dette infrastructure, en particulier, se distingue par sa résilience, sa faible volatilité et sa diversification attractive. Nous observons un véritable regain d’intérêt pour cette classe d’actifs : les investisseurs y voient un compromis idéal entre le rendement de l’equity et la sécurité du crédit. Sur le segment senior IG, elle séduit toujours par sa stabilité et sa prévisibilité. Mais c’est la dette à haut rendement qui concentre aujourd’hui l’attention : elle combine les atouts de la dette – visibilité sur les cash-flows, sécurité contractuelle – avec un rendement récurrent et proche de l’equity core, pour un niveau de risque bien inférieur. De nombreux investisseurs traditionnels de l’equity se tournent désormais vers ces stratégies de dette high income pour équilibrer leur portefeuille et gagner en visibilité sur les distributions.

Crédit Agricole Assurances est très présent dans l’equity infra, quels rendements attendez-vous de cette classe d’actifs ?

Quentin Le Cloarec : Nous raisonnons généralement en prime de risque par rapport à l’OAT, notamment pour les actifs core. Aujourd’hui, sur cette catégorie, les fonds et les institutionnels visent un TRI double digit (selon les hypothèses des cas d’investissement). En effet, après une période très compétitive et d’abondance du capital jusqu’à 2022, la hausse des taux a rebattu les cartes. Par ailleurs, l’expérience dans la gestion d’actifs dits core a fait réaliser aux investisseurs qu’une prime significative est nécessaire pour rémunérer l’effort de gestion et les risques supportés (volatilité des productibles sur le renouvelable, inconstance des régulateurs, incertitudes politiques fortes dans des zones historiquement stables, etc.). Sur des actifs core plus, nous cherchons naturellement davantage, car s’y ajoute une composante de développement/réinvestissement. Nous nous positionnons très peu sur des stratégies de type value add, beaucoup plus consommatrices de temps et répondant moins à nos exigences d’assureur. Ce segment est plutôt couvert via nos allocations dans des fonds, auprès de gérants spécialisés. Le rendement cash attendu est important, car notre allocation en infrastructure concerne le fonds en euro qui doit délivrer du rendement à nos souscripteurs.

Comment vous positionnez-vous par rapport à la dette junior, qui offre parfois des rendements proches de ceux de l’equity ?

Quentin Le Cloarec : Nous nous positionnons logiquement au-dessus de la dette junior en termes de rendement attendu sur l’equity. CAA déploie toutefois en parallèle une stratégie de dette privée : les profils de risque/rendement y sont attractifs du fait de sa nature quasi hybride, qui a également séduit les actionnaires aux forts besoins en capitaux mais désireux de conserver le contrôle. Ces dernières années, dans l’infrastructure et le private equity, l’inflation et l’environnement de taux élevés ont entraîné un besoin accru de capitaux, obligeant les investisseurs à réinjecter des fonds ou à réemployer les cash-flows opérationnels et à détenir leurs participations plus longtemps. Ce ralentissement de la rotation du capital a renforcé l’intérêt pour la dette privée, qui offre plus de visibilité sur le rendement récurrent et pallie donc les retards pris par d’autres classes d’actifs illiquides.

Quels critères retenez-vous pour sélectionner vos sociétés de gestion partenaires ?

Quentin Le Cloarec : Nous investissons dans des fonds depuis le milieu des années 2000, ce qui nous donne une bonne visibilité sur les gérants de qualité. Nous privilégions les acteurs ayant fait leurs preuves en termes de performance, comme Ardian, KKR, EQT, DIF ou Antin. Nous évitons les fonds trop optimisés fiscalement et préférons soutenir des gérants qui contribuent au développement de sociétés en France et en Europe. Nous sommes également attentifs aux critères ESG : nous cherchons à éviter les fonds classés article 6 et privilégions ceux relevant de l’article 8 ou 9.

Charlotte Lavit d’Hautefort, directrice de la dette infrastructure chez Arkéa Asset Management

"En début d’année, nous avons regroupé l’ensemble de la gestion d’actifs du groupe Crédit Mutuel Arkéa sous une seule entité afin de simplifier notre organisation, gagner en lisibilité et accroître notre capacité à mobiliser des encours significatifs avec une volonté de développer la dette privée dont les infrastructures."

