Inflation : un peu de patience, beaucoup de prudence

Publié le 17 mars 2017 à 16h49    Mis à jour le 20 mars 2017 à 10h07

Gilles Moëc

L’analyse économique n’échappe pas aux modes. La «mort de l’inflation» était le grand sujet de l’année dernière. La mondialisation et le progrès des techniques de l’information, en permettant une comparabilité immédiate des prix offerts par des fournisseurs en compétition sur l’ensemble de la planète, combinée à la faiblesse de la création monétaire (reflet de la «panne du crédit»), allaient pour de bon enterrer la bonne vieille hausse des prix tendancielle de 2 %. Les banques centrales étaient condamnées à échouer dans leurs tentatives de plus en plus désespérées de faire revenir l’inflation vers un objectif devenu obsolète. Il ne leur restait plus qu’à soit abandonner la partie, accepter une cible plus faible et revenir à une politique monétaire moins accommodante (version «faucon»), soit assurer la soutenabilité de dettes de moins en moins érodées par l’inflation, en maintenant les taux d’intérêt de marché à des niveaux artificiellement bas (version «colombe»).

Mais voici les marchés maintenant saisis par la «fièvre de l’inflation». La hausse des prix à la consommation est sortie de sa tombe. Les banques centrales sont sommées de réagir. Alors qu’il y a trois mois personne n’envisageait que la Fed remonte son taux directeur en mars, nous voila maintenant presque déçus que, dans son scénario central, elle ne prévoit «que» deux hausses de plus en 2017. Voici que l’on détecte dans les propos de Mario Draghi les prémices d’une remontée des taux directeurs qui n’attendrait pas – contrairement à ce que la BCE nous dit depuis des mois – la fin des achats nets de titres.

Nous ne pensions pas que l’inflation était morte. Plus modestement, nous pensions que sa faiblesse était avant tout le reflet des surcapacités accumulées dans l’économie mondiale depuis la grande récession de 2008. Graduellement, l’absorption de ces surcapacités va faire redémarrer les salaires, puis enfin les prix. Mais l’étendue de ces surcapacités, et la vitesse de leur résorption, ne sont pas les mêmes partout. Voilà pourquoi nous voulons à la fois saluer la décision de la Fed d’accélérer la normalisation de ses taux directeurs, et mettre en garde contre l’abandon prématuré par la BCE de sa politique accommodante. Dans notre économie mondialisée, tout n’est pas encore global. L’inflation peut rester longtemps coincée d’un seul côté de l’Atlantique.

Il existe une relation entre l’inflation et le taux de chômage, lui-même l’expression la plus directement observable des surcapacités. Mais cette relation de Philips est une courbe, pas une droite. Lorsque l’on est très loin du plein-emploi, la baisse du chômage n’a que peu d’effet sur les salaires. Puis vient un moment où même une légère amélioration du marché du travail produit un effet significatif sur la capacité de négociation des salariés. Ce point est atteint aux Etats-Unis. Il ne l’est pas en Europe.

Les Etats-Unis sont en reprise depuis 2009. Certes, la croissance du PIB reste médiocre, coincée aux environs de 2 %, en deçà des rythmes d’avant-crise, mais il faut y voir l’effet du ralentissement de la productivité. 2 % de croissance suffisent maintenant à ramener les Etats-Unis au plein-emploi. Les salaires accélèrent, et avec les salaires l’inflation sous-jacente. De plus, la Fed doit prendre en compte la promesse par D. Trump d’une relance budgétaire puissante, qui ajoutera encore aux pressions inflationnistes.

La zone euro, elle, a connu une deuxième phase de récession en 2011/2012. L’austérité budgétaire, à la différence des Etats-Unis, n’a été compensée que tardivement par le stimulus monétaire. Faut-il rappeler que la BCE, après avoir relevé les taux directeurs au moment même où l’économie mondiale entrait en récession à l’été 2008, a jugé utile de le faire à nouveau en 2011 ? Les surcapacités se sont creusées davantage, et leur absorption est loin d’être achevée.

Le retour de l’inflation aujourd’hui observé en zone euro est le produit de la hausse des prix du pétrole. Elle-même ne reflète pas l’amélioration attendue de l’économie mondiale mais plutôt les décisions politiques de l’Opep, par nature réversibles, comme d’ailleurs l’évolution la plus récente des cours le rappelle. L’inflation sous-jacente reste bloquée – à 0,9 % en février – dans la même fourchette depuis 2014, bien loin de la cible de la BCE. Dans le seul grand pays européen où le plein-emploi a été atteint, l’Allemagne, les salaires nominaux ont décéléré sur la période récente.

L’expérience américaine montre que l’objectif d’une inflation de 2 % n’est pas chimérique. Mais baisser la garde trop vite en Europe – et en particulier relever les taux directeurs rapidement – entraverait la poursuite de la normalisation de l’économie européenne. Un peu de patience, et beaucoup de prudence, s’imposent.

Gilles Moëc Chef économiste ,  AXA

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