Le gand débat

Dette privée : la course à la taille s’intensifie

Publié le 19 septembre 2025 à 14h00

Sandra Sebag    Temps de lecture 36 minutes

La dette privée s’impose plus que jamais comme une classe d’actifs incontournable pour les investisseurs institutionnels. Entre concentration des levées de fonds au profit des plus grands gérants, appétit renforcé pour le direct lending senior et montée en puissance des fonds evergreen destinés aux particuliers, le marché se transforme rapidement. Pour les gérants, ces évolutions se traduisent par la recherche d’une plus grande diversification et par une gestion prudente du risque qui les conduit notamment à intégrer les critères ESG. Ils sont par ailleurs contraints par un accroissement de la concurrence sur les « bons » dossiers et une plus grande volatilité macroéconomique qui les poussent à redoubler d’ingéniosité et à affirmer leur capacité à structurer une classe d’actifs appelée à jouer un rôle central dans le financement de l’économie. Dans ce Grand Débat animé par la rédaction d’Option Finance, les spécialistes d’Amundi, de Morgan Stanley, de la MACSF et de Muzinich livrent leur vision de la classe d’actifs.

Les intervenants :

  • Thierry Vallière, directeur de la plateforme dette privée d’Amundi
  • Hamza Filali, managing director et membre du comité d’investissement de Morgan Stanley Private Credit
  • Roger Caniard, directeur financier et membre du comité exécutif du groupe MACSF
  • Rafael Torres, co-responsable de la dette privée paneuropéenne de Muzinich & Co

Que représente la dette privée dans vos activités ?

Thierry Vallière, directeur de la plateforme dette privée d’Amundi : La plateforme européenne de dette privée d’Amundi gère 8,4 milliards d’euros d’actifs à travers trois domaines d’expertise complémentaires à savoir la dette corporate/direct lending (prêts directs aux entreprises accordés par un fonds ou un investisseur) pour un encours de 5,4 milliards d’euros, 0,9 milliard d’euros en leveraged loans (crédit à effet de levier) et enfin 2,1 milliards d’euros en dette immobilière.

Hamza Filali, managing director et membre du comité d’investissement de Morgan Stanley Private Credit : Dans les produits de dette privée, nos encours ressortent à un peu plus de 30 milliards de dollars aux Etats-Unis et en Europe. La progression de notre activité en Europe a été rapide depuis le lancement de la plateforme en 2022. Nous disposons ainsi déjà de plusieurs milliards d’euros sous gestion sous la forme de fonds fermés ou evergreen et des dizaines de lignes d’investissement, principalement dans de la dette senior finançant des opérations de LBO « mid-market » européens.

Roger Caniard, directeur financier et membre du comité exécutif du groupe MACSF : La MACSF mise beaucoup sur les actifs privés. 12 % de l’allocation globale de notre fonds en euros est dédiée à ces actifs dont 2 % sur la dette privée. Nous sommes également connus pour avoir lancé très tôt des supports en unités de compte investis sur la dette privée : deux véhicules, l’un avec le groupe Tikehau qui représente maintenant un peu plus de 850 millions d’euros et l’autre, plus récent, avec Andera dont l’encours est d’un peu plus de 200 millions.

Rafael Torres, co-responsable de la dette privée paneuropéenne de Muzinich & Co : Notre plateforme européenne de dette privée existe depuis plus de 10 ans. Nous gérons actuellement 5,5 milliards de dollars américains dans le cadre de stratégies de direct lending et de parallel lending (prêts senior secured pari passu avec les banques), principalement en Europe, mais également aux Etats-Unis et en Asie-Pacifique. Les stratégies paneuropéennes de dette privée de Muzinich se concentrent sur le lower middle-market. Nous levons actuellement des fonds pour notre troisième vintage après le succès des deux fonds précédents.

Quelles sont les grandes tendances en matière de levées de capitaux depuis le début de l’année en Europe ?

Thierry Vallière : Nous observons depuis trois ans une tendance à la concentration des levées de capitaux sur les plus gros asset managers. La taille moyenne des fonds en Europe a sensiblement augmenté, elle ressort maintenant au-delà du milliard d’euros. Nous constatons aussi une forte demande pour les stratégies qui relèvent de notre spécialité, à savoir le financement de PME (petites et moyennes entreprises) et ETI (établissements de taille intermédiaire) en Europe. Dans une moindre mesure, nous observons également un retour de l’intérêt des investisseurs institutionnels pour le financement d’actifs dans les infrastructures (notamment celles liées à la transition énergétique) et l’immobilier. Les institutionnels se repositionnent sur ces segments. Ces trois classes d’actifs, sur lesquelles les levées avaient été plus difficiles au cours des deux dernières années, reviennent progressivement.

