La BCE semble avoir atteint son point d’équilibre, les scénarios de marché intègrent une longue phase de stabilité des taux et l’inflation se rapproche durablement des 2 %. Ce décor en apparence apaisé masque toutefois des défis de taille : désalignement croissant des grandes banques centrales, incertitudes politiques en France et en Europe, questionnements sur la soutenabilité des dettes publiques, resserrement des spreads bancaires européens hors France… Face à ces enjeux, les trésoriers et gérants monétaires réunis lors du Grand Débat d’Option Finance défendent une approche à la fois structurée et agile : diversification raisonnée des poches monétaires, suivi attentif des spreads, intégration des contraintes ISR, et maintien d’un noyau dur en monétaire très court pour garantir liquidité, lisibilité et résilience. Enfin, ils soulignent tous l’émergence et le développement rapide de nouvelles formes de distribution des fonds monétaires.
- Quelles sont vos anticipations en matière de politique des banques centrales ?
- Les gérants monétaires s’intéressent-ils à la politique de la Fed ?
- Maxime Mura, directeur de la gestion monétaire chez Ecofi
- Quel est l’impact sur vos investissements des difficultés politiques rencontrées en France ?
- Maël Menez, responsable de la gestion monétaire, Arkéa Asset Management
- Quels sont vos principaux objectifs de gestion ?
- Jonathan Galbrun, responsable de la salle des marchés – Safran et vice-président de la commission Placements – AFTE
- En tant que gérant, quels sont vos critères de différenciation ?
- Le label ISR est-il important pour les trésoriers et plus généralement les investisseurs en fonds monétaires ?
- Daniel Bernardo, co-responsable de la gestion monétaire OPC chez Ofi Invest Asset Management (AM)
- La collecte est-elle soutenue cette année, malgré la baisse des taux d’intérêt ?
- Comment ces plateformes interviennent-elles ?
- Les plateformes européennes semblent peiner à s’imposer, pourquoi selon vous ?
- Quelles sont les alternatives aux fonds monétaires ?
- En cette période de fin d’année, l’heure est aux perspectives, quelles sont les vôtres pour les prochains mois ?
Les intervenants :
- Daniel Bernardo, co-responsable de la gestion monétaire OPC chez Ofi Invest Asset Management (AM)
- Jonathan Galbrun, responsable de la salle des marchés, Safran et vice-président de la commission Placements, AFTE
- Maxime Mura, directeur de la gestion monétaire, Ecofi
- Maël Menez, responsable de la gestion monétaire, Arkéa Asset Management
Quelles sont vos anticipations en matière de politique des banques centrales ?
Daniel Bernardo, co-responsable de la gestion monétaire OPC chez Ofi Invest Asset Management : Nous avons aujourd’hui une bonne visibilité sur l’action de la BCE (Banque centrale européenne). Les métriques clés, notamment l’inflation, apparaissent maîtrisées autour de 2 %. Nos scénarios n’anticipent donc plus de mouvements sur les taux à très court terme en 2025 ni en 2026 : au mieux, à peine un dixième de point de base d’ici la réunion BCE du 29 octobre 2026. Le cycle de baisse par seuil de 25 points de base s’est achevé début juin ; depuis lors, c’est le statu quo. Cela oriente notre gestion monétaire vers un scénario de stabilité des taux, en phase avec les perspectives actuelles du marché. Nous anticipons une inflation autour de 2 % pour les deux à trois prochaines années ; tout comme la BCE qui reste « data-dépendante », nous sommes attentifs à l’évolution des données car l’environnement reste volatil : tensions commerciales, lisibilité incertaine de la politique tarifaire américaine, contexte géopolitique légèrement amélioré mais encore très fragile.
Jonathan Galbrun, responsable de la salle des marchés, Safran et vice-président de la commission Placements, AFTE : Côté trésorerie d’entreprise, l’enjeu en matière de taux d’intérêt concerne d’abord le placement du cash. Nous restons très liquides et sur des horizons courts, tout en mettant en place des structures qui nous permettent de figer des rendements lorsque les taux d’intérêt sont élevés. Nous suivons aussi de près les stratégies des autres banques centrales ainsi que l’évolution du change, en particulier la parité euro/dollar qui est cruciale pour une entreprise internationale comme la nôtre et pour de nombreux exportateurs (aéronautique, luxe, etc.). La hausse de l’euro face au dollar, dans un contexte de droits de douane plus élevés, pèse à la baisse sur l’inflation importée en zone euro, mais l’impact global reste limité ; nous n’anticipons pas, à ce stade, une franche baisse de l’inflation. Du point de vue de la gestion de notre trésorerie, nous avions allongé nos horizons de placement en privilégiant plutôt les taux fixes avec la hausse des taux engagée en 2022. Aujourd’hui, nous continuons d’anticiper davantage un risque à la baisse qu’à la hausse. Rappelons qu’en 2019, les taux directeurs de la BCE ressortaient à – 0,50 %. Certes, le monde a changé et nous ne reverrons probablement pas des taux à 0 %, mais un taux final à 2 % est-il pour autant tenable ? Cela n’est pas certain. Dans ce contexte, nous cherchons à garder une part fixe à moyen terme à deux ou trois ans, tout en restant très courts sur une autre partie de notre poche de trésorerie. Celle-ci représente plusieurs milliards d’euros ces dernières années : c’est donc un sujet majeur pour nous.
