Pourquoi l’ajustement budgétaire nécessaire en France ne sera pas réalisé
La France devra mettre en place une réduction forte des dépenses publiques de transferts sociaux et une augmentation de la pression fiscale si elle veut stabiliser son taux d’endettement public, réaliser les investissements supplémentaires préconisés dans le rapport Draghi et accroître, comme il est prévu, ses dépenses militaires. Commençons par évaluer l’ampleur de l’ajustement budgétaire qui serait nécessaire.
La France a en 2025 un déficit budgétaire de 5,4 % du PIB et un déficit budgétaire primaire (hors paiements des intérêts sur la dette publique) de 3,2 % du PIB. On considère souvent que la stabilisation du taux d’endettement public (115,6 % du PIB aujourd’hui) nécessite de faire disparaître le déficit budgétaire primaire. Mais la situation est pire que cela puisque le taux d’intérêt à long terme (3,6 % pour le taux d’intérêt à 10 ans) est supérieur au taux de croissance nominale à long terme (environ 2,5 % – soit 1 % pour la croissance et 1,5 % pour la hausse des prix), ce qui pousse à la hausse le taux d’endettement public. Il faudrait en réalité dégager un excédent primaire de 1,1 % du PIB pour stabiliser le taux d’endettement public de la France, c’est-à-dire réduire le déficit public au total de 4,3 % du PIB par rapport à la situation de 2025.
«Entre les économies sur les dépenses et les hausses d’impôts, ce sont environ 230 milliards d’euros qu’il faudrait trouver, soit bien plus que les 44 milliards d’euros de réduction du déficit qui étaient prévus par le gouvernement de François Bayrou.»
Par ailleurs, le rapport Draghi montre qu’il faudrait que l’Union européenne (et donc la France) accroisse de 800 milliards d’euros (4,5 % du PIB de l’UE) ses investissements (dans la transition énergétique, dans le numérique, dans le financement des innovations de rupture, dans la formation) pour ne pas continuer à se faire distancer par les Etats-Unis, la moitié à la charge du secteur public, la moitié à la charge du secteur privé. Dans l’idéal, l’investissement public en France devrait donc progresser de 2,2 points de PIB. Enfin, les dépenses militaires (en 2025, 2 % du PIB en incluant les pensions) devraient passer à 3 % du PIB pour permettre à la France d’avoir une capacité de défense crédible.
Si on fait les additions, au total, le besoin d’amélioration des finances publiques en France est de 7,5 points de PIB (4,3 points pour passer à un excédent budgétaire primaire suffisant, 2,2 points pour financer la part publique des investissements suggérés par le rapport Draghi, 1 point pour accroître les dépenses militaires), ce qui permettrait de réaliser les investissements additionnels nécessaires et de stabiliser le taux d’endettement public. Ce sont donc environ 230 milliards d’euros qu’il faudrait trouver entre les économies sur les dépenses et les hausses d’impôts. Les 44 milliards d’euros de réduction du déficit qui étaient prévus par le gouvernement de F. Bayrou ne représentaient donc qu’une très faible part de l’effort nécessaire.
Est-ce possible ? Quand on compare les dépenses publiques en France (57,1 % du PIB) et dans l’ensemble de l’Union européenne (49,6 % du PIB), on voit que l’écart entre la France et les autres pays européens vient essentiellement des dépenses de prestations sociales, qui représentaient en 2024, 32,3 % du PIB en France contre 26,5 % du PIB dans l’ensemble de l’UE (soit une différence de 5,8 points de PIB), les dépenses militaires et les affaires économiques (subventions et aides de tous types) expliquant le reste de l’écart. A l’intérieur des prestations sociales, l’écart concernant les retraites (y compris les retraites du secteur public) et la santé est très important (les retraites représentent 2,7 points de PIB de plus en France que dans l’UE, les dépenses de santé 1,7 point de PIB).
Par ailleurs, quand on compare la pression fiscale, on voit qu’elle est de 5,6 points de PIB supérieure en France à celle de la moyenne des pays de l’UE (45,6 % du PIB contre 40 % du PIB).
Ceci nous incite à conclure qu’effectivement la probabilité que la France fasse l’ajustement budgétaire nécessaire est extrêmement faible. Geler (ne pas indexer sur les prix) l’ensemble des prestations sociales dans une situation d’inflation faible (autour de 1,5 % par an) rapporterait chaque année 0,5 point de PIB, 1,5 point de PIB par exemple au bout de trois ans.
Mettre en place la taxe Zucman (taxation à 2 % des patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, la taxe étant réduite par le montant des autres impôts payés) rapporterait au mieux 0,7 point de PIB. On peut donc penser d’une part que le taux d’endettement public va continuer à augmenter à moyen terme, d’autre part que les investissements suggérés par le rapport Draghi ne seront pas mis en place, ce qui condamnera la France à une croissance perpétuellement faible en l’absence, en particulier, des investissements suffisants dans la technologie.
Quelle sera l’issue à moyen ou long terme de cette situation ? Si la France conserve une croissance faible de sa productivité du travail, la croissance ne peut venir que de la hausse du taux d’emploi, avec une population en âge de travailler qui commence à reculer et la stagnation de la production ; la croissance du PIB restera donc faible et elle ne viendra pas accroître les recettes fiscales. Il faut donc se demander ce que sera la réaction des marchés financiers à une situation de hausse perpétuelle du taux d’endettement public. A court terme, le Trésor pourra toujours se financer (les récentes émissions d’OAT ont été sursouscrites dans un rapport de 2,35 par rapport au volume émis), mais en payant des taux d’intérêt croissants (ce qui par ailleurs augmentera l’excédent budgétaire primaire qu’il serait nécessaire de dégager pour stabiliser le taux d’endettement public).
Mais à plus long terme, il est malheureusement clair que les prêteurs s’inquiéteront, en particulier de l’orientation des dépenses publiques vers les dépenses de transferts sociaux et non vers des dépenses d’investissement d’avenir. Il viendra un moment où le Trésor français ne trouvera plus preneur pour ses émissions et devra se tourner vers la BCE. On sait que la BCE pourra alors utiliser le « Transmission Protection Instrument » pour acheter de la dette de la France mais ces achats seront évidemment soumis à des conditions d’amélioration de la situation des finances publiques, avec probablement une baisse significative de la générosité de la protection sociale.
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
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