Hamza Filali : Les levées de fonds dans la dette privée en 2024 étaient un peu en retrait par rapport aux deux années précédentes à savoir 2022 et 2023, mais nous observons un léger rebond sur la première partie de 2025. Nous faisons par ailleurs le même constat que les équipes d’Amundi : nous assistons à une très forte concentration des levées de fonds, ce qui a pour conséquence une consolidation du marché. Les institutionnels et les distributeurs diminuent le nombre de sociétés de gestion avec lesquelles ils travaillent. Ils cherchent à nouer des partenariats avec des sociétés de gestion qui offrent une palette large d’actifs sur différentes géographies et de nombreux segments de marché. Nous avons ainsi vu récemment des sociétés de gestion internationales avec une surface assez large nouer des partenariats avec des fonds souverains du Moyen-Orient ou d’Asie. Ce type d’associations devrait se développer. En conséquence, ce sont les acteurs les plus gros et les plus globaux qui tirent mieux leur épingle du jeu dans ce nouveau contexte. Au sein du segment de la dette privée, la partie la moins risquée, c’est-à-dire le direct lending, en particulier senior, continue d’être le principal moteur des levées. Le profil plus prudent de cette classe d’actifs par rapport aux autres, dans un contexte macroéconomique et géopolitique incertain, a intéressé davantage les investisseurs. Ces derniers mettent l’accent sur la protection de leurs actifs. Dernier point important : depuis le « jour de la libération » aux Etats-Unis début avril, nous constatons un regain d’intérêt d’investisseurs institutionnels américains pour les marchés européens, les sociétés de gestion européennes et la dette privée européenne, ce qui est relativement différent par rapport aux deux à trois années précédentes. La volonté de diversification en faveur d’actifs européens est plus forte depuis le deuxième trimestre de cette année aux Etats-Unis et, par ricochet, dans d’autres géographies où le risque américain était peut-être surpondéré.

Rafael Torres : Nous assistons en effet à un rééquilibrage cette année des portefeuilles des investisseurs institutionnels vers l’Europe. Les flux d’investissement des investisseurs européens et surtout asiatiques ne se dirigent plus essentiellement vers les Etats-Unis comme les années précédentes et reviennent en Europe. Par conséquent et dans la mesure où le crédit est très recherché cette année, les levées de fonds devraient être plutôt conséquentes. Cette tendance avantage les sociétés de gestion européennes et celles qui possèdent des implantations locales et des stratégies bien diversifiées géographiquement en Europe. Dans ce cadre, les investisseurs recherchent plus particulièrement les acteurs qui investissent de façon très diversifiée en Europe. Pour notre part, nous investissons en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Scandinavie, en Espagne, etc., mais sans biais géographique, aucun de ces pays ne représentant plus de 20 % de nos portefeuilles.

Roger Caniard : Côté institutionnel, l’intérêt va davantage vers la dette privée que vers les autres segments des marchés privés, tout simplement parce qu’il y a plus de prévisibilité des cash-flows sur cette classe d’actifs. Nous avons tous été refroidis par le fort ralentissement constaté dans le capital-investissement et le manque de distributions sur cette classe d’actifs. La dette privée offre des intérêts (revenus récurrents) et des échéances de remboursement avec des calendriers beaucoup plus prévisibles : cela a joué en sa faveur dans les allocations des investisseurs institutionnels. Il existe aussi une pression sur les frais, ce qui rend les produits plus attractifs pour nous. Lors des campagnes pour les levées de fonds, nous constatons que les véhicules de très grande taille proposent des conditions de frais intéressantes pour l’investisseur, ils privilégient les volumes d’activité plutôt que la marge. Les partenariats qui sont annoncés avec de gros institutionnels comme les fonds souverains vont aussi dans ce sens : les sociétés de gestion acceptent des frais très bas. A l’inverse, certains acteurs refusent d’éroder leurs marges et ont plus de mal à lever des capitaux.

Rafael Torres : La problématique des sorties ne se pose pas dans la dette privée contrairement au capital-investissement car les sommes empruntées sont remboursées à l’échéance ou avant si un emprunteur est vendu ou refinancé. En revanche, le ralentissement des levées dans le capital-investissement peut avoir un impact sur les opportunités d’investissement. Nos différentes implantations en Europe et notre capacité de diversification nous permettent de gérer cette situation.

Thierry Vallière, Amundi

"L’expérience du gérant, son historique de performance et l’existence d’un portefeuille conséquent offrent un avantage pour travailler son « stock » de sociétés dans un marché où les opérations de fusions et acquisitions n’ont toujours pas retrouvé le rythme espéré."

Thierry Vallière rejoint Amundi en 2015 en tant que directeur de la plateforme dette privée. Précédemment, Thierry était DAF du groupe Printemps (grands magasins et immobilier), où il supervisait les comptabilités, la trésorerie et les financements, le juridique, la fiscalité, la planification financière, le développement et les fonctions administratives. Thierry a débuté sa carrière en 1998 chez Fiducial avant de rejoindre en 2000 la banque d’affaires Rothschild & Co où il était impliqué dans des opérations de fusions-acquisitions, conseil en financement et restructuration en Europe jusqu’en 2010. Thierry est titulaire du DESCF et du DESS « Finance d’entreprise et ingénierie financière » de l’université Dauphine.

Données clés Amundi

  • Effectifs dans l’expertise : 35 professionnels expérimentés (18 ans d’expérience en moyenne) et une présence locale dans cinq pays.
  • Encours dans l’expertise : La plateforme européenne de dette privée gère 8,4 milliards d’euros d’actifs sous gestion (chiffres au 31/12/2024) à travers trois domaines d’expertise complémentaires (dette corporate/direct lending, leveraged loans et dette immobilière). Amundi bénéficie d’un accès privilégié et éprouvé aux marchés privés, avec plus d’un milliard d’euros investis en moyenne chaque année.
  • Philosophie d’investissement : l’équipe réalise des financements rapides, flexibles et fiables pour les PME et ETI européennes qui investissent ou cherchent à développer leurs activités ou à faire des acquisitions. Elle possède une approche sélective, ainsi qu’un processus d’investissement robuste et reconnu. Enfin, la performance durable et l’ESG sont au cœur du processus d’investissement avec 75 % des financements octroyés dont le coût évolue en fonction de la performance financière et extra-financière des emprunteurs.