Charlotte Lavit d’Hautefort a 28 ans d’expérience en Infrastructures. Elle était précédemment directrice de l’Activité Financement chez Infrastructures Arkéa Banque E&I (2011-2021), directrice de projet au ministère de l’Economie en mission PPP (2009-2011) et chez Dexia & CDC (1993-2011). Elle est diplômée de Sciences Po Paris et de l’ESCP.

Arkéa Asset Management données clés

  • Effectifs dans l’expertise infrastructure : La plateforme Infrastructure Transition bénéficie d’une équipe de gestion très expérimentée (20 ans d’expérience en moyenne en Infrastructure) composée de 7 personnes ainsi que du support d’Arkéa AM sur l’ensemble des processus de gestion de fonds : opérations, conformité, risques management et ESG ;
  • Encours sous Gestion : 1 Md€ ;
  • Rendement des derniers fonds : fonds à impact : E3M + 6,16 % vs un objectif de E3M + 5 % et fonds core E3M + 3,21 % vs un objectif de E3M + 2,5 % ;
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : La plateforme Infrastructure Transition est centrée sur les projets et entreprises d’infrastructures contribuant aux transitions énergétiques et digitales en Europe en recherchant performance financière et extra-financière.

Constate-t-on un phénomène de concentration sur la dette infrastructure ? Comment vos organisations s’y adaptent-elles ?

Charlotte Lavit d’Hautefort : Il y a effectivement un mouvement de consolidation des acteurs de la gestion d’actifs, on ne peut pas le nier. Néanmoins, il existe plusieurs segments de marché qui n’adressent pas les mêmes investisseurs, ni les mêmes typologies d’actifs. Il y a donc encore de la place pour des stratégies complémentaires et différenciantes. Au sein d’Arkéa Asset Management, nous avons nous aussi pris part à ce mouvement de rationalisation. En début d’année, nous avons ainsi regroupé l’ensemble de la gestion d’actifs du groupe Crédit Mutuel Arkéa sous une seule entité afin de simplifier notre organisation, gagner en lisibilité et accroître notre capacité à mobiliser des encours significatifs avec une volonté de développer la dette privée dont les infrastructures.

Paola Basentini : Le marché de la gestion d’actifs en infrastructure connaît effectivement une intensification de la concurrence et une tendance nette à la consolidation. Les gestionnaires cherchent à se distinguer en adoptant des stratégies différenciantes. Chez SCOR IP, nous avons fait le choix d’une approche construite autour de quatre piliers. Le premier pilier, c’est le facteur humain. Nous considérons la qualité et la crédibilité des équipes comme un atout majeur. Nos experts viennent de milieux variés – banques, conseil financier, industrie –, ce qui nous permet d’analyser les opérations sous des angles complémentaires et de mener un sourcing totalement indépendant, sans exclusivité avec des contreparties. Deuxième pilier : nous avons fait le choix assumé de nous démarquer de la course à la taille. Alors que le marché tend vers la concentration et la recherche de volumes, notre modèle de sourcing multicanal nous permet d’identifier des opportunités d’investissement sous le radar. Ces opérations, parfois de taille plus réduite, nous donnent souvent une position exclusive sur les transactions. Nous le démontrons, puisque sur notre dernier millésime, près de 40 % des opérations ont ainsi été réalisées en exclusivité – en tant que seul prêteur, ou en tant que lead arranger avec un petit pool bancaire. Cette approche présente plusieurs avantages pour les investisseurs institutionnels : elle réduit les risques d’overlap pour les investisseurs multi-fonds et renforce notre pouvoir de négociation sur les structures de financement. Troisième pilier : nous allions innovation et discipline. Nous restons ouverts à de nouveaux secteurs et à des structures financières innovantes, tout en appliquant une rigueur forte dans la structuration et l’atténuation des risques. Enfin, le quatrième pilier, c’est notre engagement ESG, un axe fondamental de notre stratégie depuis plusieurs années.