Maxime Mura, directeur de la gestion monétaire, Ecofi : Notre scénario, présenté depuis le début de l’année 2025, se confirme avec un arrêt du cycle de baisse des taux de la Banque centrale européenne (BCE) sur le niveau symbolique de 2 %. Nous n’avons jamais eu de scénario de « franche baisse » de l’inflation puisque nous anticipions un atterrissage en douceur proche de la cible de 2 %. Nous sommes donc en ligne avec la BCE qui a récemment confirmé ses projections d’inflation (1,9 % à l’horizon 2027) et cela malgré la hausse des droits de douane. Mario Draghi en avait rêvé et Christine Lagarde l’a fait ! Le marché confirme d’ailleurs cette prévision de stabilité prolongée si on se fie aux swaps ESTR, qui présentent une courbe quasi plate jusqu’au taux deux ans. Ces chiffres restent bien évidemment des estimations ; tout va dépendre du contexte économique et notamment du plan de relance budgétaire de l’Etat fédéral allemand.
Maël Menez, responsable de la gestion monétaire, Arkéa Asset Management : Je partage le diagnostic : le statu quo BCE depuis juin devrait probablement se prolonger jusqu’à fin juin 2026. S’il devait y avoir un mouvement, ce serait plutôt une baisse des taux d’intérêt à la fin du deuxième trimestre 2026. L’inflation évolue entre 1,9 % et 2 %, l’inflation sous-jacente est un peu au-dessus (à 2,3 %-2,4 %), avec quelques tensions dans les services, mais elle est sans commune mesure avec la période 2023-2024. Les facteurs inflationnistes (plans de relance, politique tarifaire, guerre commerciale) et déflationnistes (importations chinoises en hausse, demande intérieure atone, épargne élevée) se compensent. La croissance reste quant à elle plus résiliente qu’attendu. Ce qui est particulièrement intéressant à souligner, ce sont les divergences entre grandes banques centrales : la visibilité est faible sur la Fed (l’inflation est autour de 3 %, la croissance est solide, le marché du travail ralentit…), la Banque d’Angleterre affiche une inflation qui repart à la hausse et pratique pourtant des baisses de taux, et la Banque centrale du Japon (BoJ) entame une pause dans sa normalisation. Cette désynchronisation influence surtout la partie longue des courbes, moins la partie très courte.
Jonathan Galbrun : Cela faisait longtemps que nous n’avions pas connu un monde aussi décorrélé entre banques centrales. Je repense à 2019 et à l’avant-Covid dans le monde occidental dans son ensemble, les taux d’intérêt étaient à zéro, voire négatifs, l’inflation avait disparu, les politiques monétaires étaient accommodantes, il n’y avait plus de spreads, plus de rendement, le swap cinq ans était négatif en Europe… Ensuite, toutes les banques centrales ont remonté les taux en même temps face à la reprise post-Covid et à l’inflation. Désormais, on revient dans une zone de vraies divergences des dynamiques de croissance, les politiques tarifaires ayant des impacts hétérogènes. Pour les placements en euro, nous regardons naturellement la BCE, qui balise sa trajectoire depuis longtemps. Reste à voir si elle pourra la tenir : je la vois plus souvent décevoir à la baisse qu’à la hausse ! En revanche, ailleurs dans le monde, les points d’interrogation sont nombreux : sur l’inflation, sur la croissance, sur les marchés de l’emploi… Nous n’imaginons pas l’inflation retomber à zéro rapidement. En France, la grande question est politique. En Allemagne, il y a des interrogations sur le modèle économique à venir et sur un plan de relance annoncé. Est-ce que cela soutiendra suffisamment la croissance européenne ? L’inflation va-t-elle perdurer ? Y aura-t-il un choc énergétique ? Le conflit en Ukraine reste un bruit de fond inflationniste ; cela pourrait conduire la BCE à rester stoïque sur ses taux.
Daniel Bernardo : La BCE a pour objectif l’inflation, c’est sa priorité ; malgré tout, elle garde un œil sur la croissance. Du côté de la Fed, nous voyons bien, avec la pression exercée par le gouvernement de Donald Trump, qu’il existe un focus moins exclusif sur l’inflation et davantage sur le chômage et la croissance. Ce qui est intéressant, c’est cette divergence des politiques monétaires qui autrefois étaient plutôt synchronisées et donnaient même parfois l’impression d’une BCE plutôt suiveuse bien qu’indépendante. Aujourd’hui, les trajectoires sont vraiment distinctes du fait d’environnements économiques bien différents. La BCE a mené une baisse active de l’ensemble de ses taux directeurs et se situe autour d’un plancher de 2 % pour la facilité de dépôts, tandis que la Fed reste ancrée très haut, dans un corridor autour de 3,75-4 %, coincée avec une inflation proche de 3 % combinée à une pression économique (croissance, chômage…) et politique qui invite à aller plus vite dans la baisse des taux.
Les gérants monétaires s’intéressent-ils à la politique de la Fed ?
Daniel Bernardo : Nous observons l’évolution de la politique monétaire de la Fed car elle peut influencer la BCE, mais cela n’intervient pas directement côté gestion dans nos investissements au quotidien. La trésorerie que nous gérons en OPC et mandats est essentiellement en euro et majoritairement « vanille » (OPC monétaires, TCN).
Maël Menez : Vu la désynchronisation entre banques centrales, ce qui se passe à la Fed influence surtout les taux longs, disons au-delà de 3-4 ans, plus que sur les taux courts. En revanche, les spreads peuvent être impactés car beaucoup d’acteurs nord-américains viennent se financer en euro. Cela peut créer des biais et des opportunités liées à des variations de spreads via les swaps de change.
Daniel Bernardo : Dans la construction d’un fonds monétaire, l’allocation géographique est majoritairement, en France, au-delà de 50 % pour diverses raisons comme la profondeur statistique en BDF (Banque de France) et la liquidité plus forte ensuite, les investissements se situent en zone euro et dans les pays membres de l’OCDE. L’exposition directe aux Etats-Unis est très faible (1-2 %). Par ailleurs, l’extra-financier a modifié le champ d’intervention des gérants monétaires : nos standards en Europe ne sont pas ceux des Etats-Unis. Il y a quelques années, nous investissions davantage sur des banques américaines et canadiennes mais ces investissements sont désormais dépendants de la notation extra-financière et donc des politiques d’exclusion qui en découlent, ainsi que de l’utilisation des labels comme le label ISR français.