Certains de ces pays, notamment le Royaume-Uni et la France, souffrent d’une conjoncture difficile. Quels impacts cela a-t-il sur la dette privée ?

Rafael Torres : La conjoncture est, il est vrai, plus difficile dans certains pays. Pour remédier à cette difficulté, nous sommes très sélectifs en termes de secteur et de niveau d’endettement dans nos investissements. A titre d’exemple, au Royaume-Uni, nous investissons principalement dans la santé et dans la technologie. Nous ne sommes pas présents sur des secteurs en souffrance qui réclament beaucoup de main-d’œuvre ou dépendent fortement des produits importés. Sur l’ensemble de nos portefeuilles, nous n’investissons pas dans la consommation directe ou le retail (pour les particuliers) et dans la distribution ainsi que dans l’industrie en dehors de l’agroalimentaire. L’industrie est en effet cyclique, elle peut être affectée par l’évolution des prix de l’énergie, des matières premières ou des droits de douane. Nous ne souhaitons pas nous exposer à des secteurs qui peuvent subir une volatilité des résultats et nous gardons une approche conservatrice.

Roger Caniard : De mon point de vue en tant qu’investisseur, l’impact conjoncturel direct est limité. En revanche, nous constatons de réelles difficultés pour certains fonds sectoriels spécialisés (en equity ou en dette) lorsque leur secteur souffre. Cela nous conforte dans notre volonté de privilégier les fonds généralistes, pour bénéficier de leur diversification et éviter des chocs sectoriels trop fortement concentrés.

Hamza Filali : Certains gros acteurs internationaux, notamment ceux bénéficiant d’une taille critique aux Etats-Unis, ont pu investir dans des équipes conséquentes en Europe. En ce qui concerne Morgan Stanley, le groupe bénéficie de plus de synergies significatives internes en termes de couverture et de présence locale sur l’ensemble du continent européen. Il en découle une gestion du risque plus saine grâce à une bonne diversification des portefeuilles et à un accès à un pipeline plus large de projets à financer. Historiquement, les gestionnaires américains ont eu des concentrations moindres que certains acteurs européens qui se sont davantage positionnés sur une logique de transactions bilatérales avec des portefeuilles parfois plus restreints. Notre philosophie de gestion (comme aux Etats-Unis) implique une diversification importante par actif et par géographie. Nous faisons notamment attention à une bonne pondération du Royaume-Uni, surreprésenté dans les portefeuilles historiques de certains gestionnaires du continent. Sectoriellement, nous privilégions les secteurs les plus résilients aux aléas macroéconomiques par rapport aux secteurs cycliques et misons sur une approche défensive.

Les taux de défaut vont-ils augmenter ?

Rafael Torres : Toute l’industrie s’attend à une légère augmentation du taux de défaut, ce dernier ressort actuellement à 1,5 % en Europe. La meilleure façon de prémunir nos portefeuilles est de limiter le niveau de levier mesuré par la dette divisée par l’Ebitda. En moyenne, il est compris entre 3 et 3,5 dans nos portefeuilles. Grâce à un couple rendement/risque attractif, en combinant des structures de financement conservatrices où nous sommes généralement le seul prêteur sur des secteurs bien ciblés et des portefeuilles très diversifiés, nous obtenons un bon niveau de contrôle du risque sur nos portefeuilles.

Hamza Filali : Il est plus facile d’avoir des chiffres aux Etats-Unis sur la dette privée qu’en Europe car une partie importante du marché est tenue de publier ses performances. Aux Etats-Unis, le taux de défaut est actuellement encore inférieur à 1 % et chez Morgan Stanley, il est bien plus bas que le marché, c’est-à-dire plus proche de 0 que de 1 %. Mais il faut aussi lire les chiffres annoncés à la lumière de certaines pratiques et données plus techniques comme l’option offerte à certains emprunteurs de convertir les taux cash en taux capitalisés, ce qui a comme conséquence de sous-estimer les taux de défaut de l’industrie. Les données publiques sur ces taux de conversion montrent aussi que cela représente moins de 5 % du portefeuille de Morgan Stanley soit encore une fois un taux plus bas que la moyenne du marché. C’est le résultat de la stratégie délibérée des équipes de direct lending d’investir à plus de 95 % dans de la dette senior de qualité. Nous avons fait le choix de privilégier les sociétés les plus défensives et les structures les plus prudentes dans un moment de forte volatilité et d’incertitude.

Thierry Vallière : Pour compléter ce qui vient d’être énoncé : sélectivité et diversification constituent évidemment des facteurs clés. Elles s’inscrivent dans un contexte de contraction des opérations dans le capital-investissement et supposent des ajustements. Les projets que nous avons accompagnés dernièrement se répartissent à environ un tiers de « build-up », c’est-à-dire de sociétés déjà en portefeuille et qui souhaitent accélérer leur développement via notamment de la croissance externe, un tiers d’opération de refinancements (souvent dans le cadre de dossiers en portefeuille ou déjà connus) et un tiers de nouveaux deals liés à des opérations primaires ou à une fusion-acquisition. L’expérience du gérant, son historique de performance (track-record) et l’existence d’un portefeuille conséquent offrent un avantage pour travailler son « stock » de sociétés dans un marché où les opérations de fusions et acquisitions n’ont toujours pas retrouvé le rythme espéré depuis 2022, à savoir depuis la période de hausse des taux, et où les fonds de capital-investissement sont sous pression. Du point de vue des secteurs, nous évitons également les secteurs trop cycliques/volatils, notamment la consommation discrétionnaire. Nous privilégions les leaders sectoriels, avec des barrières à l’entrée et des risques maîtrisés. Ce profil correspond aussi à la demande des investisseurs que nous accompagnons. Les secteurs très volatils se prêtent moins bien à l’usage du levier.

