Les Etats-Unis vont-ils perdre leur domination sur le système monétaire international ?
De nombreux observateurs et investisseurs pensent que le dollar pourrait perdre son statut de monnaie dominante et que la dette publique des Etats-Unis pourrait perdre son statut d’actif financier dominant dans le système monétaire international.
Aujourd’hui, 58 % des réserves de change des banques centrales sont investies en dollars, la part de marché du dollar dans les émissions obligataires internationales, dans les transactions sur le marché des changes et dans la facturation du commerce mondial est comprise, globalement, entre 45 % et 65 %, 64 % pour les dettes internationales, 45 % pour les transactions du marché des changes et 65 % pour le commerce hors intra zone euro. Le dollar est donc bien la devise dominante dans le système monétaire international. A titre de comparaison, l’euro ne représente que 19 % des réserves de change mondiales, 23 % de l’encours de dette internationale, 15 % des transactions de change ; le yen et le renminbi ont des poids beaucoup plus faibles (par exemple, dans les réserves de change, le poids du yen est de 7 % et celui du renminbi de 2 %).
Le marché de la dette publique des Etats-Unis (le marché des Treasuries) connaît, en moyenne, 900 milliards de dollars de transactions quotidiennes ; il y a en moyenne 4 000 milliards de dollars d’encours de repos sur les Treasuries ; l’encours de dette souveraine américaine est de 28 000 milliards de dollars, ce qui représente 35 % de l’encours total mondial de dettes souveraines (à titre de comparaison, la dette publique de l’Allemagne est de 2 800 milliards de dollars, celle de l’Italie de 3 100 milliards de dollars, celle de la France de 3 500 milliards de dollars et celle du Japon de 9 300 milliards de dollars). On voit que la dette publique des Etats-Unis joue aussi un rôle dominant dans le système monétaire et financier international.
«Il faudrait pour le moins une forte dégradation des finances publiques et des politiques économiques aux Etats-Unis pour que le dollar et la dette publique américaine perdent leur statut de référence.»
Les inquiétudes apparues, depuis l’élection à la présidence des Etats-Unis de Donald Trump, quant à la qualité perçue du dollar et à celle de la dette souveraine des Etats-Unis sont légitimes. En ce qui concerne le dollar, elles viennent de ce que de plus en plus de pays veulent réduire leur utilisation du dollar (par exemple pour acheter des matières premières) pour des raisons essentiellement politiques ; de ce qu’une partie de l’administration Trump (en particulier Stephen Miran, le chairman du Council of Economic Advisers de la Maison Blanche) désire une réduction du rôle de monnaie de réserve du dollar, qui ferait reculer la demande mondiale de dollars, donc conduirait à une dépréciation du dollar qui améliorerait la compétitivité des Etats-Unis ; de ce que Donald Trump nommera en 2026 le nouveau président de la Réserve fédérale, qui très probablement partagera son opinion selon laquelle la politique monétaire des Etats-unis est aujourd’hui nettement trop restrictive ; de ce que beaucoup de détenteurs de dollars craignent les atteintes à l’Etat de droit aux Etats-Unis, avec la tentation de l’administration Trump que le pouvoir exécutif domine les pouvoir législatif et judiciaire.
En ce qui concerne la dette souveraine des Etats-Unis, les investisseurs s’inquiètent, à nouveau légitimement, de la situation financière publique américaine. Après le vote du « Big Beautiful Budget » qui prévoit d’importantes baisses d’impôts (la reconduction de celles du Tax Cuts and Jobs Act de 2017, l’exemption d’impôts sur les pourboires et les heures supplémentaires) non couvertes, de loin, par la baisse prévue des dépenses de santé (de Medicaid), le déficit public prévu pour l’année fiscale 2025 atteint 6,9 % du PIB. Pour les années suivantes, il dépasse 7 % du PIB, ce qui implique une hausse du taux d’endettement public de 4 points par an. Outre que la capacité du marché obligataire à absorber ces émissions de dette publique est loin d’être garantie, les conséquences d’une perte du rôle de monnaie de réserve du dollar et d’actif financier de réserve de la dette publique des Etats-Unis sur les Etats-Unis eux-mêmes seraient extrêmement négatives. Il en résulterait un affaiblissement des entrées de capitaux, une incapacité de ce fait à financer le déficit de la balance courante des Etats-Unis ; il faudrait donc faire disparaître ce déficit, ce qui déclencherait une dynamique semblable à celle observée dans les pays de la zone euro touchés par la crise à partir de 2010 : récession et hausse massive des taux d’intérêt.
En fait, il est hautement improbable que le dollar et la dette publique américaine perdent leur statut de référence. Il faudrait au moins une forte dégradation des finances publiques et des politiques économiques aux Etats-Unis décourageant drastiquement la demande pour que cela se produise. On sait en outre que lorsque le dollar a remplacé la livre sterling comme monnaie de réserve dominante au début des années 1920, cette substitution s’est faite complètement et très rapidement parce qu’il existait une monnaie substituable à la livre sterling, en l’occurrence le dollar. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
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