Damien Gardes : Il existe en réalité plusieurs sous-marchés de la dette infrastructure. Beaucoup de monde se réclame du mid-market, mais certains acteurs sont davantage positionnés sur le small-to-mid, d’autres sur le mid-to-large. On peut noter qu’il n’existe pas de véhicules de plusieurs dizaines de milliards comme on peut en observer sur la dette privée corporate. Nous restons sur des tailles de fonds plus maîtrisées, ce qui favorise une gestion active et un positionnement sélectif. Chez Schroders, notre enjeu est d’être présents dans les transactions complexes, où nous pouvons exercer une influence réelle sur les conditions et les termes du financement – soit en position bilatérale, soit en tant que chef de file. C’est particulièrement le cas sur nos fonds de dette junior. Une de nos stratégies dans ce domaine vise des rendements totaux compris entre 10 % et 12 %, ce qui constitue une proposition de valeur réellement différenciante dans l’univers de la dette infrastructure.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Sur la question du sourcing, notre positionnement est clair : nous opérons sur le small to mid market. Notre sourcing repose sur deux grands canaux : le premier, ce sont les sponsors industriels ou financiers, notamment les fonds d’infrastructure equity avec lesquels nous avons une relation de long terme – chaque membre de l’équipe disposant en moyenne de 20 ans d’expérience. Le second canal, ce sont les banques européennes, qui connaissent bien les spécificités des marchés et des projets. Cette proximité est essentielle pour mieux appréhender les risques et adapter nos structures de financement. En parallèle, nous attachons une importance majeure à la compétence technique de nos équipes. En dette infrastructure, qu’elle soit senior ou junior, il faut être capable d’analyser des projets dans leur dimension financière, mais aussi technologique et opérationnelle. Comprendre le fonctionnement d’un réseau d’énergie renouvelable, d’un data center ou d’un système de transport est indispensable.

Du côté de Crédit Agricole Assurances : comment êtes-vous organisés pour vos investissements et comment sourcez-vous vos deals ?

Quentin Le Cloarec : Nous avons deux axes principaux d’intervention en infrastructure : le direct et l’indirect. Le direct représente environ 10 Md€ investis et sous gestion, et l’indirect – soit l’activité de fonds de fonds, en tant que LP – environ 2 Md. En direct, je gère une équipe d’une douzaine de personnes. Nous investissons préférentiellement en zone euro, toujours de manière minoritaire mais active, avec accès à la gouvernance. En pratique, cela signifie que nous détenons généralement entre 10 % et 50 % du capital selon les projets. Nous intervenons soit aux côtés de grands industriels, qui apportent leur savoir-faire technique, soit avec des partenaires financiers de long terme, comme AXA IM ou Vauban IP, ou encore aux côtés de GP de moyen terme (7-12 ans) comme Ardian, avec lesquels nous avons souvent collaboré avec succès. Cela nous permet de partager une philosophie d’investissement orientée principalement vers la durée et la stabilité (et de soutenir durablement nos investissements, dans leurs périodes difficiles comme celles d’opportunités d’investissement), tout en restant ouverts à des sorties opportunistes. Concernant le sourcing, nous sommes bien sûr très identifiés chez les principales banques d’affaires de la Place, étant très actifs dans le domaine, en tant qu’actionnaire stratégique de long terme. Depuis quelques années, et a fortiori dans l’environnement complexe que nous connaissons, nous négocions également des transactions bilatérales de plus petite taille en capitalisant sur notre image de proximité, de fiabilité, et notre capacité à exécuter avec sérieux nos transactions, ce qui nous donne accès à des deals plus propriétaires. A ce titre, Océinde Communications, cité précédemment, est un deal que nous avons su manœuvrer du fait d’un dialogue constant avec les GP, en l’occurrence ICG Infrastructure. La confiance est un élément structurant dans les deals, tant pour les vendeurs/partenaires futurs que pour nous, qui sommes extrêmement minutieux sur les due diligences. Sur les gros dossiers, nous restons dans des processus compétitifs, mais sur des tailles intermédiaires ; notre réseau nous permet donc d’obtenir des transactions plus exclusives.

Paola Basentini, responsable des infrastructures chez SCOR Investment Partners

"La prime de rendement observée sur la dette infrastructure correspond avant tout à une prime de complexité. Cette prime, relativement stable dans le temps, s’est récemment élargie vis-à-vis de l’obligataire, dans un environnement où les spreads de crédit sont à des niveaux très bas."

Paola Basentini a rejoint SCOR Investment Partners en 2014 en tant que gérante infrastructure avant d’être promue responsable des investissements Infrastructure en juin 2017. Auparavant, Paola a collaboré chez Dexia à Paris à partir de 2008, d’abord dans l’équipe Global Project Finance en tant que Project Manager Infrastructure, puis dans l’équipe Project Finance Bonds en tant que Directeur Infrastructure & Utilities. En 2005, elle intègre l’équipe Project & Export Finance d’UniCredit à Rome où elle occupe le poste d’Associate Director. En 2002, Paola rejoint l’équipe Structured Finance de Dexia Crediop en tant que Project Manager. Elle entame sa carrière en 2001 au sein de la Task Force pour les PPP (partenariat public/privé) du ministère de l’Economie et des Finances italien à Rome en tant qu’analyste financier. Paola détient un Master en Corporate Finance de l’université de Bocconi à Milan.