Rafael Torres, Muzinich & Co

"En combinant des structures de financement conservatrices où nous sommes généralement le seul prêteur sur des secteurs bien ciblés et des portefeuilles très diversifiés, nous obtenons un bon niveau de contrôle du risque."

Il a rejoint Muzinich & Co Inc. en 2014 ; auparavant, il était partner de Hutton Collins Partners LLP, une société d’investissement en dette subordonnée primaire/actions privilégiées de 1,4 milliard d’euros à travers l’Europe. Précédemment, Rafael a occupé plusieurs postes dans les domaines de l’investissement, du prêt et du crédit sur le middle-market, dont deux ans chez Mercapital, une société de capital-investissement sur le middle-market en Espagne, et cinq ans chez Merrill Lynch, d’abord dans le domaine du crédit, puis dans celui du financement à effet de levier. Il a commencé sa carrière à la Chemical Bank/Chase Manhattan Bank à Madrid. Rafael est diplômé de l’ICADE en Espagne et du groupe ESC Reims en France avec un BA Honors en European Business Administration.

Données clés Muzinich & Co

  • Effectifs dans l’expertise : 50 dans le monde, et 35 en Europe
  • Encours dans l’expertise et % des encours totaux : 5,5 milliards de dollars US/13 %
  • Objectif de performance (principale stratégie et/ou stratégie phare) : Target Net IRR 9-10 %
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : spécialiste du crédit sur les marchés publics et privés, Muzinich & Co Inc. se concentre en Europe sur le segment lower middle-market, en offrant des solutions de prêt qui s’alignent sur la trajectoire de croissance unique de chaque emprunteur. Sa présence locale permet une collaboration étroite avec les emprunteurs.

La concurrence n’est-elle pas forte sur ce type de dossiers ?

Thierry Vallière : Il y a effectivement moins de dossiers primaires et nous rencontrons une plus forte concurrence sur les « bons » dossiers. Comme sur les marchés publics, on observe depuis le début de l’année une contraction des spreads : nous préférons nous positionner sur de très bons dossiers avec un peu moins de rendement que l’inverse.

Hamza Filali : Il existe des différences de positionnement entre les acteurs. Pour notre activité direct lending chez Morgan Stanley, nous sommes plutôt positionnés sur les opérations de LBO de taille moyenne avec des fonds de private equity américains ou européens. D’autres équipes recherchent plutôt des dossiers lower mid-cap et/ou corporate. Mais s’il est vrai que la concurrence est plus forte sur les meilleurs dossiers, les acteurs arrivent encore à se différencier grâce à leur capacité de sourcing, issue de leur expérience et de la qualité des gestionnaires, mais aussi grâce aux synergies générées dans les plus grandes maisons. En ce qui nous concerne, nous bénéficions de synergies significatives liées à nos activités d’investisseur et de LP, mais aussi à nos activités de conseil M&A et de banque privée leader aux Etats-Unis.

Quels sont les rendements servis sur les fonds de dette privée ? La prime de liquidité a-t-elle évolué ?

Rafael Torres : La prime d’illiquidité est plutôt stable depuis cinq ans, aux alentours de 4 %, et les marges obtenues oscillent entre 6 % et 7 %. Actuellement, sur notre segment mid-cap senior, les rendements servis se situent autour de 9 % net. Les fonds de dettes privées s’appuient sur des taux d’intérêt flottants, Euribor augmenté d’une marge. Les investisseurs savent que si les taux d’intérêt baissent, les rendements vont s’ajuster en conséquence. Ce segment n’intègre ainsi pas de risque de duration.

Thierry Vallière : Sur le direct lending senior, nous avons assisté à une compression des spreads qui se situent actuellement un peu en dessous de 600 points de base sur la plupart des dossiers. Il reste toujours de la prime par rapport au marché public de référence à savoir les leveraged loans qui tournent plutôt autour de 350 points de base au-dessus de l’Euribor. Depuis le début de l’année, la compression des spreads a été d’environ 50 à 75 points de base. Sur le segment des subordonnés, il reste encore une prime conséquente.

Hamza Filali : Il y a une différence attendue selon la sous-catégorie de dette privée considérée et le niveau de levier de la structure du fonds choisi. Selon l’appétence du risque de l’investisseur, le rendement peut osciller autour de 7-8 % et aller jusqu’à 15 % pour les fonds de dette les plus risqués.

Hamza Filali, Morgan Stanley Private Credit

"Les sociétés de gestion innovent beaucoup dans la structuration afin d’adapter les fonds aux besoins des investisseurs. Dans un fonds, les compartiments peuvent avoir plus ou moins de levier, il est possible par exemple d’avoir des compartiments en dollar sur du crédit européen."

