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Gouvernance : les administratrices ne se différencient pas vraiment des administrateurs
Contrairement à ce qui était parfois attendu, les administratrices ne portent pas plus d’attention au monde et ne sont pas moins attirées par le pouvoir que leurs collègues masculins.
Le comportement des individus ne manque pas de surprendre. Parce que l’on attribue par exemple aux femmes ou aux plus jeunes d’entre nous des attitudes qui, en moyenne, sont bien identifiées, par exemple davantage d’universalisme, on pourrait s’attendre à ce que ces caractéristiques s’appliquent en toutes circonstances et pour tous les individus. Qu’en est-il précisément des comportements observés, par exemple, dans les débats des conseils d’administrations des entreprises ?
Lors du dernier congrès de l’Association française de finance (AFFI) ayant eu lieu fin mai à Dijon, Renée Adams, professeure de finance spécialiste des questions de genre de l’université d’Oxford, a fait une synthèse intéressante de plusieurs des travaux qu’elle a publiés sur le sujet depuis de nombreuses années. Cette féministe convaincue a voulu comparer les idées convenues sur l’attitude des administrateurs à l’épreuve des faits. Dans un article paru il y a une dizaine d’années dans le journal scientifique Management Science, elle a observé sur une population d’administrateurs partout dans le monde, avec un protocole employé communément par les experts en psychologie, les attitudes lors des votes des hommes et des femmes au regard de plusieurs critères, la préférence pour les actionnaires et le désir de pouvoir notamment.
Les résultats ne sont pas tout à fait conformes aux attentes : alors que dans la population générale, les femmes montrent davantage d’attention au monde (mesuré par l’universalisme) que les hommes, les administratrices sont plus soucieuses des intérêts des actionnaires que les autres administrateurs. De même, alors que les hommes sont, dans la population générale, davantage attirés par le pouvoir, les administratrices devancent leurs collègues masculins sur ce critère. Dans les deux analyses, les résultats établis sur un grand nombre de situations sont bien statistiquement significatifs ! De même, dans des travaux non encore publiés, la chercheuse compare les comportements d’étudiants de l’université d’Oxford à ceux d’administrateurs. Bien qu’on prête aux jeunes une plus grande ouverture sur le monde, leur comportement (simulé) d’administrateurs ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de leurs anciens.
Se méfier des moyennes
Ces exemples, pris parmi d’autres, illustrent bien le biais d’attribution que l’esprit tend à systématiquement appliquer sur ces sujets de comportement. C’est pourtant oublier que les attitudes moyennes ne décrivent pas ce qui peut parfois se passer en pratique. Parmi les femmes choisies pour devenir administratrices, cette étude montre qu’il s’en trouve bien plus ayant des comportements différents de la moyenne. Le processus de sélection, la décision d’accepter un tel rôle apparaissent ainsi comme des révélateurs d’attitudes particulières au point de surpasser ce qu’en moyenne on peut attendre d’administrateurs masculins. Le besoin d’affirmer son appartenance au groupe, voire de n’être pas suspectée d’un excès de penchant féminin, a peut-être pu jouer également.
La vie courante nous amène très fréquemment à de telles méprises. La première leçon est sans doute qu’il faut se méfier des moyennes. Quand la variabilité, mesurée par les distributions statistiques, est importante, le risque de parier sur un comportement moyen est conséquent. En outre, la moyenne sur un critère, pour pertinente qu’elle soit, ne saurait renseigner sur un autre critère. Ces pièges, fréquents quand on n’y prête pas suffisamment attention, sont la cause de bien des bévues, au-delà de cette étude des genres dans les conseils d’administration ! La deuxième leçon est que les stéréotypes sont bien souvent sources d’erreurs. N’attribue-t-on pas, par exemple, à nos voisins Allemands une capacité supérieure d’organisation ? Les retards des trains sur le réseau outre-Rhin ont de quoi faire sérieusement douter le voyageur. Stéréotypes ou moyennes semblent être des résumés commodes mais qui, utilisés de façon systématique ou paresseuse, peuvent apporter bien des déconvenues.
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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