Mobilité

Ces financiers ont quitté Paris pour la province

Publié le 4 novembre 2022 à 9h05

Anaïs Trebaul    Temps de lecture 13 minutes

Les confinements successifs ont incité de nombreux Parisiens à quitter la capitale pour vivre en région. Mais trouver un poste en finance en dehors de Paris n’est pas toujours simple. Plusieurs d’entre eux ont ainsi réussi à réaliser leur changement de vie grâce au télétravail.

« Lors du deuxième confinement, à l’automne 2020, alors que j’étais en télétravail, j’ai décidé de quitter Paris pour m’installer à Orléans, ma ville d’origine… je n’en suis jamais reparti ! », explique Antoine Morel, contrôleur financier groupe chez Magnicity, spécialiste de la gestion de sites touristiques. Comme lui, plusieurs Franciliens ont choisi depuis deux ans de délaisser la capitale pour partir travailler dans une autre région de France. « Nous avons depuis toujours des demandes de personnes travaillant à Paris, qui après une première étape dans leur vie professionnelle, souhaitent retourner dans leur région natale ou accompagner leur conjoint dans une mobilité, observe Sébastien Denis, Practice Manager Michael Page. Mais, après le premier confinement de 2020, nous avons assisté à un véritable exode ! » Ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, mais la dynamique reste forte. « Actuellement, environ 40 % des candidats pour des postes en finance dans la zone Paca et Auvergne Rhône-Alpes viennent de la région parisienne, estime Yankel Benharrous, Manager finance chez Robert Walters à Lyon. Il s’agit aussi bien de candidats basés à Paris, ou qui viennent de quitter la capitale, sans forcément avoir déjà trouvé un emploi dans la région. »

«Actuellement, environ 40 % des candidats pour des postes en finance dans la zone Paca et Auvergne Rhône-Alpes viennent de la région parisienne. »

Yankel Benharrous Manager finance ,  Robert Walters

Des profils financiers recherchés en région

Pour plusieurs de ces financiers, les recherches d’emploi aboutissent rapidement. D’abord, au-delà des remplacements de salariés, les créations de postes se sont multipliées ces derniers mois en région, ce qui a offert de nouvelles opportunités aux exilés parisiens. « En dehors de Paris, les entreprises pouvant embaucher des financiers sont plus souvent des PME ou des ETI que des grands groupes, remarque Yankel Benharrous. Or, avec la crise sanitaire, puis le contexte économique et géopolitique, plusieurs d’entre elles sont amenées à structurer davantage leur fonction finance. Alors que dans certaines entreprises, le directeur comptable s’occupait seul de toute la partie financière, désormais, une véritable équipe, composée d’un responsable financier, et d’un contrôleur de gestion, en ont pris la charge. Aujourd’hui, la majorité des offres d’emploi en finance que nous gérons sont des créations de poste. »

Ensuite, les financiers les plus expérimentés profitent de la rareté de leur profil sur le marché du travail local. « J’accompagais une directrice financière venue de Paris qui cherchait un poste entre Lons-le-Saulnier et Oyonnax, soit une zone plutôt rurale et assez restreinte géographiquement, indique Yankel Benharrous. Cette personne a pourtant pris moins de deux mois pour trouver un poste de DAF. De même, deux candidats, au parcours certes brillant, ont reçu en un mois chacun deux propositions de poste de directeur financier, l’un à Nice, l’autre à Marseille, sans baisser leur rémunération. En outre, les profils de directeur de la trésorerie sont en nombre très faible localement. Une personne postulant en province pour ce type de poste peut être le seul candidat ! Elle peut même facilement prétendre augmenter son salaire. » 