Hamza couvre l’activité private credit en France et en Europe du Sud. Avant de rejoindre Morgan Stanley, Hamza a lancé le bureau de CVC Credit à Paris en 2019. Auparavant, il a travaillé 12 ans chez BNP Paribas où il a occupé différents postes à Paris, au sein de l’équipe de leveraged finance, et à Londres, au sein des équipes leveraged finance, high yield bonds et syndication. Hamza a commencé sa carrière chez Deloitte, dans l’équipe M&A Transaction Services. Il possède un master en finance de l’ESCP Europe Business School et un master en droit des affaires et fiscalité de l’université Panthéon-Sorbonne.

Données clés Morgan Stanley Private Credit

  • Effectifs dans l’expertise : 60 en dette privée en Europe et aux Etats-Unis
  • Encours dans l’expertise : 30 milliards de dollars US
  • Objectif de performance (principale stratégie et/ou stratégie phare) : selon le sous-jacent, 8-15 %
  • Philosophie d’investissement en quelques mots : dette senior ou subordonnée pour des PME européennes leaders de leur marché

Quelles stratégies de restructuration sont mises en place lorsque survient un défaut ?

Rafael Torres : Notre stratégie initiale lors d’un défaut est de négocier un apport de capital par l’actionnaire principal de la société. De façon alternative, nous pouvons soutenir nous-même nos sociétés en portefeuille en prenant une participation au capital si nécessaire. Nous faisons appel en interne à nos ressources ayant de l’expérience en restructuration et si besoin à des sociétés de conseil disposant de l’expertise nécessaire.

Hamza Filali : Selon des données récentes concernant les échanges de dette contre capital par des fonds de dette privée en Europe depuis 2018 (cas de défauts lourds des emprunteurs),  l’écrasante majorité des opérations semble se faire à l’amiable entre l’actionnaire et le prêteur. Il y a en général une discussion entre les deux pour trouver un accord dont l’objectif principal est de sauver l’entreprise. La restructuration dans le cadre du direct lending présente en général plusieurs atouts : un alignement d’intérêts entre un nombre restreint de prêteurs et la capacité à trouver des solutions rapides, pragmatiques et flexibles pour préserver l’activité et éviter des procédures judiciaires lourdes et coûteuses, tout en laissant le management se concentrer sur l’opérationnel. Le règlement judiciaire arrive en tout dernier ressort.

Roger Caniard : La transparence vis-à-vis des investisseurs n’est pas toujours complète : nous sommes parfois informés de ce type de changement ex-post. Nous prenons en compte cet aspect dans la sélection de nos partenaires. Si un échange de dettes contre actions est nécessaire, les équipes de gestion doivent pouvoir s’appuyer sur des « operating partners » qui puissent accompagner au plus près les entreprises. Tous les fonds ne disposent pas de ce type de ressources ; cela favorise les gros acteurs qui ont les moyens de mener à bien ce type d’opérations.

Thierry Vallière : Nous essayons d’être aussi transparents qu’il est possible dans le respect des clauses de confidentialité. Face à des pools bancaires très nombreux, la dette privée, avec peu d’acteurs autour de la table et la capacité à remettre du new money si besoin, permet souvent de prendre des décisions plus rapides et plus consensuelles. Les syndicats de banque qui mobilisent beaucoup d’acteurs offrent moins cette flexibilité.

Comment les investisseurs institutionnels choisissent-ils les fonds ? Taille, expérience des équipes ? Quels critères sont utilisés dans les appels d’offres ?

Rafael Torres : Nous constatons qu’il y a un grand nombre d’appels d’offres institutionnels en ce moment. Ils portent sur de gros mandats pour des montants entre 250 et 500 millions d’euros avec un profil de risque plutôt conservateur. Les institutionnels recherchent des gérants et/ou des plateformes qui sont capables de déployer rapidement le capital levé. Il faut compter environ trois ans en moyenne pour déployer le capital et les gérants procèdent à des appels de fonds réguliers. Pour optimiser le déploiement, certains vont investir dans de nouveaux segments ; des fonds spécialisés sur le mid-cap peuvent, dans ce cadre, investir sur des dettes émises par des entreprises avec des tailles de capitalisation plus grandes. Cette évolution se fait toutefois au détriment de la performance. Il y a davantage de compétition sur le haut du segment et cela se traduit par des marges plus faibles. En ce qui nous concerne, nous optons plutôt pour un renforcement de nos équipes afin de déployer plus vite. A ce titre, nous venons d’ouvrir un bureau à Stockholm afin de dénicher plus facilement, et avec une approche locale, des opportunités dans le nord de l’Europe.

Hamza Filali : La majorité des investisseurs, notamment institutionnels, exigent plus de transparence dans les mandats et dans les stratégies mises en place par les fonds. Historiquement, certains fonds de direct lending pouvaient investir dans d’autres stratégies de façon opportuniste et en recherchant davantage de rendement dans des opérations plus risquées. Il existe aussi des fonds multi-stratégies dans lesquels les investisseurs ne savent plus vraiment quel est le profil de risque du sous-jacent. Nous prônons, du côté de Morgan Stanley, une clarification des stratégies, elle est d’autant plus nécessaire dans le contexte de la démocratisation de la classe d’actifs. Ainsi, le direct lending par exemple devrait s’adresser à des secteurs plus résilients avec potentiellement des spreads plus serrés et se différencier plus clairement du segment « crédit opportuniste », ou encore des fonds principalement orientés dette subordonnée/mezzanine.