Maxime Mura, directeur de la gestion monétaire chez Ecofi
"Notre scénario, présenté depuis le début de l’année 2025, se confirme avec un arrêt du cycle de baisse des taux de la Banque centrale européenne (BCE) sur le niveau symbolique de 2 %."
Maxime est diplômé du master grande école de NEOMA Business School. Il est par ailleurs titulaire du CFA. Avant de rejoindre Ecofi, il était gérant OPCVM taux & crédit IG chez Swiss Life Asset Managers France, depuis 2018, où il a démontré sa capacité à générer des rendements solides et à gérer efficacement des portefeuilles d’actifs. Avec une solide expérience dans le secteur et une expertise reconnue, Maxime a rejoint Ecofi en tant que directeur de la gestion monétaire, et pilote notamment la gestion du fonds Ecofi Trésorerie, Sicav monétaire de référence d’Ecofi.
Données clés Ecofi
- Effectifs dans l’expertise trésorerie : 2 gérants monétaire + 2 analystes crédit
- Encours dans l’expertise trésorerie : 7,01 Md€ au 30/09/2025
- Collecte YTD en trésorerie : 265 M€ au 30/09/2025
- Performance de l’un des fonds phares : Ecofi Trésorerie, performance nette YTD : 1,91 % (2,55 % annualisé) au 30/09/2025.
- Philosophie d’investissement en quelques mots : Ecofi Trésorerie est une Sicav (OPCVM) monétaire euro gérée suivant les principes ISR et de la réglementation MMF. Le fonds est classé article 8 au sens de la réglementation SFDR et détient le label ISR. La rémunération du portefeuille est soit à taux fixe, soit indexée sur des références court terme (notamment €STR), soit ramenée à de telles références par l’utilisation de swaps pour les titres à taux fixe ou révisable.
Quel est l’impact sur vos investissements des difficultés politiques rencontrées en France ?
Maxime Mura : Il est nécessaire de rappeler la forte exposition à la France des fonds monétaires, notamment via des émetteurs financiers. Les encours émis par les grandes banques françaises sur le marché monétaire NEU CP avoisinent les 180 milliards d’euros. Pour nous, il est impensable de s’en passer malgré l’actualité politique. D’autant plus que le risque principal que l’on imagine est une dégradation de la notation des principales banques françaises, celles qui sont le plus corrélées à la notation de l’Etat français. Pour autant, je ne vois pas de risque de liquidité pour les fonds monétaires français. Les fondamentaux de ces institutions financières restent de très bonne facture. J’irai même plus loin en parlant d’opportunité d’investissement intéressante pour les fonds monétaires ; on a observé une petite prime sur les émetteurs français depuis juin 2024 (date de la dissolution et de l’instabilité gouvernementale qui s’en est suivie), mais elle est restée très contenue : signe que le risque à court terme est léger.
Maël Menez : Je partage cet avis : il n’y a pas de sujet majeur aujourd’hui sur la dette senior des banques françaises. Il peut même y avoir des opportunités. En ce qui nous concerne, nous avons légèrement raccourci la durée de vie moyenne sur nos lignes bancaires françaises pour nous repositionner en cas de hausse. A noter : l’épargne des ménages français reste élevée, la production de crédit demeure faible, les besoins de liquidité des banques ne sont donc pas élevés en ce moment. Nous avons enregistré un rebond de l’investissement des entreprises au troisième trimestre ; si le crédit redémarre, les banques pourraient alors avoir besoin d’un peu plus de liquidités. Les niveaux de financement sont de toute façon plus élevés qu’il y a cinq ans : avant-Covid, une banque française se finançait vers ESTR + 5/+ 10 points de base à un an ; depuis la hausse des taux en 2022, le marché s’est normalisé autour de ESTR + 30 points de base soit le même ordre de grandeur que l’Espagne ou l’Italie.
Daniel Bernardo : Les fonds monétaires suivent la structure du marché. Selon les données de la Banque de France : 60-70 % des émissions sur les segments courts de la courbe proviennent du secteur bancaire ; 15-20 % des corporates ; et 6-10 % des émetteurs parapublics. Les rendements offerts par le bancaire déterminent donc une grande partie de la performance des fonds. Quand un fonds présente une répartition géographique avec plus de 50 % France, cela reflète surtout le poids des bancaires françaises. Malgré les tensions politiques, le spread à un an s’est maintenu autour d’ESTR + 30 points de base environ, et cela depuis décembre 2023. Il n’y a pas eu d’écartement notable alors que nous aurions pu le craindre au regard des difficultés et des évolutions défavorables des notations de la France. Cette absence de tension soutient les rendements des fonds monétaires. En pratique, nous intervenons sur le bancaire surtout sur des maturités éloignées (autour de 1 an), moins sur le segment 1-3 mois. Les banques émettent sur des maturités très courtes (1 à 3 jours) et longues (supérieures à 200 jours) ; les corporates se situent plutôt entre 10 et 100 jours. Les papiers très courts (overnight/Tom-Next) assurent la liquidité quotidienne des fonds, les maturités plus longues apportent le rendement. Rappelons-nous que même pendant la période Covid, les banques françaises sont restées présentes : les fourchettes (bid/ask) se sont écartées pendant les périodes de stress, mais les trésoreries bancaires ont toujours répondu « présentes ».
