Le nouveau prix Nobel français en économie, Philippe Aghion, s’est fait connaître depuis de nombreuses années pour ses travaux consacrés aux problématiques de croissance et d’innovation. Des réflexions qui répondent aux préoccupations concernant la compétitivité de l’Europe.
Le prix Nobel d’économie a surpris Philippe Aghion, qui ne s’y attendait pas… du moins pas si vite, « pas avant 5-6 ans », a reconnu avec franchise le nouveau lauréat lors d’une conférence organisée au Collège de France, où il est professeur. Le prix, décerné également à l’Israélo-Américain Joel Mokyr et au Canadien Peter Howitt, vient récompenser leurs travaux respectifs sur l’impact des innovations technologiques sur la croissance, sujet qui a déjà rendu célèbre en France ce diplômé de Normale sup et de Harvard, dont la riche carrière universitaire s’est partagée entre la France, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
Si des travaux antérieurs avaient établi un lien entre croissance et accumulation du capital, la seconde ne pouvait toutefois à elle seule assurer la pérennité de la première, qui dépendait aussi du progrès technique. Se référant à la théorie de la « destruction créatrice » développée par Joseph Schumpeter, Philippe Aghion et Peter Howitt vont alors construire un nouveau paradigme fondé sur le fait que la croissance de long terme provient de la capacité d’innovation, elle-même liée à l’investissement d’entrepreneurs qui espèrent dégager des rendements de ces innovations. Mais les innovations ont aussi vocation, en vertu du fameux processus de destruction créatrice, à être remplacées par de nouvelles, même si les anciennes tendent à s’opposer à ce mouvement. « La croissance de l’Europe après la seconde guerre mondiale jusqu’au milieu des années 1980 résulte ainsi d’un rattrapage technologique par rapport aux Etats-Unis, souligne Philippe Aghion. Ensuite le PIB par tête a commencé à décliner car l'Europe n’a pas su investir dans les innovations de rupture. De même aux Etats-Unis, les Gafam, après avoir porté la croissance, sont devenus des groupes tentaculaires empêchant les autres entreprises innovantes de croître, ce qui risque d’inhiber le potentiel de croissance de l’IA. »
Le rapport Draghi, qui dresse un tableau des forces et faiblesses économiques de l’Europe et procède à un certain nombre de recommandations pour relancer sa compétitivité face aux mastodontes américain et chinois, s’inscrit à ce titre « dans le droit fil du paradigme schumpétérien », estime le nouveau prix Nobel. Celui-ci plaide notamment pour un renforcement de l’écosystème financier européen de l’innovation – l’offre de capital-risque étant insuffisante et les fonds de pension peu développés – pour la mise en place d’équivalents du Nasdaq et du Darpa (Defense Advanced Research Projects Agency)… Reconnaissant que la période actuelle se caractérisait par un « grand pessimisme », Philippe Aghion veut croire néanmoins à l’existence de « lueurs d’espoir : l’Europe compte beaucoup de grands scientifiques, elle se caractérise par des valeurs qui ont fondé son modèle social, son attachement à l’environnement… c’est un soft power qui reste majeur. Elle a les moyens de redevenir un pôle de développement dans le monde. Mais elle doit ajuster ses règles de fonctionnement et ses institutions lorsque celles-ci ne répondent plus aux enjeux actuels, qu’il s’agisse du budget ou de la politique de concurrence ». Un ajustement qui ne pourra toutefois s’effectuer sans un engagement fort de l’Allemagne et de la France : « Il est indispensable que la France puisse démontrer qu’elle peut retrouver une stabilité politique, faute de quoi elle n’arrivera pas à faire porter sa voix et à obtenir quoi que ce soit », estime à ce titre Philippe Aghion. Avec à la clé le risque de s’engager dans un processus d’autodestruction (peu) créatrice…