Roger Caniard : Il y a une logique à cette clarification : nous constatons moins d’opérations en equity, il y a donc moins d’opérations à financer par la dette et celles qui aboutissent sont de meilleure qualité, avec pour conséquence un resserrement des spreads. Par ailleurs, il est évident que les investisseurs veulent maintenant des produits spécialisés par niveau de risque et non des fonds « fourre-tout ». Ces derniers ont en effet été rattrapés par la réalité. Beaucoup de PME sont actuellement en difficulté et cherchent à restructurer leurs dettes. Par conséquent, ils déçoivent en termes de performance et pire, certains porteurs n’avaient pas conscience du risque réel pris. Ces évolutions poussent à plus de transparence et de clarification des stratégies, ce qui est très positif.

Roger Caniard, MACSF

"Côté institutionnel, l’intérêt va davantage vers la dette privée que vers les autres segments des marchés privés, tout simplement parce qu’il y a plus de prévisibilité des cash-flows sur cette classe d’actifs."

Roger Caniard a la responsabilité de la gestion financière des portefeuilles d’assurance, et en particulier des portefeuilles en actions cotées et non cotées, ainsi que de la sélection de la gamme d’unités de compte des contrats d’assurance-vie. Il est par ailleurs administrateur de sociétés du groupe. Avant de rejoindre la MACSF en 1995, il était chargé des opérations financières pour le compte des clients de la banque KBL, des mandats d’achat ou de cession, ainsi que du suivi des opérations non cotées. Il est diplômé de la Société française des analystes financiers (SFAF), d’un master finance de l’ESCP et d’un DESS finance et marchés de capitaux de Sciences Po Paris.

Données clés MACSF

  • Répartition du fonds euro : Obligations
  • 6 % Actions
  • 12 % Non-coté dont 2 % en dette privée
  • 6 % Immobilier
  • 6 % Trésorerie
  • Deux UC en dette privée : TFE Tikehau Financement Entreprises : 3,5 ans d’ancienneté, 850 millions d’euros d’encours, stratégies de direct lending et unitranche ; et ADP Andera Dette privée : lancement fin 2024, stratégies de corporate venture mezzanine sponsorless uniquement, 200 millions d’euros d’encours.
  • Philosophie d’investissement : la MACSF possède une stratégie d’investissement à long terme avec une base de 70 % d’obligations qui bénéficient de la hausse des taux français et des investissements répartis entre actions cotées, immobilier, toutes les catégories d’OPCVM et de nombreuses catégories d’investissement dans le non-coté. Sur les UC, le groupe propose une gamme simple d’une vingtaine de supports dont deux supports de dette privée.

Quelles sont les principales innovations produits ?

Hamza Filali : Au-delà des sous-classes (corporate, direct lending, junior, opportuniste), les sociétés de gestion innovent beaucoup dans la structuration afin d’adapter les fonds aux besoins des investisseurs institutionnels ou en gestion privée. Dans un fonds, les compartiments peuvent avoir plus ou moins de levier, il est possible par exemple d’avoir des compartiments en dollar sur du crédit européen. Il est ainsi possible d’ajuster le rendement de façon plus fine au profil de risque et à l’appétit de l’investisseur.

Roger Caniard : L’investisseur final est aujourd’hui confronté aux difficultés rencontrées par les entreprises qui ont été financées sur la base de taux très élevés comprenant une structure avec Euribor plus une marge élevée qui peut conduire à un coût de financement de 10 %. Ces entreprises ont dû mener des renégociations et les investisseurs n’ont pas toujours eu connaissance des restructurations qui conduisent à des baisses de valeur sans pour autant véritablement apparaître dans les taux de défaut généralement présentés comme très faibles. Nous préférons obtenir des rendements un peu plus bas, mais avec plus de sécurité et des leviers moins élevés. Rappelons que derrière les taux de défaut « faibles », il y a des restructurations, des moratoires, etc. Les entreprises financées il y a trois ans à des niveaux de taux élevés rencontrent maintenant des difficultés. Les investisseurs se veulent plus prudents. Cela explique aussi le rebond du direct lending en 2024.

Hamza Filali : Sur les dernières données publiées, la part du direct lending a rebondi de façon importante en 2024 car les investisseurs cherchent des actifs moins risqués. En matière d’innovation produits, nous constatons le développement des fonds evergreen semi-liquides qui se prêtent particulièrement bien à la dette privée offrant ainsi des coupons réguliers, des durations plus courtes, et une moindre volatilité de valorisation. Ce produit est adapté à une distribution plus large en incluant le segment de la clientèle privée. Nous avons lancé un fonds Sicav Part 2 evergreen luxembourgeois en février dernier, qui rencontre un vrai succès car il est assez différencié et présente plus de flexibilité que l’offre traditionnelle en Europe de fonds de dette privée. L’équivalent français a été lancé en août dernier. C’est le bon « mariage » entre classe d’actifs et structure pour adresser une clientèle privée plus large.

Existe-t-il un marché secondaire pour la dette privée corporate ? 

Roger Caniard : Nous nous intéressons à la dette secondaire. Ce sont des produits qui sont intéressants. Ils sont investis sur des actifs achetés sous le pair alors que les structures n’ont pas changé, les rendements sont donc logiquement plus élevés et les maturités sont souvent plus courtes.

Hamza Filali : Le secondaire se développe en Europe, mais ce marché reste plus petit en termes de volume qu’aux Etats-Unis, car par définition, la duration d’un fonds de dette est plus courte que celle du capital-investissement.

La démocratisation des fonds est-elle bien engagée en matière de dette privée ? Comment fonctionnent ces fonds ?