Jonathan Galbrun : Cela n’était pas le cas des corporates : en période de crise, la banque centrale a dû intervenir pour restaurer la liquidité sur ces émetteurs. D’où l’importance de l’offre bancaire et des niveaux de spread pour la performance des fonds. Je peux d’ailleurs témoigner de ce phénomène. Au moment de la Covid, j’étais trésorier chez LVMH et à cette époque, l’entreprise rachetait Tiffany pour 16 milliards de dollars. Nous disposions de milliards à placer en attendant le closing, tout en devant lever à court terme. Il a fallu vérifier l’éligibilité de nos titres en collatéral auprès de la BCE (ratings, structure du groupe, etc.) pour pouvoir naviguer convenablement. Les contreparties financières savent se refinancer ; mais un corporate n’a pas accès au prêteur en dernier ressort qu’est la BCE – c’est une autre approche du financement court terme. Pour finir, la BCE a effectué son travail et le marché s’est débloqué assez vite. Plus récemment, chez Safran (émetteur court terme côté corporate, et plutôt placeur de cash), nous gardons un encours minimum sur le marché pour « suivre notre spread » sur le secondaire et être informés le jour où nous aurons besoin de lever des fonds pour des questions de saisonnalité de trésorerie comme des dividendes ou encore pour réaliser une acquisition. En la matière, le marché a changé : il y a quelques années, un corporate bien noté comme Safran plaçait sa dette court terme à + 5/+ 6 points de base ; aujourd’hui, la norme est plutôt aux alentours de 15 points de base sur des horizons courts. Dans nos relations avec les banques françaises (DAT, etc.), nous constatons qu’elles n’expriment pas un besoin excessif de cash, il n’y a pas de « chasse au cash », pas de rémunérations « hors normes », les spreads restent stables, y compris pour nous en tant que corporate français – très corrélés à l’Etat, rappelons que l’Etat est actionnaire de Safran. Nous n’avons pas ressenti de tensions particulières.
Maxime Mura : Pour synthétiser, en 2025, nous observons une stabilité des spreads sur les corporates et sur les financières françaises. En revanche, depuis deux ans, les bancaires hors France se sont resserrées (après les épisodes de faillite de Credit Suisse et de SVB aux Etats-Unis). Grâce à une accalmie politique, même les spreads sur les banques italiennes, espagnoles et nordiques se sont resserrés. Conséquence en termes d’allocation dans nos portefeuilles : en 2025, nous avons réalloué un peu plus d’actifs vers les corporates, qui étaient restés stables, alors qu’auparavant, nous privilégiions l’offre de papier bancaire qui était très abondante. Nous sommes passés d’une large surpondération sur les financières à désormais un quasi-rééquilibrage entre les corporates et les financières. Comme il a été rappelé précédemment, sur un marché monétaire largement structuré par le bancaire, la question est vite celle de la pondération crédit versus les instruments monétaires.
Maël Menez : D’abord, il faut s’arrêter sur la lecture des instruments monétaires. Concrètement, le marché se décompose ainsi : sur le segment 0-3 mois, nous trouvons les instruments « corporate » qui paient environ ESTR + 15 points de base, un niveau souvent meilleur que celui des banques sur du très court terme et qui assure un échéancier naturel du portefeuille. Sur le segment 3-12 mois : on va chercher du bancaire, principalement sur 6-12 mois. Le gérant définira sa durée moyenne de placement sur cette période en fonction de ses convictions sur l’évolution des spreads et du couple rendement/risque. Cette grille est très stable depuis un an, avec des banques françaises payant un peu mieux que les espagnoles/italiennes, car davantage « dans le viseur » des marchés compte tenu du niveau d’endettement de l’Etat français. Sur le crédit, pour diversifier : il y a eu de belles fenêtres cette année (notamment en avril, après le « Liberation Day »), avec un léger écartement des spreads. Nous avons vu certains fonds monétaires monter jusqu’à 20-30 % de crédit, quand d’autres restaient à 0-10 %. Aujourd’hui, les spreads sont très bas ; le primaire est faible, ce qui a contribué à encore les resserrer. Or beaucoup d’émetteurs veulent se financer en début 2026 : nous pouvons envisager une normalisation (léger élargissement) des spreads de crédit, ce qui pèserait sur la valorisation des portefeuilles très chargés en crédit (20-30 %). D’où la diminution du risque pris en fin d’année. Point clé rarement souligné : la liquidité. C’est le critère n° 1 dans toutes les allocations. Ensuite, les styles divergent et la pondération en crédit est souvent un des points différenciants : certains cherchent davantage de performance, d’autres – comme nous – visent à limiter la volatilité et à privilégier la prédictibilité, en essayant de rester en permanence au-dessus de l’ESTR. Les approches peuvent donc diverger entre maisons, mais la liquidité reste le maître-mot.
Maël Menez, responsable de la gestion monétaire, Arkéa Asset Management
"Nous appartenons à un groupe aux fortes convictions, notre maison mère est une entreprise à mission. Il est évident que nous allions conserver le label V3."
Maël Menez commence sa carrière en 2009 chez Axa en tant qu’analyste d’investissement, avant de rejoindre en 2012 la Banque Palatine, où il développe une expertise en trésorerie et gestion actif-passif (ALM). De 2017 à 2018, il pilote les projets risques financiers du groupe BPCE, puis prend la responsabilité de la trésorerie et de l’ALM de Fortuneo entre 2019 et 2022. Depuis 2022, il est responsable de la gestion monétaire au sein d’Arkéa Asset Management, en charge notamment des fonds Arkéa Support Monétaire et Arkéa Crédit Court Terme.
Données clés Arkéa Asset Management
- Effectifs dans l’expertise trésorerie : 3 gérants au total sur trésorerie (1 fonds monétaires + 2 fonds hybrides crédit court terme) (2 gérants seniors + 1 gérant junior)
- Encours dans l’expertise trésorerie : 9,3 Md€ dont 7,6 Md€ en monétaire au 15/10/2025.
