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L’IA pourrait bouleverser la mise en œuvre de la théorie du portefeuille

Publié le 4 juin 2025 à 16h15

Jean-François Boulier    Temps de lecture 5 minutes

Grâce à l’intelligence artificielle, la mise en œuvre pratique de la théorie du portefeuille pourrait être significativement améliorée, selon des travaux encore théoriques. Avec notamment une sélection plus fine des titres, grâce à une meilleure estimation de la rentabilité future des actifs, le rendement des portefeuilles sur le long terme serait fortement accru.

La théorie du portefeuille a désormais plus de soixante-dix ans d’âge. C’est un des piliers de la finance moderne, enseigné dans toutes les bonnes écoles, et le fondement de bien des pratiques d’investissement. Pourtant la mise en œuvre de la méthode inventée par Harry Markowitz ne manque pas faiblesses et de difficultés. La première d’entre elles est la détermination des intrants de l’optimisation, rentabilités et risques des composantes du portefeuille. La seconde est l’instabilité de la composition occasionnée par les erreurs d’estimation des intrants (qui a aussi fait l’objet d’une précédente chronique) et la rotation excessive du portefeuille qui en résulte. Est-ce que l’IA peut apporter une réponse à ces deux sujets majeurs ?

Dans leur article intitulé « Machine Learning and the Implementable Efficient Frontier », quatre chercheurs du Swiss Finance Institute revisitent les méthodes d’application de l’optimisation de portefeuille en s’efforçant de mieux contrôler les coûts de transaction et de prévoir les rentabilités futures des actifs grâce notamment à l’intelligence artificielle. La première proposition consiste à prévoir grâce à l’IA les rentabilités futures des actifs à partir de leurs caractéristiques fondamentales qui, dans le cas d’actions cotées, seront par exemple leurs principales caractéristiques financières. L’IA permet notamment de déterminer les rentabilités futures, à l’issue d’un apprentissage sur les données passées, comme fonctions non linéaires des caractéristiques connues. Leur deuxième proposition consiste à déterminer la meilleure composition du portefeuille dans un cadre dynamique multi-horizon, autrement dit en modifiant cette composition périodiquement, peu à peu, au gré des changements de prévisions, dérivant des nouvelles informations sur les actifs. C’est donc une optimisation de long terme beaucoup plus adaptée aux portefeuilles des investisseurs institutionnels.

L’étude applique ce cadre théorique au cas des actions américaines entre 1952 et 2020 en ne retenant que la moitié des plus grandes capitalisations du NYSE, donc a priori les plus liquides. Les chercheurs ajustent une fonction de coût de transaction prenant en compte les coûts directs et les impacts de marché, qui sont d’autant plus grands que les volumes traités sont importants et la liquidité faible. Les trente premières années de l’échantillon servent de période d’apprentissage puis, dans leurs simulations, l’ensemble des intrants sont réestimés tous les mois et le portefeuille modifié en conséquence. Les résultats diffèrent selon la taille des portefeuilles en raison de l’impact de marché.

Une rentabilité de 15 % nette de frais grâce à l’IA

Les chercheurs comparent les résultats obtenus par plusieurs méthodes sur la période de 40 ans se terminant en 2020 pour un portefeuille d’une valeur de 10 milliards de dollars en fin de période. Sur cette période, la rentabilité de l’indice capitalisé s’élève à 8 % et sa volatilité à 15 % soit un ratio de Sharpe (rentabilité en excès du taux monétaire divisée par la volatilité) de 0,51. Ce ratio est plus que doublé par l’utilisation de leur méthode et s’établit à 1,33, produisant une rentabilité annuelle moyenne nette de frais de 15 % et un risque de 11 %, résultat spectaculaire ! Pour y arriver, le portefeuille optimal subit une rotation moyenne d’un quart par an, il détient des positions longues et courtes et son levier moyen est de 3, des situations plutôt rares en pratique. Les auteurs mentionnent qu’un portefeuille qui suivrait plus activement les prédictions du modèle d’IA aurait eu un ratio de Sharpe de 2 avant coûts de transaction mais, avec une rotation de l’ordre de 80 fois par an, détruirait toute la valeur du portefeuille en frais de transaction... et comblerait les courtiers par ses ordres.

Cet article s’appuie sur un ensemble de travaux récents utilisant soit l’IA, soit une capacité de calcul impensable au temps des pionniers de l’optimisation de portefeuille. Il illustre l’intérêt d’une approche de l’investissement consciente des coûts et des risques. Les auteurs mettent leur outil à disposition afin de prouver la capacité de reproduire leurs résultats, ce qui est remarquable et suffisamment inhabituel pour être mentionné. La vraie vie amènera d’autres difficultés de mise en œuvre, notamment des restrictions sur la vente à découvert et sur l’effet de levier, mais il n’est pas impossible de penser que de nouveaux indices actifs de marché pourraient voir le jour à partir de ce type d’approche très active, on l’aura compris.

Theis Ingerslev Jensen, Bryan Kelly, Semyon Malamud et Lasse Heje Pedersen, « Machine Learning and the Implementable Efficient Frontier », Inquire Europe Seminar, Bruxelles, mars 2025.

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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