Un nouveau taux d’équilibre ?

Publié le 27 octobre 2023 à 18h19

Gilles Moëc    Temps de lecture 4 minutes

La dernière poussée des taux d’intérêt à long terme résiste aux explications habituelles. Certes, aux Etats-Unis, les tout derniers chiffres suggèrent qu’une « ligne de résistance » au-dessus de l’objectif d’inflation de la Fed pourrait émerger. En effet, les prix des services, hors loyers, la composante la plus surveillée par la banque centrale, accélèrent à nouveau. Pourtant, les anticipations d’inflation dans le marché restent sages. L’essentiel de la remontée des rendements à long terme reflète une progression des taux réels. Il ne peut pas non plus s’agir d’une révision par les investisseurs de leur compréhension de la fonction de réaction de la Fed : les anticipations sur la trajectoire de la politique monétaire se sont stabilisées. Bien sûr, la réduction de la taille du bilan de la banque centrale est une « force de fond » qui pousse les taux longs à la hausse, mais sa vitesse est connue et sans changement récent.

Une explication alternative est de plus en plus fréquemment évoquée dans le marché : il est possible que le taux d’équilibre ait augmenté. Il existe deux approches complémentaires pour définir ce taux. L’une consiste à le considérer comme le taux compatible avec une inflation conforme à l’objectif lorsqu’il n’y a pas de déséquilibre entre l’offre et la demande dans l’économie. Une autre consiste à le considérer comme le taux d’intérêt permettant à l’épargne de s’ajuster aux besoins d’investissement de l’économie.

Aux Etats-Unis, l’inflation persiste et le taux de chômage reste très bas, ce qui suggère que les Etats-Unis font encore face à un excès de demande bien que les taux directeurs aient désormais dépassé 5 %. Cette situation justifierait que le taux d’équilibre, conformément à sa première définition, soit plus élevé. S’agissant de la deuxième définition, il est difficile d’évaluer l’équilibre entre l’épargne et l’investissement en temps réel. Un élément déjà tangible toutefois est la difficulté à trouver une voie praticable pour la réduction des déficits publics. A politique inchangée, la dette publique américaine atteindra près de 120 % du PIB dans dix ans, selon les projections du Congressional Budget Office (CBO). Les besoins de financement de ce déficit faisant concurrence à ceux de l’investissement, il est donc nécessaire que le taux d’équilibre augmente pour stimuler le taux d’épargne.

Le taux d’équilibre n’est pas observable en temps réel. Le discours actuel sur les taux d’équilibre pourrait changer très rapidement dès que les premiers signes tangibles d’un ralentissement économique apparaîtront. Cependant, tant que le flux de données restera résilient, il sera difficile de voir la position du marché changer.

Qu’en est-il dans la zone euro ? Les arguments incitant à penser que le taux d’équilibre pourrait être plus élevé ne sont pas si évidents. Il est vrai que la région doit commencer à assainir ses finances publiques, mais pour le pays de référence sur le marché obligataire, l’Allemagne, la trajectoire budgétaire reste sous contrôle. Plus généralement dans la zone euro, la réduction des déficits ne sera pas une promenade de santé, mais il n’y a pas d’obstacle politique ou institutionnel majeur à la stabilisation de la dette publique, contrairement aux Etats-Unis où la mise en place d’un partenariat bipartisan sur ces questions est maintenant quasi impossible. L’argument selon lequel les besoins de financement de ces déficits exigent un surcroît d’épargne est donc moins convaincant. Certes, la situation démographique plus dégradée de l’Europe pourrait contraindre les générations plus âgées à vendre des actifs accumulés pour maintenir leur consommation, ce qui ferait baisser le taux d’épargne agrégé, et monter le taux d’équilibre. Mais ce phénomène pourrait être atténué, au moins pendant quelques années, par une tendance à l’allongement de la durée de la vie active.

Cependant, là où la différence est déjà tangible, c’est sur la première définition du taux d’équilibre : la zone euro ne fait pas preuve de la même résilience que les Etats-Unis. L’économie stagne déjà, quand elle n’est pas carrément en « récession » dans certains Etats membres. Il est difficile d’affirmer que l’ampleur du resserrement monétaire déjà opéré n’a pas eu l’impact habituel sur la demande, ce qui justifierait une stabilité du taux d’équilibre.

En fait, il est possible que la force la plus puissante aujourd’hui à l’œuvre soit la contagion habituelle en provenance des Etats-Unis, étant donné le rôle toujours dominant que jouent les obligations américaines dans la fixation des prix des obligations au niveau mondial. Ce serait une mauvaise nouvelle pour la zone euro : elle se verrait imposer un niveau de taux d’intérêt dont les fondamentaux seraient partiellement déterminés en fonction de conditions macroéconomiques éloignées des siennes.

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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