Ne pas courir après le dollar !

Publié le 19 avril 2024 à 14h00

Gilles Moëc    Temps de lecture 4 minutes

Une divergence de la politique monétaire entre la BCE et la Fed doit répondre à la divergence des conjonctures et des risques de persistance de l’inflation entre les deux rives de l’Atlantique. Une nouvelle dépréciation du taux de change en serait le prix, que nous pensons bien inférieur, en termes de conséquences macroéconomiques, à celui de s’arc-bouter à un alignement toxique sur une Fed qui doit maintenant compter avec un taux d’équilibre plus élevé aux Etats-Unis. La perspective d’une nouvelle poussée protectionniste aux Etats-Unis rend de fait encore plus tentante une dépréciation de la devise en Europe, et un calcul similaire pourrait bientôt être fait en Chine.  

La conférence de presse d’avril de Christine Lagarde a conforté l’attente du marché pour une première baisse du taux directeur de la BCE en juin, alors que la résistance de l’inflation sous-jacente et un marché du travail toujours robuste aux Etats-Unis conduisent à repousser pour plus tard dans l’été une telle réorientation de la Fed. Même si une certaine stabilisation des enquêtes de conjoncture s’est produite récemment dans la zone euro, elle se fait à un niveau compatible avec un rythme de croissance à peine positif, alors qu’aux Etats-Unis il continue à excéder la tendance de long terme. Si certaines composantes de l’inflation restent « résilientes » dans la zone euro, l’affaiblissement de la demande rend la BCE confiante dans leur normalisation à relativement brève échéance.

L’euro ne s’est pas affaibli beaucoup plus significativement immédiatement après la conférence de presse d’avril. La dépréciation plus marquée intervenue le lendemain reflétait selon nous davantage la fuite habituelle vers le dollar en période de risque géopolitique accru, alors que le monde se préparait à une nouvelle escalade au Moyen-Orient, qu’un contrecoup de la réunion du Conseil des gouverneurs. Notons toutefois que nous parlons ici de l’émergence possible d’un décalage entre les deux banques centrales plus que d’une divergence réelle et durable : le scénario de base du marché reste que la Fed finira également par assouplir sa politique monétaire cette année. Il est toutefois possible que la Fed reste « bloquée » plus longtemps, ce qui se traduirait sans doute par un affaiblissement notable de l’euro.

La BCE ne peut totalement s’abstraire de toute considération sur le change – même si comme l’a rappelé Christine Lagarde, elle n’a pas d’objectif en la matière. Une forte dépréciation de l’euro pourrait conduire à un surcroît d’inflation importée qui éloignerait la banque centrale de son objectif. Le risque nous semble toutefois limité aujourd’hui : les composantes résilientes de l’indice de prix – principalement les services – sont davantage liées aux pressions domestiques qu’externes. Bien sûr, un euro faible renchérirait encore le cours du pétrole qui peut toujours s’accroître très fortement dans un contexte géopolitique difficile, mais la capacité d’un tel choc externe à engendrer des effets de second tour durables sur l’inflation sous-jacente serait bien plus faible qu’au début de la guerre en Ukraine, puisque les préoccupations liées à la dette publique rendent peu probable un accommodement budgétaire important.

Plus fondamentalement, il est possible que la valeur d’équilibre du dollar contre euro soit aujourd’hui plus élevée car le taux d’intérêt naturel s’est probablement accru aux Etats-Unis alors qu’il stagne en Europe. La croissance potentielle américaine doit sans doute être revue à la hausse compte tenu de l’amélioration très sensible des conditions d’offre – main-d’œuvre plus abondante sous l’effet d’une accélération de l’immigration, accélération notable des gains de productivité – alors que nous ne voyons aucun phénomène similaire de l’autre côté de l’Atlantique. La pression sur l’épargne disponible est également plus forte aux Etats-Unis – qui n’entreprennent aucune correction du déficit public – que dans la zone euro où la réorientation vers l’austérité est patente. Un scénario plausible pour une Fed « bloquée » dans sa baisse des taux serait une victoire de Donald Trump en novembre et la mise en œuvre de son programme de hausse des tarifs douaniers compensée par des baisses d’impôt. Dans ce cas, un euro faible serait une tentation bien compréhensible. Un découplage supplémentaire de la politique monétaire chinoise serait aussi très probable, à l’heure où la Chine doit trouver un relais de croissance durable pour compenser la faiblesse sans doute structurelle du secteur immobilier. En effet, les deux stratégies possibles – le retour à la focalisation sur les exportations, ou le développement de la consommation – nécessiteraient sans doute des taux d’intérêt plus faible, pour contrecarrer la préférence pour l’épargne dans le premier cas, pour compenser par un taux de change plus faible une éventuelle montée des tarifs américains dans le second.

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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