L'analyse de Hans-Helmut Kotz

L'Allemagne, un modèle en panne ?

Publié le 15 novembre 2019 à 18h48

Hans-Helmut Kotz

La production dans le secteur automobile a diminué pour la première fois depuis la grande récession de 2008. Selon le FMI, cette chute est responsable pour plus d’un quart du ralentissement de la croissance mondiale. Elle s’explique essentiellement par le repli de la demande en Chine, lui-même lié au recul des avantages fiscaux à l’achat ainsi qu’à la limitation du crowdlending (plateformes de financement entre particuliers). Les conséquences ont été immédiates et tangibles en Allemagne, le secteur y est en pleine récession. La menace d’une hausse des droits de douane sur les importations américaines n’aide pas, et l’incertitude concernant les perspectives à moyen terme aggrave significativement la situation.

En termes de revenus comme d’emplois, l’automobile est le secteur phare de l’Allemagne. Il est profondément intégré dans la structure de production de l’économie. Quand le secteur va mal, les répercussions sont donc majeures, car beaucoup d’autres secteurs participent à la chaîne de valeur automobile. De plus, comme le processus d’outsourcing – et par là même de délocalisation – s’est intensifié depuis vingt-cinq ans, ces difficultés affectent également des partenaires et des sous-traitants dans toute une série de pays, surtout en Europe de l’Est.

Plus inquiétant encore, le secteur est caractéristique du modèle allemand : des entreprises hyperspécialisées, orientées vers le grand large (l’essentiel de leur chiffre d’affaires vient des exportations). De ce fait, ce qui a longtemps été un atout commence à devenir un désavantage. En mai dernier, déjà, le président français diagnostiquait que le modèle allemand serait en panne. Ces derniers mois, toute une série d’experts ont soutenu que la structure des produits ainsi que l’orientation géographique de la production allemande – axée surtout vers la Chine et les Etats-Unis – sont devenues des faiblesses. Cela ne fait aucun doute : l’Allemagne est exposée à des challenges structurels. C’est même le titre du rapport des experts économiques du gouvernement allemand – l’équivalent du Conseil d’analyse économique français – qui vient d’être publié.

Partant du constat selon lequel l’économie allemande est dans une phase de ralentissement, mais pas de récession, ce rapport souligne trois facteurs qui pèsent sur les perspectives de croissance : la dépendance de l’économie à l’exportation, et par là même aux conflits commerciaux ; les challenges de la digitalisation ; enfin, le changement climatique. Pour les experts, il n’est dès lors pas question de se lancer dans des dépenses budgétaires expansionnites. Mieux vaut laisser jouer, s’il y a besoin, les stabilisateurs automatiques, à condition, simplement, que le déficit structurel ne dépasse pas 0,35 %. Ce qu’il faut accentuer, en revanche, ce sont les politiques qui soutiennent l’investissement et la croissance.

Il est donc illusoire d’attendre une politique expansionniste de la part du gouvernement allemand. Une large majorité de l’opinion publique approuve un budget sain, sans trop de dettes («schwarze Null»). Néanmoins, des voix s’élèvent, en particulier chez les représentants des entreprises, pour proposer davantage d’investissements dans les infrastructures. Une lueur d’espoir pour les partenaires de l’Allemagne en Europe ? Peut-être. Si l’Allemagne va mal, cela aura des conséquences pour ses voisins. La «Schadenfreude», cette joie mauvaise que ces derniers peuvent éprouver face aux déboires allemands, aurait alors un goût amer. En revanche, ils bénéficieraient des investissements dans les infrastructures allemandes, selon des études de la Commission européenne.

Dans la seconde moitié des années 1990 – ainsi qu’au début des années 1980 – l’Allemagne était l’homme malade de l’Europe, un modèle en panne. On prédisait son déclin, inéluctable, en sous-estimant totalement la capacité d’ajustement du pays.

Cette réactivité du modèle allemand (voire nordique) est le résultat d’une coopération effective entre les entreprises, leurs salariés ainsi que les institutions publiques. L’exemple du Bade-Wurtemberg, région phare de l’automobile, en est une bonne illustration. Là, la récession est arrivée : les salariés réduisent leurs comptes d’heures supplémentaires, le temps de travail est réduit. Mais en même temps, les entreprises réagissent. Fortes d’un niveau élevé de compétences, elles réorientent leurs gammes de produits ainsi que leurs marchés. Elles ne se battent pas pour des positions qui sont dépassées, mais acceptent d’être cette idée de challenge structurel. Le modèle de «nation commerciale» sera probablement plus difficile à maintenir dans le futur. Le surplus de la balance courante, actuellement d’un peu plus de 6 %, qui en est l’illustration, n’est à ce titre plus soutenable dans la durée. 

Hans-Helmut Kotz Center for European Studies ,  Harvard University

Hans-Helmut Kotz est Center for European Studies à Harvard University

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