- Collecte YTD en trésorerie : + 1,2 Md€ au 21/10
- Performance de l’un des fonds phares : Arkéa Support Monétaire part SI (Fonds Monétaire), 2,44 % annualisé au 21/10/2025 soit ESTR + 17 pb.
- Philosophie d’investissement en quelques mots : la stratégie, axée sur le portage, vise à obtenir une performance stable supérieure à l’ESTR via un portefeuille liquide, diversifié et peu sensible au risque de taux. Le fonds combine une approche de portage et une gestion active du spread. Pour le portage, l’échéancier reste court, principalement de 0 à 1 an, en maximisant le rendement selon la courbe de l’émetteur tout en surveillant étroitement la qualité de crédit et la liquidité, sur le marché secondaire et via l’émetteur. Le risque de taux (WAM) est entièrement couvert pour limiter la volatilité, tandis que le risque de spread est piloté via la durée moyenne du portefeuille (WAL) ou par des ajustements sur des secteurs et des zones géographiques selon les opportunités de marché.
Quels sont vos principaux objectifs de gestion ?
Daniel Bernardo : Il existe deux catégories de fonds monétaires au sein de notre offre : les fonds monétaires court terme (CT) et les fonds monétaires standard ; chaque fonds possède ses contraintes et ses risques qui sont présentés dans les documents réglementaires, et permet d’introduire plus ou moins de risque pour chercher de la performance. De ce fait, il ne convient pas d’opposer liquidité et rendement : sur le bancaire à un an, nous pouvons chercher de la pente et donc du spread avec des ratings élevés tout en conservant un bon niveau de liquidité ; dans ce cas, rendement et liquidité se conjuguent. Sur les parties courtes, nous construisons un échéancier très fin avec des corporates ; nous pouvons abaisser un peu le rating pour densifier la diversification de l’échéancier et viser à obtenir des meilleures rémunérations autour de ESTR + 15 points de base (voire plus selon les signatures), tout en conservant des tombées régulières. Dans notre gamme monétaire, les horizons de placement sont de l’ordre de 1-3 jours pour le fonds court terme et de six mois pour notre fonds standard le plus long. Nous mettons en œuvre des stratégies différentes qui visent à rechercher un peu plus de rendement (moins d’exigence de liquidité au jour le jour) sur les fonds standard alors que, sur les fonds court terme, nous privilégions une forte densité de tombées sur les parties courtes pour nourrir le fonds sans devoir être contraints de vendre trop de papier en cas de mouvements négatifs sur le passif.
Maël Menez : Mon propos n’était pas d’opposer performance et risque, mais de souligner la volatilité : les instruments monétaires sont structurellement plus stables que le crédit. Ajouter du crédit, c’est accepter un peu plus de volatilité, il s’agit d’un choix maison. Il y a des périodes où les deux rémunèrent de la même façon, d’autres où le crédit paie moins que le monétaire (la question ne se pose alors pas), et des périodes – comme cette année – où le crédit a mieux payé et a bonifié les performances des fonds qui en ont pris davantage. Notre philosophie consiste à éviter la course aux étoiles, à garder notre cap quelle que soit la tendance. Nous ne possédons pas une large gamme de fonds monétaires (plutôt un fonds flagship), nous avons préféré développer une offre de trésorerie globale avec des fonds à obligations court terme et des fonds structurés « cash-equivalent » pour répondre aux différents horizons de placement.
Daniel Bernardo : Nous maintenons, sur chaque fonds monétaire court terme ou standard, une poche obligataire plus ou moins importante car, en période de stress, nous constatons que parfois la liquidité sur l’obligataire est meilleure que celle de certains NEU CP/Euro-CP. Certaines lignes corporate ont des encours enregistrés en BDF assez faibles (compris entre 200 et 400 millions d’euros), les cessions de ce type d’émetteurs peuvent être plus difficiles en période de stress. Les émissions obligataires peuvent être de l’ordre de 2 milliards d’euros, les ventes sont donc plus aisées. D’où des arbitrages fréquents : entre NEU CP primaire et obligataire secondaire. Si la prime est de plusieurs points de base en faveur de l’obligataire, nous allongeons la maturité pour capter cette liquidité et ce rendement potentiels.
Jonathan Galbrun : Notre gestion de trésorerie s’articule autour de la contrainte « cash & cash-equivalent » pour des raisons comptables. Concrètement, avec plusieurs milliards d’euros de trésorerie, nous savons qu’une partie ne sera pas décaissée immédiatement : nous pouvons donc l’allouer à des solutions de placement avec des horizons un peu plus longs, tandis qu’une autre poche reste au jour le jour très liquide. Sur ce dernier segment, nous ne voulons pas de volatilité et nous privilégions la sécurité au détriment du rendement. Entre les deux, nous mettons un volant sur des supports plus longs (y compris des produits « cash-equivalent ») qui exigent de rester investi quelques semaines à quelques mois pour améliorer le rendement. Autre contrainte : les ratios d’emprise sur les fonds, qui nous poussent à diversifier les supports et les gérants. En termes de performance, sur les poches très liquides, les différences entre les fonds sont faibles. Avec le resserrement des spreads, si l’on reste strictement monétaire, les rendements courants convergent et l’écart entre stratégies est limité finalement.
Jonathan Galbrun, responsable de la salle des marchés – Safran et vice-président de la commission Placements – AFTE
"Avec l’absence de visibilité macro (tarifs, secteurs chahutés comme luxe/vins-spiritueux, automobile en transition, concurrence chinoise), beaucoup préfèrent rester courts, ce qui bénéficie potentiellement aux fonds monétaires."
