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Biodiversité : un assouplissement de la réglementation peut inciter les entreprises à relâcher leurs efforts

Publié le 2 décembre 2025 à 16h47

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

Aux Etats-Unis, la remise en cause par Donald Trump, lors de son premier mandat, des règles de protection de la biodiversité ont amené les entreprises à réduire leur effort d’investissement dans ce domaine, dans les Etats qui ne sont pas opposés à cet assouplissement.

L’attention des investisseurs de long terme pour les risques climatiques est désormais bien établie par les enquêtes, notamment celle de l’Af2i en France. Qu’en est-il des autres risques environnementaux, dont celui des atteintes potentielles aux milieux naturels et à la biodiversité en particulier ? Les Etats de par le monde ont encadré de façons très diverses ce risque multiforme et touchant potentiellement de nombreuses industries. Alors qu’en France, la réglementation s’est renforcée, elle a subi aux Etats-Unis les aléas négatifs lors du premier mandat de Donald Trump suivi du retour des Démocrates. L’administration Trump a modifié substantiellement à la baisse la réglementation ESA (Endangered Species Act) que l’administration suivante a ensuite restaurée. Plusieurs Etats américains s’étaient d’ailleurs opposés à la modification de la loi fédérale sous Trump, montrant les clivages politiques et géographiques entre autres sur ces questions. Quels ont été les effets du changement apportés à la loi ESA sur les investissements des entreprises américaines, en particulier celles qui sont exposées aux risques environnementaux ?

Dans son article intitulé « Biodiversity Regulatory Risk and Firm Investment », Keller Martinez Soliz, chercheuse de Toulouse, analyse les effets des évolutions des réglementations américaines protégeant la biodiversité sur les investissements des entreprises potentiellement exposées à ces risques de par leurs activités. En considérant les investissements d’environ 2 700 entreprises cotées pendant la période allant de 2010 à 2022, elle a pu étudier l’influence sur leurs capex des mesures prises par l’administration Trump en 2019 visant à considérablement limiter l’ESA, mesures qui ont été contestées par 17 Etats plus soucieux de la préservation de l’environnement. Dans ces Etats où les règles bien connues ont été défendues, l’impact de la décision fédérale n’est pas sensible alors que dans les autres Etats, l’investissement des entreprises les plus sujettes à nuire à la biodiversité s’est trouvé diminué d’environ 16 % en moyenne dans les trois années suivantes. La chercheuse interprète cette baisse comme une incitation à différer les investissements en raison d’une plus grande incertitude sur les règles environnementales, importantes pour les entreprises concernées. En analysant plus finement les raisons qui amènent ces entreprises à limiter leur investissement, elle note que celles-ci sont, davantage que les autres, établies à proximité de zones naturelles sensibles.

Un impact négatif sur les cours boursiers

La chercheuse montre par exemple que le comportement des entreprises du Maryland, qui a maintenu sa politique de défense de l’environnement, a été différent sur la période de celui des entreprises installées en Virginie voisine, Etat qui a fait planer le doute sur le devenir des réglementations ESA sur son territoire, alors que la distance des usines ne dépassait guère une cinquantaine de kilomètres. L’étude montre également que les annonces de l’administration Trump comme leur contestation par les 17 Etats ont eu un impact négatif sur les cours boursiers de l’ordre de 1,4 % le jour des annonces. Cette étude tend à montrer que les entreprises américaines ainsi que leurs valorisations sont influencées par les réglementations portant sur la biodiversité ainsi que par l’incertitude qui les entoure. Moins d’investissement et une moindre valorisation en seraient les conséquences.

Le risque environnemental est identifié depuis très longtemps aux Etats-Unis, en raison notamment de la réglementation ESA en place depuis les années 1980, et de nombreuses études ont montré que les entreprises conscientes de ce risque investissent et tentent, dans leur ensemble, de modifier leurs impacts. Cette étude montre de façon nouvelle que l’incertitude réglementaire peut également peser sur le comportement des entreprises, de leurs dirigeants ou de leurs actionnaires, en particulier dans les régions les plus riches en espaces naturels. L’Amérique est aujourd’hui très clivée politiquement et les entreprises le sont tout autant. Entre les investissements de certaines en fracking et l’attention des autres à la biodiversité, illustrée dans cette étude, il y a un monde.

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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