Par ailleurs,certaines zones restent moins recherchées et il est facile d’y trouver un poste. « Les candidats cherchent avant tout du travail dans des grandes métropoles, constate Sébastien Denis. En revanche, dans des départements ruraux, en l’absence de grande ville, nous avons très peu de demandes. » Ainsi, Freddy Dabah a pu trouver très vite, dès la fin de ses études, un poste qui correspondait entièrement à son parcours, à Vire, dans le Calvados. « Originaire de la région parisienne, j’ai découvert la Basse-Normandie lors de mon stage de fin d’études et la région m’a tout de suite plu. En cherchant mon premier emploi, j’ai postulé à différents postes, dont celui de contrôleur de gestion industriel chez Normandise Petfood – spécialisé dans l’alimentation animale –, qui correspond en tout point à mon double cursus d’ingénieur et de contrôleur de gestion. Le processus de recrutement a été très rapide. »

Les régions et départements se mobilisent pour attirer les candidats

  • Les agences d’attractivité des départements français mettent en place de nombreuses initiatives pour attirer les candidats dans leurs entreprises locales. Ainsi, le mois dernier, les agences d’attractivité de la Manche et du Calvados ont organisé un jobdating à Paris, réunissant près de 80 entreprises, de toutes tailles et secteurs, situées dans ces départements (Normandise Petfood, Saint James, Carrefour, Crédit Agricole Normandie, Banque Palatine, etc.).
  • Afin d’attirer les candidats à venir s’installer dans leur région, ces agences mettent en place plusieurs accompagnements. « Il existe un dispositif pour faciliter la mobilité du conjoint, avec une analyse de son projet, la réalisation d’entretien, de la mise en contact, détaille Antoine Angeard, délégué général du CNER. Des événements, afin d’aider les nouveaux arrivants à s’insérer rapidement dans la région, sont également organisés. Par ailleurs, des accompagnements à l’installation sont également proposés, dans le but de faciliter les démarches administratives, de trouver une crèche, etc. »

Un écart de rémunération dissuasif

Néanmoins, trouver un poste en finance en région n’est pas toujours aussi simple. Bien souvent, la rémunération constitue un réel frein. Et pour cause : l’écart de salaire entre Paris et les régions peut aller de « 8-10 % minimum, jusqu’à 25 % pour certaines fonctions en très forte tension, estime Sébastien Denis. Cet écart s’est même creusé cette année, car les salaires parisiens ont davantage tenu compte de l’inflation qu’en région. » Or les candidats ne sont pas toujours en position de force pour négocier leur salaire. Certes, il existe en région de nombreuses offres en contrôle de gestion, en audit interne, en consolidation, etc., et le marché y est très tendu. « Hors postes de direction, cette situation ne profite pas toujours aux candidats franciliens, avoue Sébastien Denis. Les entreprises ne veulent pas aligner leur rémunération sur celles de Paris, et les candidats ne sont pas prêts à diminuer autant leur salaire. » Cette tendance s’est même renforcée depuis quelques mois. « S’il y a un an, les entreprises avaient des besoins à pourvoir urgemment et acceptaient de payer plus cher des salariés en provenance de Paris qui étaient les seuls à avoir les compétences requises pour le poste, désormais, elles mesurent mieux leur budget et préfèrent attendre plutôt que d’augmenter les salaires », poursuit Sébastien Denis.

En outre, les entreprises deviennent parfois plus frileuses à recruter des candidats parisiens. « Lors du premier confinement, nous avons assisté à une fuite en avant, rapide, indique Sébastien Denis. Mais plusieurs ex-Parisiens se sont rendu compte, au bout de quelques mois, que le poste ne leur plaisait finalement pas et que les offres pour un poste identique dans la même zone étaient très limitées, voire inexistantes. De même, pour ceux partis à deux, il est arrivé que l’un des conjoints ne trouve pas. Au final, plusieurs financiers sont retournés sur Paris. Les entreprises se montrent donc parfois hésitantes à embaucher des Parisiens. »