Diplômé de l’université Paris-Dauphine en banque d’investissement et de marchés (2012), Jonathan Galbrun est un professionnel de la finance internationale fort de près de quinze ans d’expérience. Il est responsable de la salle des marchés de Safran depuis 2021, en charge de la gestion des risques financiers (FX, taux, matières premières), de la liquidité et du financement court terme du groupe. Il a auparavant travaillé six ans chez LVMH au front-office, où il a notamment supervisé la couverture de l’acquisition de Tiffany & Co. (2021), après avoir débuté sa carrière chez Société Générale CIB à Paris et Tokyo en tant que trader sur produits de taux et notes structurées.
Safran données clés
- Chiffres d’affaires du groupe en 2024 : 27,3 milliards € en 2024 – 100k collaborateurs
- Encours de trésorerie et équivalent de trésorerie à fin juin 2025 (données publiques bilan consolidé) : 6,7 milliards d’euros
AFTE données clés
- L’Association française des trésoriers d’entreprise est l’association de référence des professionnels de la finance opérant dans la gestion de la trésorerie, le financement et les risques financiers de l’entreprise. Avec plus de 150 manifestations professionnelles par an dont « Les Journées de l’AFTE », ses publications, son centre de formation et ses échanges avec le monde universitaire, elle agit pour maintenir et renforcer l’expertise de ses membres et les accompagner dans la transformation du métier de trésorier. Sur le plan institutionnel, l’AFTE défend et promeut les intérêts de la profession auprès des instances de représentation, de régulation et de contrôle nationales et européennes.
lChiffres clés : plus de 1 700 adhérents issus de 1 000 entreprises – 9 délégations régionales – 150 manifestations nationales et régionales –15 commissions – 70 formations.
En tant que gérant, quels sont vos critères de différenciation ?
Maxime Mura : Chez Ecofi, société de gestion 100 % engagée et entreprise à mission, au-delà d’objectifs de performance élevés, nous accordons une attention particulière à l’ISR. Nous excluons, entre autres, les paradis fiscaux et les pays hors OCDE, en cohérence avec notre méthodologie propriétaire d’analyse extra-financière appelée Prisme. C’est un point différenciant par rapport à nos concurrents. En outre, le label ISR a été renouvelé en avril 2025 dans sa nouvelle version V3 pour l’ensemble de notre gamme de fonds monétaires.
Daniel Bernardo : Chez Ofi Invest Asset Management, nous excluons de longue date les banques exotiques (Qatar, Chine, Dubaï/Moyen-Orient, etc.) ainsi que les titrisations – pas seulement pour satisfaire à nos contraintes ESG, mais aussi pour rester le plus possible « vanille ». Notre portefeuille est concentré sur la France et plus généralement la zone euro et les pays membres de l’OCDE.
Jonathan Galbrun : Les investisseurs sont de plus en plus sensibles à ces sujets. La géopolitique (depuis la Russie, etc.) conduit à éviter des noms susceptibles d’être demain dans le viseur pour ne pas prendre le risque de désinvestissements forcés. C’est un réel critère pour les investisseurs.
Daniel Bernardo : Notre différenciation, outre les stratégies de gestion que nous mettons en œuvre, réside dans notre volonté de proposer une gamme monétaire dont tous les fonds bénéficient du label ISR dans sa dernière version (V3).
Maxime Mura : Chez Ecofi, il n’y a pas eu de débat. Notre process de gestion et notre sélection des entreprises à intégrer à nos portefeuilles étaient déjà au-delà des exigences du label, le fonds cochait la version 3 dès l’an dernier. Nous n’avons pas eu besoin d’ajuster notre process pour être conformes à cette nouvelle version. Ainsi, aucune position n’a dû être cédée et donc nos investisseurs n’ont pas accusé d’impact financier.
Maël Menez : Nous appartenons aussi à un groupe aux fortes convictions, notre maison mère est une entreprise à mission. Il est évident que nous allions conserver le label V3. La vraie nouveauté est technique : il a fallu redéfinir l’univers et intégrer des mesures de correction des biais, monter en charge sur les données ESG (la V3 étant plus exigeante en la matière que la V2) ; en matière d’exclusions, en revanche, il n’y a pas eu de changements. La sélectivité est portée à 25 % cette année et à 30 % l’an prochain. Le label dans sa V3 est plus contraignant, mais à ce titre il est différenciant.
Le label ISR est-il important pour les trésoriers et plus généralement les investisseurs en fonds monétaires ?
Jonathan Galbrun : Dans notre écosystème (trésoreries de corporate, AFTE), la fenêtre où les corporates voulaient intégrer leur politique ESG à l’ensemble des fonctions jusqu’à la trésorerie a été courte. Le sujet est moins central aujourd’hui. A terme, la plupart des fonds monétaires seront labellisés de toute façon. Pour nous, l’ESG reste important également sous un angle financier (géopolitique, risques), mais il n’y a pas un impératif à être « plus vert que vert » dans nos placements. Nous le regardons comme un élément supplémentaire important, toute chose égale par ailleurs.
Maël Menez : Chez les institutionnels, le label est important. Chez les corporates, le sentiment est en effet partagé : certains n’y voient aucun intérêt (voire craignent une perte de performance), d’autres y tiennent selon leurs engagements de groupe. Dans ce cas, le label ISR dans sa troisième version apporte un gage de rigueur.
Jonathan Galbrun : Quand l’ESG descend jusqu’à la trésorerie, cela relève de l’ADN de l’entreprise – pas d’un affichage. Même la défense est revenue au sein de l’ESG, des fonds qui excluaient le secteur ont changé rapidement de position. Chez Safran, bien que l’activité défense ne soit pas la principale contributrice au chiffre d’affaires, une fois que nous avions été étiquetés dans ce secteur, nous pouvions être exclus de certains fonds ; désormais, nous entendons qu’ils reviennent.
