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Le dérèglement climatique change les allocations de portefeuilles

Publié le 3 octobre 2023 à 19h56

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

Le changement climatique pourrait conduire à une baisse de la part allouée aux actions dans les portefeuilles, plus ou moins accentuée selon la prise en compte des risques liés au déréglement du climat.

Le dérèglement climatique s’installe dans nos vies quotidiennes et celles des entreprises. Les projections du GIEC sur le réchauffement montrent que le phénomène va s’amplifier et avec lui les turbulences climatiques. Les conséquences sur l’économie seront multiples et les chocs destructifs tels que ceux liés aux ouragans seront plus nombreux et plus violents. Est-il vraiment raisonnable de conserver les paramètres issus du passé comme référence pour les investissements à long terme, en actions notamment ? Et si les projections des rentabilités, des risques et des corrélations des classes d’actifs évoluent, comment les allocations de moyen et long terme devraient-elles évoluer ?

Dans leur article récent*, trois chercheurs de l’Université de Rotterdam relèvent le défi d’une modélisation des changements climatiques sur les taux, les actions et les compositions des portefeuilles à long terme. Le modèle prend en compte l’effet perturbateur de la hausse de la température sur l’économie en l’intégrant dans une hausse de la variance des actions. Selon les croyances de l’investisseur et son horizon d’investissement, la baisse résultante de la part allouée aux actions est plus ou moins forte : pour l’horizon 2050, elle est plus forte pour ceux qui sont convaincus car ils prennent en compte les conséquences de l’augmentation du risque économique ; cette baisse est moindre et progressive pour ceux qui ne considèrent que l’information passée. Cette baisse s’accentue encore si l’investisseur intègre, en plus, l’incertitude sur le changement de régime financier engendré par le dérèglement climatique.

Des allocations modifiées aussi pour les horizons intermédiaires

Les allocations en actions aux horizons intermédiaires sont également modifiées d’après cette modélisation, mais de diverses manières, de même que les allocations d’investisseurs qui changent régulièrement d’allocation stratégique, en s’autorisant de la flexibilité pour profiter des opportunités au fil des ans. La conclusion des chercheurs est qu’il faut s’attendre, selon leurs hypothèses, à une plus grande dispersion des allocations en actions, en raison de l’évolution des risques climatiques, de leur matérialisation et de leur plus ou moins sérieuse prise en compte par les investisseurs. Ces écarts se situeraient selon eux entre + 20 % et – 25 % à 10 ans et entre – 5 % et – 40 % à 25 ans, pour une allocation de référence de 55 %.

Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont dû simplifier beaucoup de points sur le comportement des actions, sur celui des investisseurs et bien entendu sur les trajectoires climatiques. Mais cet effort louable et réaliste, compte tenu de nos connaissances, permet de projeter ce qui pourrait bien se passer dans le futur, avant que la transition énergétique ne modifie les impacts climatiques. Les auteurs se sont contentés d’un titre à court terme comme alternative aux actions, mais assurent que des travaux complémentaires pourraient inclure les obligations, le crédit et l’immobilier.  Leurs résultats sont cohérents avec l’intuition, puisque l’augmentation du risque climatique et de l’incertitude n’a, dans leur modèle, aucune contrepartie positive. L’innovation et la transition offriront peut-être un espace de performance positive additionnelle, non considérée à ce stade.

Les différences d’attitude des marchés en Europe et aux Etats-Unis ne sont-elles pas une traduction visible de ces résultats ? Cette recherche rappelle aussi combien l’investissement « rétroviseur », ne considérant que le passé et en supposant implicitement la stabilité du monde, peut être hasardeux. Ne rien changer pourrait bien se relever plus risqué que d’oser se projeter dans l’avenir et d’en tirer les conséquences. Une autre question, non abordée par cette recherche, est l’impact monétaire et inflationniste du dérèglement climatique. La transition est en marche, aucun domaine ne restera à l’abri du changement.

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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