De nombreuses opportunités d’emploi en finance en région

  • Si la majeure partie des postes en finance, que ce soit au sein de directions financières, des banques ou de fonds d’investissements, se situe à Paris, les régions offrent de nombreuses possibilités. Selon le Meti, 68 % des sièges sociaux des ETI se situent en régions. Les banques, notamment celles organisées en caisses locales, comme le Crédit Agricole et le Crédit Mutuel, sont d’importants pourvoyeurs d’offres en finance en régions.
  • Les grands cabinets de conseil ont également des entités en régions. Ainsi, sur un total de 240 consultants en transactions services chez EY, environ 80 sont situés en province, dans les bureaux de Lille, Nantes, Bordeaux, Marseille, Lyon, et Strasbourg. « Nous avons constitué ces équipes il y a dix ans environ, en partant du constat que les ETI, dont beaucoup sont situées en régions, étaient les cibles de l’activité de transaction services puisqu’elles font face à des problématiques de croissance externe, indique Emmanuel Picard, associé EY Strategy and Transactions. Par ailleurs, nos équipes en M&A et en restructuring restent basées à Paris, mais si l’un des consultants décidait de quitter la capitale, nous pourrions nous adapter pour organiser son travail à distance. La mobilité régionale constitue un argument lors des recrutements. »
  • Progressivement, des postes en finance se créent aussi en dehors de Paris. « La loi NOTRe de 2015, qui a autorisé les régions à prendre des parts dans des entreprises, a favorisé le développement de plusieurs fonds locaux, comme Breizh Up en Bretagne, ce qui a créé plusieurs postes en finance pure en régions », souligne Antoine Angeard.
  • En outre, ces dernières années, plusieurs entreprises ont déplacé leur siège social et leur direction financière en province. Ainsi, en 2017, Betclic a regroupé ses équipes de Paris et de Londres à Bordeaux, en 2020, le cimentier Vicat a installé son siège à L’Isle-d’Abeau, en Isère, sa région d’origine… Par ailleurs, AXA Wealth Services, la filiale d’AXA spécialisée dans la gestion de patrimoine haut de gamme, a déménagé à Mérignac, près de Bordeaux en 2016.

Le télétravail comme solution

Dans ce contexte, le télétravail est souvent la solution trouvée par les financiers pour quitter Paris. « Le télétravail, à temps plein ou à un rythme imposé à l’avance de quelques jours par semaine, permet aux financiers qui en ont la possibilité de conserver leur niveau de rémunération parisien, qu’ils n’auraient pas pu trouver en région », précise Sébastien Denis. Les candidats ont bien compris l’intérêt de ce mode de fonctionnement. « Les exigences des candidats ont beaucoup évolué post-Covid. Actuellement, plus que de travailler en région, la plupart d’entre eux souhaitent faire davantage de télétravail de façon assez libre : par exemple trois jours par semaine pour pouvoir quitter Paris quand ils le souhaitent, et ainsi continuer à garder leur poste ou bénéficier d’opportunités professionnelles intéressantes au sein de la capitale, observe Alexandra Maubert Proniewski, fondatrice du cabinet de recrutement Alex Nicols. Cela leur permet de concilier plus facilement leur vie personnelle avec leur vie professionnelle ».

Plusieurs financiers ont ainsi réussi à obtenir un nouvel emploi, basé en Ile-de-France, avec un mode de travail à distance. « Une fois arrivé à Orléans, j’ai quitté mon précédent poste de contrôleur financier dans un fonds d’investissement hôtelier, dont l’activité avait été affectée par la crise, pour me mettre à mon compte en tant que courtier en immobilier, explique Antoine Morel. Puis, j’ai finalement décidé de reprendre mes fonctions de contrôleur financier. Les postes près d’Orléans étaient en moyenne rémunérés 20 à 30 % de moins qu’à Paris ! J’ai donc trouvé le même poste que j’occupais précédemment dans une entreprise située à Paris, en négociant trois jours de télétravail (contre deux prévus initialement) par semaine, et mon salaire à la hausse. » Virginie Chevalier, désormais Retail Sales Manager Sud-Est chez AXA IM, a quant à elle déménagé à Aix-en-Provence en 2019, afin de suivre son conjoint, muté dans la région. « J’ai démissionné de chez Montpensier finance, et j’ai pu bénéficier du chômage pour motif de suivi de conjoint, explique-t-elle. J’ai fait appel à mon réseau professionnel pour savoir s’ils avaient connaissance d’un poste dans la région. Après quelques mois de recherche, entrecoupés par le premier confinement, une personne de mon réseau m’a transmis une offre de Retail Sales Manager Sud-Est chez AXA IM pour couvrir la zone allant de Montpellier à Nice. Depuis octobre 2020, j’occupe ce poste, en télétravail, avec l’obligation de me rendre à Paris environ un jour par semaine. »