Rafael Torres : La plupart des gérants spécialisés dans la dette privée souhaitent se développer auprès d’une clientèle de particuliers. De nombreux produits ont été lancés et permettent d’investir des montants réduits. Notre premier fonds de dettes privées paneuropéennes ELTIF 2.0 lancé en 2025 est accessible à partir de 1 000 euros. Il s’appuie sur une structure evergreen (perpétuelle) et possède ainsi des fenêtres de sortie régulières avec quelques limitations. Le démarrage de ce fonds est plutôt rapide. Les encours ressortent actuellement à environ 50 millions d’euros et cela devrait grimper rapidement. Notre fonds dédié aux particuliers investit aux côtés des fonds institutionnels. Il s’agit de co-investissement sur les mêmes lignes de crédit. Il n’y a pas de différences structurelles majeures. Nous proposons notre fonds via des distributeurs et des compagnies d’assurances en Europe. Nous travaillons actuellement sur le lancement d’un deuxième fonds de dettes privées paneuropéennes, de droit français cette fois-ci, qui sera éligible à l’assurance-vie en France, le premier étant domicilié au Luxembourg.

Hamza Filali : Aux Etats-Unis, les fonds evergreen dominent le marché bien au-delà du segment de la gestion privée et de la gestion de fortune, ils sont aussi très présents sur le segment des gérants institutionnels. Ce type de structure dispose de nombreux atouts : le capital est rapidement investi, les fenêtres de liquidité sont plus rapprochées et la diversification plus rapidement assurée. En Europe, ces structures sont plus récentes. Historiquement, les particuliers investissaient via des fonds fermés avec des appels de fonds. Cette innovation ajoute donc un intérêt supplémentaire important à la classe d’actifs car le capital est investi immédiatement. Mais ces fonds peuvent se révéler complexes à gérer, ils sont semi-liquides avec des fenêtres de liquidité trimestrielle dans notre cas, mais le sous-jacent lui, la dette privée, reste un actif illiquide. Les gestionnaires nécessitent donc un véritable savoir-faire pour servir la liquidité promise à travers notamment une bonne diversification des actifs, mais aussi du passif côté souscripteurs c’est-à-dire en termes de type d’investisseurs, de géographie et de distribution statistique pour réduire ainsi le risque de sorties concomitantes. Ce développement favorise là encore les grands acteurs notamment américains qui disposent d’une expérience et d’un savoir-faire anciens dans ce type de structure, et d’une capacité de distribution plus internationale.

Roger Caniard : Ce point est particulièrement important et je vous remercie d’évoquer aussi la problématique du passif. En tant qu’assureurs vie, nous y avons été particulièrement attentifs depuis le lancement, dès 2021, de notre premier fonds de dette privée evergreen accessible aux particuliers. Les fonds qui ont souffert possédaient souvent des souscripteurs avec des caractéristiques trop homogènes. Si tous les souscripteurs ont les mêmes besoins en matière de liquidité au même moment, cela crée une contrainte forte sur la liquidité. Diversifier la base de souscripteurs est ainsi crucial.

Thierry Vallière : Nous n’avons pas encore lancé de fonds dédié aux particuliers sur le crédit privé, mais à ce stade de notre réflexion, il nous semble important de souligner deux points. D’abord, le co-investissement de fonds semi-liquides avec des fonds institutionnels fermés, sans les mêmes contraintes de liquidité, nécessite en cas d’événement de crédit de gérer de possibles divergences d’intérêts. Seuls des acteurs dotés d’une vraie profondeur financière peuvent gérer cette difficulté. En deuxième lieu, l’arrivée de capitaux significatifs de la part d’une clientèle de particuliers peut avoir des effets sur les structures financières et donc sur les spreads. Ces deux points doivent faire l’objet d’une surveillance.

Hamza Filali : J’ajouterai un bémol par rapport à la consolidation et à la croissance des encours dans le secteur : l’Europe est complexe (multiplicité de pays, de langues, de législations et de pratiques…). L’investissement en capital privé, notamment en Europe, reste un métier local. Il est nécessaire d’adapter les structures de capital, le risque et les termes aux secteurs et aux pays dans lesquels les opérations sont menées. Certains gros acteurs ont voulu investir en Europe depuis les Etats-Unis et à travers des fonds globaux ; cette approche ne constitue pas, selon nous, un gage de qualité pour les investisseurs. Nous avons fait le choix, chez Morgan Stanley, de mettre en place un fonds européen dédié (plutôt qu’un fonds global investi depuis les Etats-Unis) et de recruter des équipes locales afin d’assurer un alignement d’intérêts plus proche avec les investisseurs et une traçabilité de nos opérations.

Roger Caniard : Nous constatons effectivement que des acteurs américains se retrouvent en difficulté en Europe par manque de connaissance locale. Il s’agit d’un risque d’antisélection, les acteurs ne connaissant pas le marché, ils sont conduits à investir dans les actifs délaissés par les acteurs locaux. Sur nos produits, nous n’avons pas fait le choix de retenir des fonds semi-liquides. Nous privilégions les structures du type fonds professionnels spécialisés (FPS) ou ELTIF purs sur le direct lending, la mezzanine ou l’unitranche. Nous gardons 15 % de cash dans les portefeuilles systématiquement par prudence pour nos assurés : cela pèse sur le rendement, mais cela donne aussi un coussin de liquidité en cas de rachats. Nous modélisons les flux (coupons, remboursements) et, en dernier ressort, l’assureur peut reprendre des actifs ; mais encore faut-il qu’ils soient valorisés au bon prix. En tant qu’assureurs vie, nous avons tiré une leçon des difficultés rencontrées depuis quelques années par les SCPI : des valorisations inadaptées ont contraint des assureurs à des reprises sur leur bilan à des niveaux trop élevés. De ce fait, nous considérons qu’il faut renforcer les contrôles de valorisation. A mon avis, les compagnies d’assurances vont imposer une pression croissante pour obtenir des valorisations indépendantes réalisées par des tiers spécialisés sur les actifs en portefeuille.