Maxime Mura : Pour Ecofi, le label ISR reste essentiel et son évolution vers une version plus exigeante va dans le bon sens. Il sera d’autant plus crédible aux yeux des épargnants et face aux autres labels en Europe. Enfin, les risques de greenwashing s’en trouveront réduits.
Daniel Bernardo : En effet, le label ISR dans sa version V3 a changé la donne car il s’est avéré plus exigeant (exclusions plus larges portées de 20 % à 30 %, passage en best-in-universe contre best-in-class, suivi d’indicateurs PAI…), ce qui a découragé certains acteurs. Nous avons fait le choix de conserver une gamme monétaire labellisée et nos chiffres de collecte nous confortent en ce sens.
Daniel Bernardo, co-responsable de la gestion monétaire OPC chez Ofi Invest Asset Management (AM)
"En 2026, les mêmes problématiques qu’en 2025 demeurent (la dette de la France, la géopolitique…). La présidence de Donald Trump ne fait que débuter ; cela impose donc, selon nous, une approche très « data-dépendante. »"
En 2008, Daniel rejoint OFI Asset Management, devenu Ofi Invest AM en 2022, en tant que gérant monétaire, avec pour missions la gestion et le développement de la gamme monétaire. Daniel Bernardo était auparavant trésorier gérant chez OFIVM qu’il a rejoint en 1998. Daniel a commencé sa carrière comme assistant sales sur les marchés taux/crédit au Crédit Lyonnais et à la Société Générale. Il possède un DESS en banque finance et négoce international (Université de Bordeaux).
Ofi Invest Asset Management – Données clés au 30/06/2025
- Effectifs dans la gestion monétaire : 1 directeur (taux, monétaire & solutions de trésorerie), 3 gérants monétaire, 13 analystes crédit, 15 analystes ESG.
- Encours dans la gestion monétaire : 16,06 milliards d’euros
- Collecte nette sur les fonds monétaires : 3,11 milliards d’euros
- Philosophie de gestion : Ofi Invest Asset Management propose une gamme de fonds monétaires qui permettent aux investisseurs de gérer leur trésorerie en fonction de leurs besoins en liquidités et de leurs objectifs de performance. Elle est composée de fonds de type court terme et standard. Cette gamme est marquée par une gestion de conviction, qui s’appuie sur une analyse fondamentale des émetteurs, réalisée en étroite collaboration avec l’équipe d’analystes d’Ofi Invest Asset management. Elle est caractérisée par un positionnement marqué en matière de secteurs d’activité et de duration et suit un strict contrôle des risques. Les fonds composant la gamme monétaire sont tous labellisés ISR et intègrent donc une démarche d’analyse extra-financière réalisée par l’équipe ISR.
La collecte est-elle soutenue cette année, malgré la baisse des taux d’intérêt ?
Daniel Bernardo : 2025 est une belle année de collecte pour notre gamme monétaire. Malgré la baisse du taux ESTR, nous sommes actuellement autour des 3 milliards d’euros de souscriptions nettes. La nouveauté tient à l’origine des flux : au-delà des clients habituels, plusieurs asset managers de plus petite taille nous ont délégué des poches monétaires à travers des fonds dédiés ou spécifiques recherchant notamment notre infrastructure ISR (recherche, analyse, process label).
Maxime Mura : Excellente année 2025 également, avec plus d’un milliard d’euros de collecte en grande partie sur notre expertise court terme. La majeure partie des souscriptions est arrivée au deuxième trimestre – possiblement liées au sentiment de stabilisation des taux directeurs autour de 2 %. Les clients sont majoritairement institutionnels (ils représentent environ 50 % du passif), talonnés de près par les corporates. La bonne nouvelle pour nous, c’est la venue de nouveaux acteurs du côté de notre passif avec davantage de family offices qu’auparavant. Du côté des particuliers, la collecte relative est sensiblement moins forte par rapport à la période où les taux d’intérêt étaient à 4 %.
Maël Menez : Bonne collecte aussi en 2025 avec environ 1 milliard d’euros de souscriptions nettes sur l’année. Nous voyons apparaître une nouvelle clientèle : des PME qui s’adressent à nous via des plateformes (parfois adossées à de la blockchain) pour placer leur trésorerie en fonds monétaires. Les family offices sont un peu plus présents. Dans le contexte actuel en France, de grands groupes nous interrogent pour diversifier le risque bancaire et réallouer davantage vers les fonds monétaires. Le développement des plateformes devrait continuer de faciliter l’accès à cette classe d’actifs.
Comment ces plateformes interviennent-elles ?
Daniel Bernardo : L’accessibilité aux fonds monétaires passe de plus en plus par les plateformes et nous sommes référencés sur plusieurs d’entre elles pour répondre à la diversité des demandes. Concernant les sujets autour de la technologie blockchain et même plus largement sur des sujets comme les cryptomonnaies, nous avons mis en place un groupe de travail afin d’évaluer les cas d’usage pertinents pour notre société mais aussi plus spécifiquement, pour la gestion monétaire.
Maël Menez : Les clients et prospects nous demandent de plus en plus sur quelles plateformes nous sommes présents. Les sociétés de gestion doivent être présentes sur plusieurs plateformes pour capter les flux. Il y en a 5-6 sur la place dont certaines semblent avoir un peu d’avance. Nous pouvons citer Cachematrix, Mosaic, JPmoney, ou encore Iznes.