«Ayant le souhait de vivre à Bordeaux, mes patrons ont accepté que je travaille à distance trois jours par semaine, en prenant en charge mes allers-retours en train et l’hôtel. »

Simon Le Rouzic Manager transaction services ,  Crowe HAF

Des preuves à faire

Toutefois, toutes les entreprises n’acceptent pas aussi facilement ce mode d’organisation. « Il existe une prime à la méritocratie et à la fidélité importante. Souvent, les salariés doivent d’abord faire leurs preuves en présentiel », note Sébastien Denis. Plusieurs financiers réussissent ainsi à partir en région, en conservant leur poste, avec plus de télétravail. « Un an et demi après avoir été embauchée en tant que directrice financière dans un groupe de 200 personnes, une ancienne candidate que je suivais a pu bénéficier d’un télétravail une semaine sur deux, pour partir en Bretagne », illustre Alexandra Proniewski. Une expérience partagée par Simon Le Rouzic, Manager Transaction Services chez Crowe HAF, qui a choisi de quitter Paris pour Bordeaux au début de l’année. « Début 2021, j’ai démissionné de mon poste de consultant en TS pour partir en voyage autour du monde, précise-t-il. A mon retour en France, dix mois plus tard, mes anciens patrons m’ont proposé de revenir travailler au cabinet pour retrouver mon poste et venir renforcer l’équipe. Ayant le souhait de vivre à Bordeaux, ils ont accepté que je travaille à distance trois jours par semaine, en prenant en charge mes allers-retours en train et l’hôtel. Ma carrière a pu poursuivre sa progression et je suis devenu manager avec un niveau de rémunération cohérent avec celui que j’aurais eu à Paris. »

Sans nécessairement disposer d’une expérience dans l’entreprise, le fait d’y connaître déjà certains salariés est également un plus. « Je cherchais à me rapprocher de ma famille, basée dans le Sud-Ouest de la France, mais l’entreprise dans laquelle je travaillais n’était pas favorable au télétravail régulier ou à la localisation en région, explique Hélène Charlotte Pisarska, Sales Director chez Quaero Capital. J’ai donc cherché un nouvel emploi qui proposait plus de flexibilité et après six mois de veille j’ai finalement trouvé chez Quaero Capital le même poste que j’occupais précédemment. Ce poste est basé à Paris mais avec du télétravail la majeure partie du temps, organisé de façon plus souple. J’avais déjà travaillé, par le passé, avec une personne de la direction : je pense que cela a facilité l’organisation actuelle. »

Outre le fait d’avoir pu déménager comme ils le souhaitaient, tous se disent satisfaits de cette nouvelle organisation. « Il est beaucoup plus simple pour moi de prévoir des rendez-vous avec des clients depuis que je suis sur place, relève Virginie Chevalier. De même, je trouve que le contact avec les clients s’instaure plus facilement, ils sont rassurés que je sois basée dans leur zone. » Un avis partagé par Antoine Morel. « Mon poste s’adapte tout à fait au travail à distance, indique-t-il. Mes rendus sont fréquents, donc mes responsables peuvent évaluer mon travail. »

Malgré tout, les financiers restent néanmoins à l’affût des opportunités qui se présenteraient localement. Selon les recruteurs, ce mode de fonctionnement à distance serait en effet souvent une étape temporaire, avant de trouver un poste sur place.

«Le contact avec les clients s’instaure plus facilement et il est beaucoup plus simple pour moide prévoir des rendez-vous avec eux depuis que je suis à Aix-en-Provence. »

Virginie Chevalier Retail Sales Manager Sud-Est ,  AXA IM

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