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Pour les gérants, bien connaître des CFO est source de performance

Publié le 6 mai 2025 à 12h17

Jean-François Boulier    Temps de lecture 4 minutes

Les gérants américains entretenant des relations avec des responsables financiers d’entreprises cotées affichent des performances supérieures aux autres, révèle une étude fondée sur l’analyse de leurs liens sur Facebook. Cela n’implique pas nécessairement l’existence de délits d’initiés…

De tout temps, l’avantage informationnel a été exploité par les investisseurs en Bourse. Les pigeons voyageurs auraient ainsi enrichi des acheteurs de la City quand la défaite de Napoléon à Waterloo a été connue. Plus récemment, la proximité des ordinateurs des plateformes de trading haute fréquence de ceux des Bourses a été mise à profit par plusieurs grands hedge funds afin de gagner quelques précieuses nanosecondes sur leurs compétiteurs. Les tentatives d’utilisation des réseaux sociaux ne font pas exception à cette règle et plusieurs enquêtes des gendarmes boursiers ont révélé la circulation, par ces canaux, d’informations critiques entre intervenants sur les marchés, favorisant l’entente ou la manipulation de ces marchés. Il est donc important, pour certains professionnels, d'assurer la discrétion de ces échanges. Mais comment faire pour mettre à jour ce qui est caché ?

Dans « Hidden Alpha » quatre chercheurs s’intéressent aux relations via FaceBook de gérants de portefeuilles américains et de responsables financiers d’entreprises américaines cotées. Plus précisément, ils focalisent leur étude sur les relations non déclarées, autrement dit cachées aux autres utilisateurs du réseau social. Ils analysent plus de 8 000 titres détenus par environ 4 000 gérants américains sur la période de 2015 à 2022, grâce à plusieurs outils d’intelligence artificielle, notamment de reconnaissance faciale, pour identifier les individus malgré leurs alias et décrypter les messages non signés entre gérants et CFO. Leur « enquête scientifique » révèle que sur cette période, plus de 200 gérants entretenant des relations non révélées avec des responsables financiers de firmes américaines ont eu une surperformance notable de l’ordre de 1,6 % en moyenne mensuelle en relation précisément avec ces titres, alors que leur performance sur les autres titres ne diffère pas notablement de celle de l’indice. De plus, ils révèlent que cette surperformance a été réalisée à l’occasion de mouvements importants sur les titres concernés, la plupart du temps liés à de bonnes nouvelles.

Des bribes d’information interprétées

Il y a donc anguille sous roche. Sommes-nous en présence de délit d’initiés ou de simples coïncidences ? L’analyse des chercheurs s’arrête à la mise en évidence d’une information utile à certains gérants, qui l’ont exploitée à bon escient en cachant sa provenance, du moins sur le réseau social. Est-ce que cette information détectée par les chercheurs a été échangée par un autre canal, au téléphone ou tout simplement dans une conversation ? Il reste aussi possible que l’exploitation de l’information n’ait pas été délictueuse car un professionnel sait interpréter des bribes d’informations pour parier sur un mouvement, et il n’est pas interdit de gagner ! Cette étude montre comme d’autres l’utilité de sources d’informations qualifiées pour investir en Bourse.

Elle montre aussi la puissance, quelque peu perturbante, des outils de l’intelligence artificielle et du potentiel d’information issu de bases de données accessibles au public. Les traces de nos actes les plus anodins permettent d’analyser, à notre insu, nos comportements les plus intimes ou les plus personnels. Nous savons que les paiements par cartes ou les bornages téléphoniques permettent de nous suivre à la trace mais nos activités sur Internet ou sur nos outils connectés sont autant de portes d’accès à quantité d’autres informations personnelles. Avec une telle puissance potentielle, l’intelligence artificielle n’échappera pas aux utilisations malintentionnées d’escrocs en tout genre. Comment s’en protéger ? Faut-il restreindre ses propres activités ou interdire certains usages ? Peut-on vraiment parer au risque d’utilisation abusive de ces données ?

Stephan Heller, Lauren Cohen, Manuel Ammann, Alexander Cochardt, « Hidden Alpha », Inquire Seminar, Bruxelles, mars 2025

Jean-François Boulier Président d'honneur ,  Af2i

Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.

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