Hamza Filali : Bonne nouvelle : c’est déjà le cas chez nous. Chaque trimestre, 25 % du portefeuille est valorisé par un cabinet tiers spécialisé, de sorte que l’ensemble du portefeuille est revu de manière indépendante sur l’année. Concernant la clientèle visée par nos fonds semi-liquides : nous ciblons une base plus large (CGP, banques privées, etc.). Notre produit vise un rendement intéressant, pour un profil de risque limité type dette senior, et l’option d’une liquidité trimestrielle assurée via la génération d’intérêts, le levier et une poche de 10 à 20 % du portefeuille investi dans de la TLB/broadly syndicated loans large cap mobilisable en secondaire. C’est l’ingénierie que nous appliquons depuis plusieurs années aux Etats-Unis sans jamais avoir eu besoin de mettre en place des restrictions sur les sorties.

Thierry Vallière : Sur la valorisation, nous réfléchissons à un recours plus systématique à des valorisateurs externes selon les stratégies.

L’intégration des critères ESG est-elle toujours d’actualité ?

Rafael Torres : L’intégration des critères ESG est indispensable pour les investisseurs institutionnels et pour les distributeurs. Les compagnies d’assurances par exemple ne référencent que des fonds répondant au minimum à la catégorie 8 du règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation). Nous essayons dans la mesure du possible d’utiliser des indicateurs de performance ESG et d’adapter la marge d’intérêt prélevée en fonction de l’atteinte d’objectifs. Il est vrai que ce type de démarche n’est pas symétrique, les entreprises ne sont pas pénalisées lorsqu’elles ne parviennent pas à atteindre les objectifs ESG. Nous nous appuyons plutôt sur une démarche positive, il nous paraît en effet difficile de sanctionner les entreprises.

Thierry Vallière : Nous avons commencé en 2015 à intégrer les critères ESG à la dette privée à la demande d’un investisseur institutionnel. Aujourd’hui, cette procédure est standard : nous menons des due diligences ESG, nos analystes ESG sont intégrés aux équipes d’investissement et aux comités d’investissement. Pour donner quelques chiffres : environ 80 % de nos financements en 2024 comportaient une marge ajustable (à la hausse ou à la baisse) selon des indicateurs de performance ESG définis avec l’entreprise. Ils étaient suffisamment ambitieux pour avoir du sens, mais aussi atteignables. En revanche, nous n’avons pas de « covenant » purement ESG à ce stade chez nous susceptible de déclencher des cas de défaut.

Hamza Filali : Tous nos fonds gérés et distribués de direct lending en Europe relèvent de l’article 8 du règlement SFDR. Cette dimension est importante dans nos process et nous conduit ainsi parfois à renoncer à des dossiers. Récemment, elle nous a pénalisés car nous n’avons pas pu à ce titre investir dans le secteur de la Défense. L’intégration des critères ESG doit être prise avec sérieux et intégrer des ajustements sur les marges d’intérêt, du reporting, des critères de sélection et d’exclusion précis. En France/Pays-Bas/Scandinavie, le sujet reste très actuel, même s’il a pu reculer ailleurs dans le monde anglo-saxon. Par ailleurs, certains acteurs ont lancé des fonds article 9. Nous restons à ce stade prudents dans ce domaine. Pour parvenir à gérer un fonds article 9, les équipes de gestion doivent pouvoir disposer d’un vrai pouvoir d’influence dans l’entreprise. Ce type de gestion reste plus simple à gérer pour le capital-investissement. Nous faisons très attention à éviter tout greenwashing et calibrons nos promesses d’impact avec notre influence réelle en tant que prêteur.

Roger Caniard : L’intégration des critères ESG nous paraît indispensable car ils ont un impact sur les prix de cession. Les secteurs et/ou les entreprises qui sont en retard dans l’adoption d’une politique socialement responsable (RSE) et/ou dans une politique climat, comme le transport routier qui est en retard dans son électrification, se vendent moins bien. Nous avons en revanche des réserves sur l’intégration d’indicateurs ESG dans les calculs des marges d’intérêt car elles ne fonctionnent souvent que dans un seul sens. Si l’entreprise fait bien, elle est récompensée et paye moins, mais l’inverse est plus rare. Et, dans les plans d’incitation des équipes dirigeantes, nous veillons à ce que les critères financiers demeurent majoritaires et exigeants, sans laisser 70 % à des objectifs extra-financiers plus faciles à atteindre. La rentabilité de nos investissements est primordiale.

Que pensez-vous des fonds « impact » en dette privée ?

Roger Caniard : Nous restons mesurés. Les fonds très thématiques (renouvelables, etc.) peuvent perdre le bénéfice de la diversification si les subventions/politiques évoluent. Nous n’avons rien contre, mais nous évitons la concentration sectorielle.

Rafael Torres : Les investisseurs recherchent de la diversification, ils ne sont pas enclins à investir dans des fonds thématiques. Il en va de même pour l’impact. Nous n’avons pas lancé de fonds de ce type car cela limite trop l’univers d’investissement.

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