La préférence des gouvernements européens pour le soutien à court terme de la consommation

Publié le 14 novembre 2025 à 12h32

Patrick Artus    Temps de lecture 5 minutes

De nombreuses caractéristiques des politiques économiques menées en Europe – grande taille des régimes de protection sociale, sévère politique de concurrence, forte protection de l’emploi… – montrent que les gouvernements européens privilégient le soutien à court terme de la consommation par rapport à d’autres objectifs de la politique économique.

Les dépenses publiques de santé et de protection sociale atteignent 26,5 % du PIB dans l’Union européenne et 9 % du PIB aux Etats-Unis. Le faible poids de ces dépenses aux Etats-Unis révèle le peu de souci de soutenir la consommation hors dépenses de santé, à la différence du comportement des gouvernements observé en Europe. De plus, aux Etats-Unis, les dépenses de santé sont essentiellement des dépenses à la charge des ménages (qui atteignent 14,7 % du PIB), ce qui réduit leur capacité à acheter d’autres biens.

On voit ensuite que l’Union européenne a fait depuis longtemps le choix du libre-échange, sur lequel elle revient difficilement et partiellement aujourd’hui (par exemple en mettant en place des droits de douane sur les voitures chinoises importées en Europe). Ce choix du libre-échange conduit à des pertes de parts de marché des productions européennes par rapport aux productions des autres pays : le poids de la valeur ajoutée manufacturière en volume dans le PIB de la zone euro est passé de 18,5 % au premier trimestre 2002 à 15,9 % au deuxième trimestre 2025. Ainsi, les importations de biens de la zone euro depuis la Chine sont passées de 60 milliards de dollars en rythme annuel au début de 2002 à 600 milliards de dollars, toujours en rythme annuel. Cette hausse du recours de l’Europe aux importations, particulièrement depuis les pays à coûts salariaux faibles, fait apparaître une baisse des prix favorable au consommateur européen.

«Les politiques de soutien de la consommation présentent des effets négatifs redoutables, car elles aboutissent, à long terme, à la désindustrialisation, au sous-investissement global, notamment dans les nouvelles technologies, et à une faible progression de la productivité.»

Par ailleurs, l’Union européenne pratique une politique stricte de la concurrence, alors qu’il est bien documenté que la rigueur de « l’antitrust » s’est affaiblie aux Etats-Unis. Cette politique rigoureuse de la concurrence a fait apparaître une stabilité à long terme des marges bénéficiaires des entreprises en Europe, alors que celles des entreprises américaines ont fortement augmenté, d’où une moindre hausse des prix en Europe favorable au consommateur.

Enfin, la protection de l’emploi est beaucoup plus forte en Europe qu’aux Etats-Unis. L’indice de rigueur de la réglementation en matière de licenciements (qui va de 0 à 6) atteint 1,3 aux Etats-Unis, 2,7 en France, 2,9 en Italie, 2,4 en Espagne et 2,3 en Allemagne. Cette forte protection de l’emploi en Europe vise à réduire le risque de licenciement et donc à réduire aussi l’épargne de précaution qui pourrait en résulter.

Au total, on voit que les politiques économiques (taille de la protection sociale, libre-échange et délocalisation, politique de la concurrence et protection de l’emploi) menées en Europe ont toutes comme objectif de soutenir la consommation.

Des effets pervers à long terme 

A moyen terme, ces diverses politiques de soutien de la consommation à court terme ont abouti à dégrader fortement la situation économique de la zone euro.

Tout d’abord, il y a eu désindustrialisation, comme on l’a vu plus haut (le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB recule de 18,5 % à 15,9 % entre 2002 et 2025) puisque, dans une situation de libre-échange, importer depuis les pays à coûts salariaux faibles est moins coûteux que produire domestiquement. Ensuite, le secteur des nouvelles technologies s’est peu développé avec un investissement (en incluant les logiciels) de 2,3 % du PIB dans la zone euro, contre 3,8 % du PIB aux Etats-Unis en 2023. L’Europe souffre également de sa forte protection de l’emploi qui fige ce dernier dans des entreprises existantes et décourage la création de start-up, alors qu’une moins forte protection des personnes, comme on le voit par exemple au Danemark, contribuerait à une rotation rapide du marché du travail et à un déplacement de l’emploi vers les entreprises les plus modernes et les plus dynamiques.

L’Europe souffre aussi d’une pression fiscale élevée (41 % du PIB en moyenne, contre 25 % aux Etats-Unis), ce qui décourage les entrepreneurs, et de la concentration des dépenses publiques vers la protection sociale aux dépens du soutien aux investissements technologiques.

Enfin, dernier effet pervers des politiques soutenant la consommation à court terme menées en Europe, la faible progression de la productivité, particulièrement depuis une dizaine d’années. De 2017 à 2025, la productivité par tête en Europe n’a pas du tout augmenté, alors qu’elle a progressé de 2 % par an aux Etats-Unis. Cette stagnation de la productivité en Europe vient du sous-développement des nouvelles technologies, du sous-investissement.

Un soutien à la consommation à court terme mais un frein à long terme

Les politiques économiques menées en Europe soutiennent certes la consommation à court terme (en distribuant des prestations sociales importantes, en faisant baisser les prix avec des importations de forte taille depuis des pays à coûts salariaux faibles, en empêchant les positions de monopole, en protégeant les salariés du risque de chômage), mais elles dépriment la consommation à long terme, en raison de la faiblesse des gains de productivité liée au sous-investissement, du sous-développement des secteurs les plus productifs, de la concentration des dépenses publiques sur la protection sociale et des freins mis à la constitution de grands groupes. Il faudrait donc que l’Europe ait une vision prospective des effets des politiques économiques qu’elle met en place et non pas une vision statique.

Patrick Artus Membre du Cercle des Economistes

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.

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