SCOR Investment Partners (IP) données clés

  • Effectifs dans l’expertise infrastructure : 10 dont 4 analystes dédiés aux investissements durables ;
  • Encours sous gestion dans l’expertise infrastructure : 2,5 Md€ investis au travers de 84 projets financés au 30.06.2025 ;
  • Historique de performance et/ou objectif de performance du millésime en cours : Depuis 2013 : 5 fonds de dettes senior et 4 fonds de dettes High Income, ouverts ou dédiés. SCORLUX SICAV-RAIF – High Income Infrastructure Loans II vise un objectif de performance brut de Euribor + 5 % à 6 %.
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : Depuis plus de 12 ans, l’équipe d’investissement en infrastructures de SCOR Investment Partners finance des projets d’infrastructures européennes avec une stratégie diversifiée, une approche d’investissement structurée et un profil risque/rendement optimisé. Cette stratégie repose sur une sélection rigoureuse de projets de tailles variées et répartis sur l’ensemble des secteurs liés à la transition énergétique et digitale. Notre valeur ajoutée réside dans la capacité à maximiser notre participation à des opérations menées en position exclusive, en dehors des radars des grands acteurs, nécessitant une forte expertise en origination et en structuration financière.

Comment intégrez-vous l’ESG à vos process de gestion ?

Quentin Le Cloarec : Nous disposons, au sein de la Direction des Investissements de CAA, d’une équipe dédiée à l’analyse extra-financière, qui rend un avis indépendant sur chaque opportunité d’investissement. Cette équipe fait donc partie intégrante du processus de décision et intervient aussi pendant la vie des investissements. Chaque année, nous mesurons la performance ESG des sociétés de notre portefeuille au travers d’un questionnaire détaillé. Les résultats sont notés, partagés avec les équipes dirigeantes, et assortis de recommandations d’amélioration. Par ailleurs, au sein de l’équipe d’investissement front, nous poussons, selon le niveau de maturité des sociétés, pour l’instauration de comités ESG en propre, rendant des recommandations au conseil d’administration, en complément des comités usuels de risques, d’audit ou d’investissement.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Nos fonds Infrastructure sont classés article 9 selon la réglementation SFDR, ce qui signifie qu’ils embarquent pleinement les thématiques ESG dès la sélection et la validation des investissements. Le responsable ESG participe directement au comité d’investissement afin de garantir la bonne prise en compte des objectifs ESG. Nous attachons aussi une grande importance au monitoring de la performance extra-financière des actifs. L’objectif est de présenter à nos investisseurs une performance globale, à la fois financière et extra-financière. Pour cela, nous avons mis en place des outils spécifiques permettant de collecter et suivre les données ESG tout au long du cycle de vie des projets. Concrètement, nous mesurons par exemple les tonnes de CO₂ évitées, le nombre de mégawattheures renouvelables produits ou encore la population desservie par un réseau de fibre optique. Tous ces indicateurs clés (KPIs) sont consolidés dans nos rapports ESG annuels, que nous publions à destination de nos investisseurs. Cela leur permet de quantifier précisément l’impact réel des investissements réalisés à travers nos fonds.

Damien Gardes : Chez Schroders, le sujet est tout aussi central. Nous avons fait le choix d’une approche très volontaire, complète et maîtrisée de l’intégration de l’ESG. Dès le départ, nous avons souhaité garder la main sur la manière d’appréhender ces enjeux, plutôt que de nous contenter d’une application mécanique des réglementations. Les cadres actuels – comme la SFDR, qui reste essentiellement un régime de transparence, ou la taxonomie européenne, souvent perçue comme restrictive lorsqu’elle est interprétée de façon prudente – laissent une large place à l’interprétation. Nous préférons donc adopter une approche fondée sur l’analyse la plus complète possible des risques et des impacts. Cela passe à la fois par un travail d’analyse qualitatif et quantitatif (avec collecte traitement et restitution des données dans nos reportings aux investisseurs). Au-delà de la SFDR, nous suivons aussi de près la CSRD, le pendant de cette réglementation pour les entreprises (qui aurait d’ailleurs du en toute logique, être son précurseur), même si son application a été partiellement décalée. Nous considérons que l’accès à la donnée ESG fiable est un enjeu majeur et qu’il faut en faire un travail proactif plutôt que de dépendre uniquement de cadres réglementaires parfois mouvants ou ambigus. En résumé, nous appliquons une approche ESG rigoureuse et interne, alignée sur nos convictions, tout en gardant une grande souplesse méthodologique pour nous adapter à l’évolution du cadre européen.