Jonathan Galbrun : Côté corporate, la multiplication des plateformes est un vrai sujet de ressources : l’idéal serait d’avoir une plateforme centralisée. Sur le NEU CP par exemple, l’absence d’un hub unique freine l’adoption de ces instruments via des plateformes, tous les émetteurs et les investisseurs n’y sont pas. Par ailleurs, le manque d’intégration front-to-back pèse : nous avons besoin de chaînes digitalisées et sécurisées jusqu’aux passages d’ordres et aux valeurs liquidatives. Côté collecte, pour un corporate, le fonds monétaire constitue la variable d’ajustement, après le compte bancaire. Les flux sont corrélés au besoin en fonds de roulement (BFR) et aux opérations ponctuelles (par exemple, les corporates vont décaisser lors d’acquisitions ou lors de la distribution de dividendes au deuxième trimestre, puis elles vont reconstituer au fil de l’année). Avec l’absence de visibilité macro (tarifs, secteurs chahutés comme luxe/vins-spiritueux, automobile en transition, concurrence chinoise), beaucoup préfèrent rester courts, ce qui bénéficie potentiellement aux fonds monétaires.
Les plateformes européennes semblent peiner à s’imposer, pourquoi selon vous ?
Daniel Bernardo : Face aux mastodontes américains, qui ont des moyens sans commune mesure, s’imposer demande du temps. Par ailleurs du côté des entreprises aussi, chacune possède sa plateforme de prédilection, il n’y a donc pas forcément de gagnant clairement identifié.
Jonathan Galbrun : C’est bien le souci : aucune plateforme n’a référencé tous les fonds à la souscription. Il est donc toujours nécessaire d’intégrer plusieurs plateformes. Le marché est fragmenté, et personne n’y gagne.
Maxime Mura : Trop d’intermédiaires, cela suppose des frais en plus. Sans consolidation, c’est le client final qui paie (via des rétrocessions ou des parts créées pour compenser, etc.). L’idéal serait un acteur indépendant des parties prenantes de ce marché comme peut l’être un Bloomberg pour l’intermédiation financière.
Jonathan Galbrun : La trésorerie reste une fonction support avec des équipes réduites, il faut faire simple et efficace. Tout le monde voudrait être ouvert à toutes les plateformes, mais il y a une contrainte de ressources : si le coût opérationnel est trop élevé pour un bénéfice marginal, nous renonçons.
Quelles sont les alternatives aux fonds monétaires ?
Daniel Bernardo : Les alternatives sont connues et, pour une trésorerie cash & cash-equivalent, il existe des placements bancaires qui permettent de figer un taux fixe sur un à trois ans tout en conservant des possibilités de rachats. Ces produits permettent effectivement de diversifier le profil de la trésorerie par rapport au monétaire. Toutefois, ils ont pour inconvénient de posséder une liquidité au jour le jour réduite. Différentes solutions cohabitent : tout dépend du degré de liquidité acceptable pour le souscripteur. Pour un projet à 6-12 mois, les dépôts à terme (DAT) peuvent être pertinents malgré une liquidité bien moindre. Les supports les plus liquides restent indéniablement les OPC monétaires qui bénéficient d’une liquidité quotidienne, d’une recherche de diversification du risque, et qui n’affichent pas de contrainte de rachat. C’est une flexibilité qui n’existe pas ailleurs.
En cette période de fin d’année, l’heure est aux perspectives, quelles sont les vôtres pour les prochains mois ?
Maxime Mura : Nous invitons les investisseurs à maintenir une allocation en monétaire : malgré la stabilité évoquée de la politique de la BCE, l’environnement reste incertain (géopolitique, climat des affaires, volatilité de certains dirigeants, parité EUR/USD…). Nous considérons que la courbe devrait se pentifier à travers une hausse des primes de terme sur la dette d’Etat à 10 ans, dans un contexte politique peu lisible en Europe et à l’international. En attendant d’y voir plus clair (et que les taux longs cessent de monter), rester investi sur des maturités courtes et des titres notés investment grade (IG) nous paraît judicieux. Le corporate IG est attractif en relatif et moins volatil que le souverain. Pour autant, notre scénario central n’intègre pas une crise de la dette, ou avec une probabilité très faible à notre horizon de travail (2026). Le risque d’un arrêt total du financement de la France dès l’année prochaine ressemble surtout à un scénario catastrophe.
Daniel Bernardo : En 2026, les mêmes problématiques qu’en 2025 demeurent (la dette de la France, la géopolitique…). La présidence de Donald Trump ne fait que débuter ; cela impose donc, selon nous, une approche très « data-dépendante ». En pratique, si les taux se stabilisent, les fonds monétaires devraient rester aux alentours de 2 % de rendement. Compte tenu de la liquidité et de la maîtrise du risque qui les caractérisent, cela nous semble toujours en faveur de la gestion monétaire dans le contexte actuel incertain.
Maël Menez : Le risque évoqué précédemment, de pentification de la courbe et d’un maintien de spreads très bas, est bien réel. Se repositionner dès maintenant sur des échéances plus longues en prenant le risque d’une hausse des spreads et des taux, c’est sans doute prématuré. Vu actuellement la liquidité, la stabilité de prix et un rendement à 2 %, le monétaire garde toute sa place en 2026. Après des années de taux négatifs ou nuls, un rendement à 2 % en absolu est confortable pour les corporates, le cash n’étant plus « taxé ».
Jonathan Galbrun : Notre point de vigilance relève de la politique de la BCE. Est-ce le moment de figer des taux sur 1-3 ans à travers des structures permettant d’ancrer des rendements autour de 2,30-2,50 %, plutôt que de rester très court en prenant le risque d’une baisse de – 25/– 50 points de base dans un an ? Nous suivrons l’inflation et la croissance en Europe ainsi que la dynamique américaine, qui donne encore largement le « la » en matière de géopolitique et d’économie. En conclusion : à ce stade, le monétaire reste l’outil le plus souple et lisible pour naviguer sur la période 2025-2026.