Paola Basentini : Chez SCOR IP, l’ESG est historiquement au cœur de notre stratégie et de nos processus d’investissement. Chaque projet que nous analysons intègre systématiquement une évaluation extra-financière réalisée par une équipe dédiée chargée de l’analyse et du suivi continu. Nos derniers millésimes de fonds – qu’ils soient senior IG ou à haut rendement  – sont également classés article 9 selon la réglementation SFDR. L’équipe d’analyse ESG est pleinement intégrée à nos décisions d’investissement, avec un droit de veto sur toute opération qui ne répondrait pas aux critères extra-financiers d’éligibilité de nos fonds. Nous considérons que l’appréciation de l’impact réel est essentielle. Il ne suffit pas de déclarer une contribution à la transition énergétique ou au développement durable : il faut la documenter par des indicateurs quantifiés, tels que les émissions évitées, le nombre d’emplois créés, ou d’autres KPI sectoriels. Depuis 2013, nous avons systématiquement orienté nos stratégies vers des projets à fort impact environnemental ou social. En 2017, l’un de nos fonds a obtenu la certification Greenfin, suivi par nos fonds successeurs, labellisés LuxFLAG Environnement, afin d’assurer une reconnaissance internationale. Depuis cette date, 100 % des investissements réalisés dans nos fonds contribuent directement à des objectifs environnementaux ou sociaux.

Participez-vous au mouvement de démocratisation de la classe d’actifs ?

Quentin Le Cloarec : Oui. Dès 2021, par exemple, nous avons lancé une unité de compte verte adossée à des investissements dans les énergies renouvelables et commercialisée par le réseau bancaire du Groupe CA. Nous travaillons actuellement à un fonds dédié à Crédit Agricole Assurances, axé sur les transitions principales (digitale, environnementale, énergétique, etc.) dans les territoires français, qui devrait être proposé aux particuliers. L’infrastructure est encore méconnue du grand public, mais elle est facile à comprendre, car elle répond à des besoins essentiels comme l’énergie, le numérique ou la santé.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Nous constatons également un fort engouement des particuliers pour cette classe d’actifs, notamment grâce au cadre réglementaire favorable mis en place par la loi Industrie verte, qui encourage l’investissement d’une partie de cette épargne dans les actifs non cotés — parmi lesquels l’infrastructure occupe une place majeure. Cet intérêt dépasse la seule recherche de performance financière. Les investisseurs souhaitent désormais donner du sens à leur épargne, comprendre dans quoi ils investissent et pouvoir mesurer concrètement la contribution de leurs placements — qu’il s’agisse de transition énergétique, de développement numérique ou de mobilité durable. Chez Arkéa Asset  Management, nous avions déjà lancé en 2024 un premier produit à destination de la banque privée de notre groupe, et nous poursuivons cette initiative avec des projets en cours de développement.

Damien Gardes : Nous partageons entièrement cette vision. Les particuliers représentent aujourd’hui un véritable relais de croissance pour les stratégies d’infrastructure – et plus encore pour la dette infrastructure, qui combine rendement, stabilité et impact. C’est aussi une opportunité unique pour les épargnants, car cette classe d’actifs, dont les qualités sont assez uniques, reste difficile d’accès avec les outils d’investissement traditionnels. Chez Schroders, nous avons voulu combler ce manque en lançant Europe Infrastructure Credit, un fonds spécifiquement conçu pour les investisseurs particuliers. Il est éligible à l’assurance vie, au PER, est accessible en compte-titres ordinaires, et donne accès à un portefeuille pur de dette infrastructure junior construit sur les mêmes standards de qualité que nos fonds institutionnels. Les investisseurs peuvent ainsi viser une rentabilité nette de l’ordre de 6 à 6,5 %, tout en participant au financement d’actifs réels contribuant à la transition énergétique et numérique européenne. 

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